Face aux tensions économiques et sociales, quelle gouvernance pour le redressement national ?

Economie

Face aux tensions économiques et sociales entre 2021/2022, s’impose un discours de vérité loin des promesses utopiques facteurs de démobilisation. Pour le cas Algérie, il ne faut pas être utopique, sans bonne gouvernance, la sécurité, la stabilité politique sociale et un investissement massif dans pas seulement les segments productifs y compris les services mais dans les institutions démocratiques , il ne peut y avoir de développement. Et l’on ne peut parler de moralisation sans que le gouvernement ne change sa gouvernance.

Par ailleurs, c’est une loi universelle, l’on ne créé pas d’emplois par des actes administratifs étant du seul ressort des entreprises créatrices de richesses, le versement de salaires sans contreparties productives induisant forcément l’inflation, l’actuelle politique salariale étant totalement à revoir car favorisant le nivellement par le bas et les emplois rentes.

1- De vives tensions économiques et sociales entre 2021/2022
Le rapport publié par le FMI intitulé «Perspectives économiques régionales au Moyen-Orient et en Asie centrale 2021 », a prévu pour l’Algérie un taux de croissance, pour 2021, de 2,9% et un PIB brut de 153,5 milliards de dollars, contre 200 en 2018 et 160 en 2019. La crise du Covid-19, a exposé les banques locales à dépasser 45% du total de leurs actifs bancaires avec une dette publique totale par rapport au PIB de 63,3%, contre 53,1% en 2020, et que la dette publique nette totale représentera 60,5%, contre 50,4% en 2020. Les dégâts causés par la crise sanitaire induite par la propagation de l’épidémie du coronavirus et par la chute des prix de pétrole, le taux de chômage incluant la sphère informelle et les emplois rente, devrait atteindre 14,5 en 2021, et 14,9% en 2022, contre 14,2% en 2020, ce taux dépassant les 30% pour les catégories 20/30 ans et paradoxalement les diplômés.
Quant au start-up, il leur fait un environnement productif favorable étant des prestataires de services, ne pouvant donc évoluer dans le temps que dans un cadre stratégique clair, que si elles ont un marché. Or, le tissu économique est caractérisé actuellement par plus de 95% étant des unités personnelles ou de petites SARL à gestion familiale peu innovatrices dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15%, la restriction des importations ayant occasionné des ruptures d’approvisionnement. où selon les organisations patronales plus de 50% des activités sont en sous capacités. Le risque est de se retrouver avec le même impact négatif de faillites comme les nombreux projets de l’ANEJ. Le montant des services ont fluctué entre 10/11 milliards de dollars par an entre 2010/2019 accroissant les tensions financières, l’Algérie possédant pas à ce jour de véritables bureaux d’études pluridisciplinaires complexes, renvoyant à l’exode de cerveaux où une dernière enquête internationale d’avril 2021 est inquiétante, plus de 80% des compétences désirant s’expatrier et dans ce cas il est utopique de parler de l’économie de la connaissance où les discours sont en contradiction avec la l réalité, le primat des salaires rente.
Ce faible taux de croissance a des incidences sur le niveau des réserves de change, qui ont été en 2013 de 194,0 milliards de dollars, en 2018 : de 79,88 milliards de dollars, en 2019 : 62 milliards de dollars et fin 2020, entre 42/43 milliards de dollars. Les réserves de change ont baissé entre 2019/2020 de 20 milliards de dollars. Pour le PLF-2021, au cours de 128 dinars un dollar au moment de l’établissement de la loi, nous avons un déficit budgétaire record de plus de 21,75 milliards de dollars contre à la clôture 2020 de 18,60 milliards de dollars avec un déficit global du trésor de 28,26 milliards de dollars, soit 17,6% du PIB. Comme conséquence une baisse du taux de croissance du PIB à prix courant, tiré essentiellement par la dépense publique via la rente des hydrocarbures, qui a été en 2019 de 0,8%, en 2020 moins 6% avec une prévision de 2,9% en 2021 alors que le taux de croissance se calcule par rapport à la période précédente, le taux de croissance négatif positif en 2021, rapporté à 2020, moins de 6% donne toujours un taux de croissance faible, en termes réel entre 0 et 1% largement inférieur à la croissance démographique, supposant un taux de croissance de 8/9% afin d’absorber 350 000/400 000 emplois par an.
On ne peut tout restreindre, quitte à étouffer tout l’appareil productif quitte à aller vers une implosion sociale avec un taux de chômage ayant avoisiné 15% en 2020. Cette faiblesse du taux de croissance a un impact sur l’évolution de la cotation du dinar corrélée aux réserves de change via les recettes d’hydrocarbures à plus de 70% qui a évolué ainsi de la période de 2001 à mai 2021 :
– 2001 : 77,26 dinars un dollar et 69,20 dinars un euro
– 2018 : 116,62 dinars un dollar et 137,69 dinars un euro
– 2019 : 119,36 dinars un dollar et 133,71 dinars un euro
– 2020 : 128,31 dinars un dollar et 161,85 dinars un euro avec un cotation sur le marché parallèle malgré la fermeture des frontières entre 210/211 dinars un euro.
Selon la BA, le dinar a repris sa dépréciation étant coté officiellement entre le 6 et 10 mai 2021, de 133,7398 dinars un dollar et 160, 8221dinars un euro. Le gouvernement projette dans le PLF-2021, une amplification de sa dévaluation, 2022, 149,32 DA pour 1 USD et pour 2023 156,72 dinars un dollar. Cette dévaluation qui ne dit pas son nom permet d’augmenter artificiellement la fiscalité hydrocarbures (reconversion des exportation hydrocarbures en dinars) et la fiscalité ordinaire (via les importations tant en dollars qu’en euros convertis en dinar dévalué), cette dernière accentuant l’inflation des produits importés (équipements), matières premières, biens finaux, montant accentué par la taxe à la douane s’appliquant à la valeur dinar, étant supportée en fin de parcours, par le consommateur comme un impôt indirect, l’entreprise ne pouvant supporter ces mesures que si elle améliore sa productivité. Quant aux taux officiel de l’inflation, selon les données officielles, cumulé, il a dépassé les 82% entre 2000/2020 et en redressant les taux de 20%, nous avons une détérioration du pouvoir d’achat durant cette période de 100% avec une concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité rentière où fait nouveau, une partie de la classe moyenne commence à disparaître graduellement et à rejoindre la classe pauvre, l’inflation et c’est une loi universelle jouant comme facteur de concentration au profit des revenus variables et au détriment des revenus fixes.
Les tensions sociales, tant qu’il y a la rente, sont atténuées artificiellement grâce aux recettes des hydrocarbures qui permettent des subventions et transferts sociaux représentant 23,7% du budget général de l’Etat et 9,4% du PIB pour l’exercice 2021, mais mal gérés et mal ciblés. Ces tensions sociales sont également atténuées par la crise du logement qui renforce la solidarité familiale (même marmite, mêmes charges), assurant une paix sociale transitoire. L’effet d’anticipation d’une dévaluation rampante du dinar, via la baisse de la rente des hydrocarbures, risque d’avoir un effet négatif sur toutes les sphères économiques et sociales avec l’accroissement des inégalités sociales, l’extension de a sphère informelle, entre 33 et 45% de la masse monétaire en circulation selon des données officielles contradictoires,(6.000 et 10.000 milliards de dinars) dont le taux d’intérêt des banques qui devraient le relever de plusieurs points, l’ajustant aux taux d’inflation réel, freinant à terme le taux d’investissement à valeur ajoutée. La stratégie hors hydrocarbures demande du temps, devant raisonner toujours en dynamique. Pour les PMI/PME, si le projet est lancé en 2021, sa rentabilité est pour 2024/2025 les projets hautement capitalistiques comme le complexe de phosphate de Tebessa, le fer de Gara Djebilet et le phosphate, n’étant encore qu’en intention,2027/2028.

2- Face à la crise économique, quelle gouvernance pour atténuer les tensions sociales
La crise étant multidimensionnelle, politique, économique, sociale culturelle, cela implique plusieurs actions coordonnées au sein d’une planification stratégique.
– Premièrement, tout plan de relance doit reposer sur un diagnostic serein du tissu productif le secteur industriel représentent moins de 6% du produit intérieur brut, 98% des recettes du pays avec les dérivées provenant des hydrocarbures où le taux d’intégration tant des entreprises publiques que privées ne dépasse pas 15% avec la non adaptation aux nouvelles technologies et au nouveau mangement stratégique.
– Deuxièmement, ce plan doit reposer sur une nouvelle gouvernance nationale et locale.
– Troisièmement, sur de nouvelles organisations à travers des réseaux, loin de l’ancienne organisation hiérarchique rigide, impliquant les élus locaux et la société civile, entrepreneurs publics, privés,banques, universités, centre de recherche, associations., plus de décentralisation et non déconcentration autour de quatre à six grands pôles économiques régionaux.
– Quatrièmement, la démarche méthodologique, doit partir du général, du macroéconomique et macro social interne, puis aux réseaux intermédiaires et enfin au niveau micro économique aux projets fiables dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux, ne pouvant pas tout produire.
– Cinquièmement, tout plan opérationnel doit s’inscrire dans le cadre des filières internationalisées tenant compte de la transition numérique et énergétique, en étant réaliste les hydrocarbures traditionnels resteront encore pour 5 à 10 ans la principale ressource en devises du pays.
– Sixièmement, au niveau national l’on devra élaborer des stratégies d’adaptation pour couvrir à la fois le marché intérieur et les exportations hydrocarbures et autres en conciliant l’efficacité économique et la cohésion sociale par le dialogue social.
– Septièmement, la mobilisation des ressources tant humaines et ajuster les ressources financières où l’on devra distinguer la partie dinars et la partie devises avec un planning daté pour éviter les réévaluations permanentes, des projets non matures afin de lutter contre les surcouts, en dressant une balance devises.

