Une femme humaniste algérienne s’en est allée

Décès d’Annie Steiner

L’engagement totalement désintéressé de la moudjahida Annie Fiorio-Steiner dans la lutte armée pour l’indépendance nationale, motivé par l’humanisme qui était le trait dominant de sa personnalité, a été mis en évidence par les nombreux témoignages exprimés après son décès, à l’âge de 93 ans, chez elle à Alger, mercredi soir 21 avril, et lors de ses obsèques, jeudi 22 avril, au cimetière d’El Alia, où elle a été inhumée dans le carré chrétien.

Cet engagement désintéressé, Annie Steiner l’a prouvé, après l’appel du 1er Novembre 1954, en participant directement à l’action armée à Alger, au sein du FLN, aux côtés de Hassiba Ben Bouali et de Daniel Timsit, dans le réseau de fabrication de bombes. Elle le prouvera encore après l’indépendance, en contribuant en sa qualité de juriste de formation, au lancement de l’administration algérienne et à la rédaction des premiers textes du cadre juridique de l’Algérie indépendante. Les Algériens ont appris à connaître la moudjahida Annie Steiner, en suivant ses interventions à la télévision dans les émissions consacrées à la lutte de libération nationale. Elle avait contribué à rétablir la vérité historique sur la présence des femmes détenues politiques dans les prisons durant la Guerre de libération, en livrant son témoignage poignant, dans un documentaire de Hassan Bouabdellah «Barberousse, mes sœurs» (1985).
Ses interventions à la télévision consacrées à ses compagnons de détention et en particulier les condamnés à mort, ont permis aux jeunes Algériens de prendre connaissance des valeurs et principes qui ont guidé le combat de leurs aînés pour l’indépendance du pays. Elle a ainsi raconté comment elle a suivi de sa cellule à Serkadji, à l’aube du 11 février 1957, l’exécution de Fernand Iveton, guillotiné en même temps que deux autres condamnés, Mohamed Ouenouri et Ahmed Lakhnache, auxquels elle a dédié un poème «Ce matin ils ont osé», écrit dans sa cellule dans le quartier des femmes. Annie Steiner avait été arrêtée en octobre 1956 et jugée en mars 1957, condamnée à cinq ans de réclusion puis détenue successivement dans la sinistre prison de Barberousse (Serkadji), et au pénitencier d’El Harrach, à Blida, à la Petite Roquette à Paris, à Rennes et enfin à la maison d’arrêt de Pau. Elle a subi, en prison, de la part de l’administration coloniale, les pires sévices psychologiques et physiques, et toutes les formes de pressions et d’intimidations.
Née en Algérie, le 7 février 1928 à Hadjout (ex-Marengo) à l’Ouest d’Alger, d’une mère française et d’un père originaire de Florence en Italie, et diplômée de l’Université d’Alger, en 1949, elle se définissait comme humaniste animée par les valeurs de liberté et de justice, et ne ratait aucune occasion pour déclarer publiquement qu’elle a choisi d’être du côté des opprimés. Elle n’acceptait pas le système colonial réduisant le peuple algérien à la misère et à l’exploitation. Issue d’une famille de Pieds-noirs depuis trois générations, elle s’est rendu compte de «l’oppression et de l’injustice du colonialisme français envers le peuple algérien», selon ses propos, et a marqué ouvertement son attachement aux Algériens, que les colons racistes qualifiaient avec mépris d’«indigènes». Signe de cet attachement, elle a appris la langue arabe en cachette dès l`âge de 12 ans.
Elle est devenue Algérienne de fait, après avoir accepté tous les sacrifices dont celui de renoncer à sa propre famille, ses deux filles et son époux, pour se consacrer corps et âme à la lutte pour l’indépendance de son pays. Pour elle, «l’Algérie valait bien plus que tous ces sacrifices !» L’Algérie qu’elle a continué à servir après l’indépendance comme cadre supérieur dans la Fonction publique, dont elle a contribué à la formation de dizaines de cadres, jusqu’à sa retraite en 1990. L’Algérie, son pays, qu’elle n’a jamais quitté et où elle est morte et enterrée. Elle fut l’amie du poète algérien Jean Sénac, des architectes Jean de Maisonseul et Roland Simounet. Dans les premières années de l’indépendance, au moment où le projet de construction de l’hôtel Aurassi était lancé, elle avait transmis au président Ben Bella, avec qui elle travaillait, les remarques de Jean de Maisonseul, défavorables à ce à projet à cause de son impact négatif sur la ligne des crêtes d’Alger. La journaliste Hafidha Ameyar lui a consacré un livre d’entretien «La Moudjahida Annie Fiorio-Steiner : une vie pour l’Algérie».
Lakhdar A.