Pour mettre fin au cancer de la rente, une autre gouvernance et une nouvelle politique salariale

L’efficacité d’une politique des subventions ciblées en Algérie

Les tensions sociales, à court terme tant qu’il y a la rente, sont atténuées artificiellement grâce aux recettes des hydrocarbures qui permettent des subventions et transferts sociaux représentant 23,7% du budget général de l’Etat et 9,4% du PIB pour l’exercice 2021, mais mal gérés et mal ciblés, qui ne profitent pas toujours aux plus démunis et par la crise du logement qui renforce la solidarité familiale.

Qu’en est –il pour les bilans de 2020 et 2021 où aucune mesure de fond n’a été prise depuis cette date ? Les assainissements répétés aux entreprises publiques qui sont des subventions ont couté au trésor public des dizaines de milliards de dollars, dont plus de 70% sont revenues à la case de départ, le ministre délégué chargé de la prospective auprès du PM, ayant révélé courant janvier 2021, que l’État a alloué près de 250 milliards de dollars au secteur public marchand au cours des 25 dernières années. Nous avons les exonérations fiscales et de TVA accordées par les différents organismes d’investissement (ANDI ANSEJ) y compris pour les entreprises étrangères, dont il conviendrait de quantifier les résultats par rapport à ces avantages (exportation et création de valeur ajoutée interne).
Pour le pouvoir algérien ne voulant pas de remous sociaux les subventions seront encore un tampon pour juguler la hausse des prix internationaux, avec ce retour à l’inflation car en dehors des subventions le taux d’inflation réel dépasserait largement 10%. Ainsi, toutes les lois de finances y compris celle de 2021proposent des mesures qui ont pour finalité de pérenniser la politique de l’Etat en matière de subvention des prix des produits de large consommation. Or, comme je l’ai analysé dans plusieurs contributions nationales et internationales, le montant des subventions très important par rapport au PIB est injuste où que toutes les catégories sociales puissent bénéficier des subventions, quelle que soit sa situation financière. Ainsi, se pose le problème de l’efficacité de toutes ces subventions sur le producteur local et sur le consommateur final.
La mise en place de subventions ciblées suppose à la fois une large concertation sociale et un système d’information fiable au temps réel mettant en relief la répartition du revenu national et du modèle de consommation par couches sociales posant la difficulté de l’intégration de la sphère informelle (revenus informels). Les subventions généralisées entrainent avec un gaspillage croissant des ressources financières du pays faussent l’allocation rationnelle des ressources rares et ne permettent pas d’avoir une transparence des comptes. Les prévisions tant au niveau micro que macroéconomique, aboutissent au niveau des agrégats globaux (PIB, revenu national) à une cacophonie additionnant des prix du marché et des prix administrés. Ils découragent la production locale avec un gaspillage croissant des ressources financières du pays.

3- Avoir une vision stratégique
Il ne faut pas se tromper de cibles pour paraphraser les stratèges militaires. Il ne faut pas se focaliser uniquement sur les subventions mais revoir la gouvernance actuelle pour plus de cohérence et de visibilité de la politique économique et sociale, une lutte contre la corruption et les surcouts. Ces montants sont de loin supérieurs au montant des subventions, sans compter le facteur essentiel du développement, le retour de la confiance de la population en ses institutions. Aussi, se pose cette question stratégique pour l’Algérie avec la chute du cours des hydrocarbures, l’Etat pourrait ne pas avoir les moyens de continuer à subventionner certains produits alimentaires, comme se pose actuellement l’alimentation des caisses de retraite pour 3,2 millions de retraités , plus de 700 milliards de dinars de déficits fin 2020 qui risque l’implosion rendant urgent son unification pour des raisons d’efficacité et de justice sociale. Or, les hydrocarbures traditionnels pourraient s’épuiser horizon 2030 au moment où la population algérienne sera d’environ 50 millions d’habitants.
Un rapport du Ministère de l’Energie montre clairement qu’à cette allure, la consommation intérieure en énergie classique risque de dépasser els exportations actuelles horizon 2030. Alors que parallèlement nous assistons à une baisse drastique en volume physique où selon le rapport d’avril 2021 de l’OPEP la production algérienne en mars 2021 s’élevait à 870 000 barils par jour, soit une baisse de 8 000 barils par rapport à la production moyenne de février, estimée à 878 000 barils par jour contre de 1,2 million de barils/j entre 2010/2014 en n’oubliant pas que 33% des recettes de Sonatrach proviennent du gaz dont le cours sur le marché libre entre 2019/avril 2021 fluctue entre 2,5 et 2,7 dollars le MBTU contre 10/12 dollars entre 2008/2014, devant compte couts de production. Car on peut découvrir des milliers de gisements non rentables fonction du au cou t y compris le transport, du vecteur prix international et du nouveau modèle de consommation énergétique mondial axé sur l’efficacité et la transition énergétique.
L’instauration d’une chambre nationale de compensation indépendante, devrait permettre des subventions ciblées, par un système de péréquation intra socioprofessionnelle et interrégionale. Mais cela dépasse l’aspect technique et implique forcément un réaménagement profond de la logique du pouvoir algérien reposant sur les forces sociales réformistes, animées par le secteur productif et son soubassement l’économie de la connaissance, loin du pouvoir les couches rentières tissant des relations dialectiques avec la sphère informelle spéculative. L’Algérie n’a pas besoin d’une multitude de séminaires, qui s’assimilent à de l’activisme mais des actions sur le terrain car les études existent ; il suffit de les réactualiser. Comme démontré dans plusieurs rapports disponibles, cette opération de ciblage des subventions, est techniquement impossible sans un système d‘information fiable en temps réel, mettant en relief la répartition du revenu national par couches sociales et par répartition régionale : combien sont-ils à percevoir moins de 20 000 DA par mois net ?
Combien sont-ils à toucher entre 20 000 et 50 000 DA ? Combien sont-ils à être payés entre 50 000 et 100 000 DA combien perçoivent entre 100 000 et 200.000 et combien perçoivent plus de 200.000 net par mois? L’on devra distinguer les salariés des indépendants et ce en en liaison avec l’ évolution de l’indice de l’inflation réel l’actuel n’ayant pas été actualisé depuis 2011 afin de déterminer le pouvoir d’achat de chaque catégorie sociale où si on prend les données officielles, le taux d’inflation entre 2000/ fin 2020 approche les 100%. Il faut avoir des réponses précises à ce genre de questions. Cette opération est également impossible sans quantifier la sphère informelle qui permet des consolidations de revenus. Aussi, il ya urgence de dépasser le statu quo actuel suicidaire mettant fin au cancer de l’économie de la rente qui se diffuse dans la société par des subventions généralisées et des versements de traitements sans contreparties productives.
Face à la concentration excessive du revenu national au profit d‘une minorité rentière, renforçant le sentiment d’une profonde injustice sociale, l’austérité n’étant pas partagée, la majorité des Algériens veulent tous et immédiatement leur part de rente, quitte à conduire l’Algérie au suicide collectif. Tout cela renvoie à l’urgence d’une nouvelle gouvernance dont une nouvelle politique salariale qui privilégie les producteurs de richesses et non les rentes.
(Suite et fin)
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul