Attention aux erreurs stratégiques : Qu’en est-il de la rentabilité de l’exploitation du phosphate, du fer et de l’or en Algérie ?

Face aux nouvelles mutations mondiales

Au dernier Conseil des ministres, il a été demandé aux départements ministériels concernés des études sérieuses sur l’opportunité de la valorisation des gisements de fer et de phosphate. Cela ne date pas d’aujourd’hui puisque en tant que jeune conseiller du ministre et l’Industrie et de l’Énergie entre 1974-1977, je rappelle que ces projets avaient été abordés et de nombreuses études ont été réalisées. Et depuis combien ont coûté entre 1980-2019 toutes ces études tant en devises qu’en dinars sans résultats probants ? La commercialisation tant du fer et du phosphate brut que de ses dérivés dépend tant de la stratégie de quelques firmes mondiales qui contrôlent les circuits de commercialisation que du management stratégique interne, qui détermine le coût d’exploitation et de la croissance de l’économie mondiale qui devrait connaître une modification importante de sa structure avec l’avènement de la quatrième révolution économique et sociale entre 2020-2030-2040.

1- Le cas du phosphate – Le prix de la tonne de phosphate brut est fluctuant : en avril 2020, il a été coté à 72,50 dollars la tonne, en mars 71,88, en avril 70,75 dollars, en mai 72,90 dollars et en juin/juillet 2020 75,000 dollars la tonne, ayant été coté en octobre 2019 à 77,50 dollars et en janvier 2020 à 72,50 dollars la tonne. Selon la Banque mondiale, la tendance générale et à moyen terme des prix des produits phosphatés reste orientée à la baisse et le phosphate brut se négocierait en 2020 autour de 80-85 dollars US la tonne métrique, celui du DAP autour de 377,5 dollars US la tonne métrique et le TSP à près de 300 dollars US la tonne métrique. Selon l’agence de notation mondiale, les prix des roches de phosphate sont restés en moyenne à 100 dollars la tonne (sans frais à bord), en 2019/2020 et les prix de la tonne de roche de phosphate (sans frais à bord) à 110 dollars sur le long terme. Le prix des dérivées est très fluctuant l’engrais–urée ayant été coté entre juillet et septembre à environ 260 euros la tonne. L’augmentation de la population mondiale et la demande de nourriture sont un facteur déterminant de la croissance du marché des phosphates. La concurrence sur le marché mondial est très intense et relativement intégrée, avec la présence d’acteurs clés limités qui obtiennent une part importante des revenus mondiaux.
Les principaux intervenants comprennent notamment les Russes Eurochem Group AG et PJSC PhosAgro ; les Canadiens Agrium Inc. et Potash Corp. de Saskatchewan Inc ; le Norvégien Yara International ASA ; les Américains CF Industries Holdings Inc. et Mosaik Co. ; l’Indien Coromandel International Ltd.; le géant marocain OCP S.A. et Israel Chemicals Ltd. Selon US geological survey on phosphate rock 2019, la production minière (+ réserves) en 2018 en milliers de tonnes est ventilée ainsi : États-Unis réserves 27,000 – production (1, 000,000) – Algérie réserves 1,300 – production (2, 200,000) – Australie réserves 3,000- production (1, 100,000) – Brésil réserves 5,400 – production (1, 700,000) – Chine réserves 140,000 – production (3, 200,000) – Egypte réserves 4,600 – production (1, 300,000) – Finlande réserves 1,000-production (1, 000,000) – Inde réserves :1,600-production (46,000) – Israël réserves 3,900- production (67,000) – Jordanie réserves 8,800-production (1,000,000) – Kazakhstan-réserves 1,600 –production (260,000) – Mexique- réserves 2,000 – production (30,000) – Maroc-réserves 33,000 –production (50, 000,000) – Pérou- réserves 3,100 – production (400,000) – Russie-réserves 13,000- production (600,000) – Arabie Saoudite réserves: 5,200 –production (1, 400,000) – Sénégal réserves 1,500- production (50,000) – Afrique du Sud réserves 2,100 -production (1, 500,000) – Syrie réserves 100 -production (1, 800,000) – Togo-réserves 850 -production (30,000) – Tunisie réserves 3,300-production (100,000) – Ouzbékistan réserves 900- production (100,000) – Vietnam réserves 3,300-production (30,000) – Autres pays réserves: 1,300-production (770,000) -Total mondial 270,000 (70,000,000).
Ainsi si l’Algérie exporte trois millions de tonnes de phosphate brut annuellement à un cours moyen de 100 dollars, soit une hypothèse très optimiste par rapport au cours mondiaux, à prix constant 2020, pour 30 millions de tonnes trois (3) milliards de dollars et moins de 2,5 milliards de dollars au cours actuel. Comme dans cette filière, les charges sont très élevées (amortissement et charges salariales notamment) un minimum de 40%, le profit net serait d’environ 1,8 milliard de dollars pour un cours de 100 dollars et moins de 1,4 milliard de dollars pour un cours de 70 dollars. En cas d’association avec un partenaire étranger et prenant selon la règle des 49/51%, le profit net restant à l’Algérie serait légèrement supérieur à 900/700 millions de dollars pour les deux scénarios. On est loin des profits dans le domaine des hydrocarbures.
Pour accroître le profit net, il faut donc se lancer dans des unités de transformation hautement capitalistiques avec des investissements lourds et à rentabilité à moyen terme avec une exportation de produits nobles. Ainsi, sur un marché aussi concurrentiel que l’UE, l’engrais/urée était vendu à plus de 350 euros la tonne en 2014, a été coté en moyenne annuelle en 2017 à 270 euros la tonne, en avril 2018 à 260 dollars et début mai 220 à 250 dollars la tonne métrique. D’une manière générale, les prix sont très volatils supposant une connaissance parfaite du marché boursier international afin d’éviter d’importantes pertes en cas de mauvaises prévisions. Aussi, pour une grande quantité exportable, cela nécessite pour l’Algérie, des investissements très lourds et à rentabilité à moyen terme pas avant 2023/2025 si le projet est en fonctionnement en 2020. Et pour une importante quantité exportable, cela passe par un partenariat avec des firmes de renom, du fait du contrôle de cette filière par quelques firmes au niveau mondial.