Mais les conditions technique ne suffisent pas, devant avoir une communication transparente facteur de mobilisation, renvoyant à la gouvernance politique reposant sur plusieurs axes.
– Premièrement ; il s’agira de préparer l’opinion médiatiquement et organiquement à l’esprit des réformes contenu dans le plan de relance en utilisant les médias lourds- du fait de la tradition orale de l’Algérien Ainsi, les actions et les déclarations doivent être inventoriées, sans tomber dans le piège de l’autosatisfaction et du dénigrement, ni tomber dans le populisme médiatique qui serait alors contreproductif.
– Deuxièmement, le discours doit être rassembleur. L’opinion publique nationale se ligue normalement autour de la femme et de l’homme rassembleur capable de lui réaliser un certain accomplissement.
– Troisièmement la communication doit être audible loin des discours techniques incompréhensibles pour le commun des citoyens, s’imprégner de choses banales tirées du quotidien.
– Quatrièmement, la compagne d’explication des réformes doit éviter l’essoufflement et la monotonie thématiquement ou théâtralement avec un marketing basé sur le sérieux en évitant que les déclarations et les gestes de ceux qui défendent les réformes ne soient un objet de caricatures ou de plaisanteries soit dans la presse soit dans les espaces publics.
– Cinquièmement, la communication doit être réaliste et porteuse d’espoir. Les Algériens sont angoissés et même très angoissés par les assauts de la nature, par la violence humaine et les déchéances sociales et économiques. Le programme des réformes doit trouver des réponses réelles qui répondent en priorités à ces angoisses.
– Sixièmement, la crise actuelle qui touche tous les pays du monde peut être un facteur catalyseur de mobilisation.. Le concept de crise que traverse notre pays doit se hisser au niveau de la crise du monde et ne pas rester une crise de société bloquée.
– Septièmement, tout projet étant porté par des forces politiques, sociales et économiques avec des interactions souvent contradictoires entre des segments internes et externes, renvoyant à des luttes d’intérêt, il s’agira de porter une attention particulière à la frénésie qui semblent s’emparer de certains hostiles aux réformes en occupant des postes clefs sensibles au niveau des structures de l’Etat grâce aux réseaux de clientèles tissés depuis des décennies qui constitue un sérieux handicap qu’il conviendra de lever progressivement, sans verser dans le règlement de comptes inutiles.
– Huitièmement, un changement de culture et de comportements des dirigeants afin de favoriser la mobilisation et de la symbiose Etat –citoyens, c’est aux dirigeants de rassembler à leur peuple et non au peuple de ressembler à ses dirigeants.
Le principe est de travailler pour consolider la diversité et la pluralité tout en cultivant l’unité de la nation Si l’organisation administrative de l’espace est souvent source de conflits concurrences, les hommes eux vivent un rapport plus fécond et plus harmonieux avec leur espace qui n’est pas celui de l’administration comme l’a démontré brillamment l’expert de renommée mondiale, Hernando DE SOTO sur Etat de Droit et sphère informelle (dans l’ ouvrage du Docteur Abderrahmane MEBTOUL – l’Algérie face aux enjeux de la mondialisation –perspectives: bonne gouvernance, démocratie et économie de marché (édition Dar El Ghjarb 2004).

En résumé, la réussite de la relance économique implique une mobilisation générale, reposant sur un sacrifice partagé, une lutte contre la corruption et la mauvaise gestion et surtout une vision stratégique évitant de naviguer à vue au gré de la conjoncture. En cette période historique de super médiatisation, cela implique un nouveau système d’information et de communication. C’est pourquoi, il faut insister sur l’effort d’une information de vérité, qui doit lui être associée pour montrer opérationnalité des réformes au profit de toute la population, évitant la marginalisation de pans de la société. Il y a urgence d’ une cohérence et visibilité dans la politique économique et qui n’est possible que par des stratégies d’adaptation, et en approfondissant les réformes structurelles qui forcément déplacent les segments de la rente, d’où de fortes résistances sociales des tenants de la rente qui versent justement dans la sinistrose pour bloquer les réformes. C’est un défi à la portée de l’Algérie afin d’éviter sa marginalisation et les tensions sociales. Ou l’Algérie, comme je l’avais noté lors d’une conférence devant les membres du gouvernement en novembre 2014, réalise cette transition nécessaire entre 2021/2030, ou elle ratera cette chance historique, ce qu’aucun patriote ne souhaite. En bref, l’Algérie est un pays dynamique, plein de vitalité, qui se cherche et cherche sa voie étant un acteur déterminant de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine, sous réserve d’un renouveau de la gouvernance, sans laquelle aucun développement ne peut se faire.
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul