Ibn El-Arabi, métaphysicien et grand saint musulman

Figures de l’islam

Après Sidi Boumediene et Abdelkader El-Djilani, Ibn El-Arabi a été l’une des figures de proue du soufisme et de la philosophie mystique de l’Islam.

On ne peut pas parler d’Ibn El Arabi en quelques pages tant son œuvre est immense. Il est l’auteur de près de 400 titres d’ouvrages qu’on n’a pas dû décortiquer, faute de volonté à l’avantage d’un public en mal de connaissances dans des domaines sensibles que sont l’Islam et la philosophie. De l’avis des analystes méthodiques, Ibn El Arabi a été l’un des plus prolifiques tout en étant clair et concis dans ses écrits. Pour lui, l’idée préexiste à la matière dans la science divine Il appelle idée, la lettre qui peut se matérialiser et s’unir à une autre, à d’autres lettres. «Le monde visible est le produit de cette agrégation d’idées». Il compare l’univers à un livre fait d’un assemblage de lettres liées et enchaînées selon des règles. N’est-il donc pas possible de voyager dans le passé et de prédire l’avenir moyennant un enchaînement des lettres en parfaite concordance avec les idées ininterrompues. Cependant, est limité dans ses investigations celui qui peut atteindre les lettres en ne percevant que les phénomènes.
La divinité lui reste cachée. Cette dernière se manifeste sous différentes formes dans une nature changeante. Pour le mystique, c’est là une manifestation de la divinité. Au cours de l’histoire, les chercheurs arabes qui se sont évertués à reconstituer sa vie et son œuvre se sont limités à n’en donner qu’un aperçu, comme ce fut le cas de Mohamed Ali Aïni. Ce dernier a découvert chez le philosophe mystique que la divinité passe de la détermination à l’indétermination selon un cycle, celui de l’éternité, au cours d’une vie sans fin. «Le mouvement en question, dit le philosophe dans le Fosûs, c’est la vie; il n’y a point de repos, il n’y a point de mort, il n’y a point non plus de néant». Peut-on dire, autrement, que c’est l’éternel recommencement. Et là où Ibn El Arabi rejoint les scientifiques du monde moderne, c’est lorsqu’il dit que rien ne se perd, tout se transforme ici-bas. «La nature n’augmente ni ne diminue, elle est naturante et naturée.
Tout ce qui existe dans l’univers se transforme et se renouvelle sans cesse et il n’y a pas lieu de distinguer les êtres des choses, puisque les uns et les autres sont formés des mêmes atomes, des mêmes lettres». Il y a des attributs divins dans la nature humaine «Adam, dit Ibn El Arabi, dans l’ordre de la création possède la sagesse divine, la pensée qui lui vaut tous ses succès sur la nature. Ce qui veut signifier que l’homme est détenteur des attributs divins. Spirituellement, l’homme a été créé dans un processus de prééternité, le monde ici-bas est le monde par l’existence de l’homme par opposition à l’au-delà qui est sa demeure éternelle». Dans les points de vue successifs étalés sur des siècles de vie humaine, il y a du vrai et du faux. Le vrai est perçu comme l’essentiel; quant au faux, c’est un accident.
Mais il faut du faux, peut-être, pour mieux mettre en évidence le vrai, sur tout ce qui concerne par exemple la relation avec Dieu, la liberté humaine, le libre arbitre. Ibn El Arabi considère comme une insoumission à Dieu, le libre arbitre. «La volonté n’est que l’abandon de la volonté», précise-t-il. La notion du devoir renvoie à l’existence de Dieu et la morale est constituée des enseignements de Dieu ainsi que de la sagesse de ses envoyés et des saints du présent et du passé. Définissant cette morale comme un ensemble de vertus parmi lesquelles prédomine la charité, il dit, et ceci est important pour nos contemporains qui n’ont rien compris aux phénomènes religieux de type extrémiste : «Au lieu de partir en guerre par zèle divin, pour massacrer ses semblables, il est préférable de les traiter avec charité». Autrement dit, au lieu du meurtre au titre du talion, il est préférable d’user du pardon car de la sorte on ne tuera pas un homme de plus.

Il existe deux catégories d’hommes
Il y a les hommes animaux et les hommes réels. Seuls ces derniers ont la possibilité de se perfectionner. Si Ibn El Arabi admet l’esclavage, il est cependant impératif de traiter les esclaves avec bonté. Ce sont des hommes, nos frères, chacun d’eux étant un esclave de Dieu. «Ne fais jamais à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse». Ce proverbe ancien et traduit dans toutes les langues se résume par ces paroles d’Ibn El Arabi : «Nous devons traiter nos esclaves comme nous voudrions être traités. Cette charité, cette pitié ne doit pas être refusée aux animaux, car ce sont aussi des créatures. Les deux grandes vertus sont l’amour et la charité».
Pour lui, le bonheur réside dans la liberté d’action, le respect d’autrui, l’honnêteté, l’examen de conscience en toute liberté d’esprit. Parlant de l’existence de Dieu, le philosophe dit qu’on ne pourrait parvenir à sa conscience que par un examen de conscience et des créatures, au contraire du raisonnement dialectique si cher à Ibn Sina et El Ghazali. Dieu est resté dans le même état qu’il était avant la création de l’univers, et pour les polythéistes, il est vain de chercher des associés de Dieu. Rien ne ressemble à Dieu et l’Absolu est toujours inaccessible et inconnaissable dans son essence.
On ne peut pas terminer sans ajouter qu’Ibn El Arabi mérite pleinement le titre de sultan des saints, par ses qualités d’homme de religion et d’humanisme universaliste. Sa philosophie mystique qui a éclairé les musulmans de tous les temps venus à lui et à ses ouvrages immenses en faisant contrairement l’effort de mieux le connaître, est un atout important à l’Islam, tant notre religion a besoin de discours philosophique pour devenir épanouissante et une source de bonheur dans la mesure où ce discours apporte les clés aux énigmes du texte coranique aux hadiths authentiques. Ce qui a toujours été préconisé par Arkoun.
Abed Boumediene