2- Le cas du fer – Pour le 20 septembre 2020, le fer est coté à 90 euros la tonne, l’inox 1921 euros la tonne, l’acier 4520 euros la tonne, l’aluminium 1364 euros la tonne, la ferraille 148 euros la tonne, le zinc 1817 euros la tonne, le cuivre 5289 euros la tonne, le plomb 1509 euros la tonne. Donc peu d’évolution pour preuve, le prix de l’inox s’établissait en moyenne, à 2 598 euros la tonne, en hausse de 2,8% sur un an avec une stabilisation en mai 2020 à 2600 euros la tonne, étant très demandé sur le marché mondial, fonction de sa destination et de son applications, classé en quatre catégories, l’aluminium à 1 460 euros la tonne, en baisse de 9,4% sur un mois et de 20,9%, le prix du plomb à 1 658 dollars la tonne, en baisse de 4,4% sur un mois et de 14,5% sur un an, le prix du zinc à 1 903 euros la tonne, stable sur un mois et en baisse de 35,1% sur un an et en novembre 2019, le prix de l’acier à 5400 dollars la tonne, en baisse de 23,6% sur un an et en mai 2020 à 4740 euros du fait de l’épidémie du coronavirus, avril 2020, le prix du fer s’établissait à 85 dollars la tonne, en baisse de 4,7% sur un mois et de 9,6%. Les réserves mondiales de fer sont évaluées selon les organismes internationaux entre 2018/2019 à 85 000 millions de tonnes.
L’Australie arrive en tête avec 23 000 Mt, suivi de la Russie 14000 Mt, du Brésil 12 000 Mt, de la Chine 7 200 Mt, de l’Inde 5 200 Mt, Etats-Unis 3 500 Mt, du Venezuela 2 400 Mt, de l’Ukraine 2 300 Mt, du Canada 2 300 Mt et de la Suède 2 200 Mt, l’Algérie selon les données algériennes des réserves d’environ 3000 tonnes mais avec des gisements exploitables, évalués entre 1 500 et 2 000 Mt. Les principaux pays producteurs de minerai de fer sont – Australie : 39,8% (avec 879 Mt)- Brésil : 19,8% (avec 436 Mt) – Chine : 8,6% (avec 191 Mt) – Inde : 7% (avec 154 Mt) – Russie : 4,6% (avec 101 Mt) – Ukraine : 3,3% (avec 73 Mt) – Afrique du Sud : 3,2% (avec 69 Mt) – Iran : 2,6% (avec 57 Mt) – Canada : 2,2% (avec 49 Mt) – États-Unis : 2% (avec 44 Mt) – Suède : 1,2% (avec 27 Mt) – Kazakhstan : 0,6% (avec 13 Mt) – Autres pays : 5,1% (avec 113 Mt) (Source : Ressources naturelles Canada). L’acier est un produit fondamental à nos modes de vie et est essentiel pour la croissance économique, les 10 plus gros pays producteurs entre 2017/ 2018 sont : la Chine : 831 728 000 tonnes, le Japon : 104 661 000 tonnes, L’Inde : 101 455 000 tonnes, Les Etats-Unis : 81 612 000 tonnes, la Russie : 71 491 000 tonnes, la Corée du Sud : 71 030 000 tonnes, l’Allemagne : 43 297 000 tonnes , la Turquie : 37 524 000 tonnes, le Brésil : 34 365 000 tonnes et l’Italie : 24 068 000 tonnes. En avril 2020, le cours du cuivre s’établissait à 5 058 dollars la tonne, en baisse de 21,4% sur un an.
L’évolution qui n’a pas foncièrement changé depuis 2018. A un cours optimiste de 100 dollars la tonne le fer brut, pour une exportation de 30 millions de tonnes, nous aurons une recette brute 3 milliards de dollars. Mais à ce montant il faudra retirer plus de 50% de charges (le coût d’exploitation est très élevé) restant 1,5 milliards de dollars. Ce montant est à se partager et selon la règle des 49/51%, avec le partenaire étranger restant à l’Algérie en cas de 30 millions de tonnes, moins de 800 millions de dollars. C’est que l’exploitation du fer de Gara Djebilet nécessitera de grands investissements dans les centrales électriques, des réseaux de transport, une utilisation rationnelle de l’eau, des réseaux de distribution qui font défaut du fait l’éloignement des sources d’approvisionnement, tout en évitant la détérioration de l’environnement, car les unités étant très polluantes. Donc, comme pour le phosphate, seule la transformation en produits nobles peut procurer une valeur ajoutée plus importante à l’exportation. Du fait de la structure oligopolistique de la filière mines, au niveau mondial, la seule solution, si on veut exporter ces produits nobles, est un partenariat gagnant/gagnant avec les firmes de renom qui contrôlent les segments du marché international qui n’accepteront pas la règle restrictive des 49/51% avec les lourdeurs bureaucratiques, les décisions se prenant en temps réel au niveau du commerce international.

3- Sans vision stratégique, les pertes peuvent se chiffrer pour l’Algérie en dizaines de milliards de dollars. Il s’agit d’éviter les erreurs du passé par des évaluations sérieuses en termes de rentabilité et sans un partenariat solide, il est vain de pénétrer le marché mondial et encore moins la filière minière contrôlée par quelques firmes internationales. Autant que pour le fer, le phosphate ou les unités de ciments énergivores, l’input essentiel est le gaz naturel devant faire un arbitrage entre le prix de cession sur le marché international et la cession aux unités pour dégager une forte valeur ajoutée. Ainsi le prix de revient de la tonne d’ammoniac à un cours de 4 dollars/mmBTU serait à 114 euros la tonne et au contraire à 7 dollars, nous aurons 200 euros la tonne avec une baisse ces 10 dernières années de 10), 15% selon les zones géographiques. Pour le cas des mines d’or, qui nécessite un long savoir-faire, des techniques de pointe et beaucoup d’eau douce, évitons l’expérience malheureuse du lourd passif, avec la compagnie australienne, Gold Mining of Algeria (GMA) où les réserves pour l’Algérie selon le Conseil mondial de l’or (WGC) du 23 janvier 2020, sont de 173,6 tonnes, pour une valeur (1 once = 28,3495 grammes) au cours du 23/9/2020 de 1901,42 dollars l’once, nous donnant une valeur en To , 9,5 milliards de dollars , mais dont le volume n’a pas augmenté d’un iota depuis 2007, l’ENAOR étant en déficit structurel entre 2010/2019.
Tout cela pose la problématique de la maîtrise du management stratégique. Comme cette dérive du montage de voitures où l’on a pu constater actuellement que c’était un montage pour trafic de transfert de devises, allant à des faillites prévisibles , après avoir perçu des avantages financiers et fiscaux considérables. Comme cette utopie de dizaines de complexes de ciment où nous assistons actuellement à la sous-utilisation de capacités avec le risque du refroidissement si le stockage est de longue durée, accroissant les coûts, alors inutilisables pour la construction, excepté Lafarge qui a des points d’appui en Afrique à travers ses filiales étant difficile pour les autres unités d’exporter où, contrairement à certains discours ne reposant sur aucune étude de marché sérieuse, les parts de marché étant déjà pris avec de nombreux complexes en voie de réalisation au niveau du bassin méditerranéen.
Pour ce cas, de nouvelles méthodes de construction au niveau mondial sont en cours économisant le rond à béton, le ciment et l’énergie et comme en Allemagne, est d’utiliser le béton pour construire les routes revenant souvent moins cher que le bitume importé. L’Algérie a besoin d’une vision stratégique au sein de laquelle doit s’insérer la politique industrielle, afin de s’adapter aux nouvelles filières mondiales poussées par l’innovation perpétuelle. Evitons les utopies : l’Algérie dépendra encore pour de longues années des hydrocarbures, les autres matières premières permettant de réaliser tout juste un profit moyen devant investir dans les institutions démocratiques, l’éducation, la transition numérique et énergétique. Aucun pays dans le monde qui a misé uniquement sur les matières premières brutes n’a réussi son développement. Depuis que le monde est monde et cela s’avère plus vrai avec la quatrième révolution économique mondiale 2020/2030/2040 la prospérité des différentes civilisations a toujours reposé sur la bonne gouvernance, le travail, la recherche théorique et appliquée, un pays sans son élite étant comme un corps sans âme.
Professeur des universités Expert international Dr Abderrahmane Mebtoul