La théorie keynésienne de la planche à billets peut-elle s’appliquer à l’économie algérienne ?

Economie

Au moment où certains observateurs évoquent le recours à la planche à billets afin d’éviter le recours au financement extérieur, l’objet de cette contribution est de rappeler les fondements du modèle keynésien pour ensuite voir s’il s’applique à l’expérience récente algérienne notamment à travers la dépense publique via le financement non conventionnel, puisque le fondement de sa réussite repose sur la théorie keynésienne de la relance de la demande globale à travers l’émission monétaire.

L’ex-gouvernement avait amendé l’article 45 de la loi sur la monnaie et le crédit en recourant au financement non conventionnel sans introduire l’institutionnalisation dans cette loi du comité de surveillance, composé d’experts indépendants, pour éviter toute dérive. Face aux tensions économiques et sociales entre 2021/2022, s’impose un discours de vérité loin des promesses utopiques facteurs de démobilisation. Le gouvernement actuel transitoire, sa marge de manœuvre étant étroite, un nouveau gouvernement en principe devant été mis en place fin juin 2021, se trouve face à un dilemme du fait du retard dans les réformes structurelles : augmenter les salaires via la planche à billets (financement non conventionnel), la théorie néokeynésienne de relance de la demande globale à travers l’émission monétaire, et se trouve en face d’une spirale inflationniste incontrôlable comme au Venezuela.
Ne pas les augmenter et se trouver devant l’intensification des revendications sociales face aux nombreux scandales financiers exigeant un sacrifice partagé, que l’Etat et les hommes chargés de gérer la Cité donnent l’exemple, pour la nécessaire cohésion sociale. Cela implique un renouveau de la gouvernance tenant compte des aspects de structures de l’économie internationale et de l’économie interne de l’Algérie qui après plusieurs décennies d’indépendance politique repose en ce mois de mai 2021 toujours sur la rente des hydrocarbures (98% des recettes en devises avec les dérivées).

1- Les fondements de la théorie keynésienne
La base de la pensée keynésienne réside dans le fait de considérer que la demande effective (c’est-à-dire le niveau de consommation et le niveau d’investissement) détermine le niveau de production donc le niveau de l’emploi. Les «stratégies» politiques de relance keynésienne se fondent également sur l’importance du rôle de l’Etat dans l’économie. Keynes ne croit pas à l’autorégulation de l’économie par les mécanismes naturels des lois du marché. L’Etat doit donc intervenir en tant qu’agent régulateur car le capitalisme livré à lui-même ne peut que conduire à des crises chroniques. C’est à l’Etat d’intervenir pour relancer la demande de biens de consommation et de biens d’investissement. Keynes a en quelque sorte été l’artisan du développement de l’Etat providence après la Seconde Guerre mondiale. Keynes conteste totalement les fondements de l’analyse classique libérale. Keynes raisonne au niveau macroéconomique et considère que la «théorie classique n’est applicable qu’au cas du plein emploi». Or écrivant durant la période de crise de l’entre-deux guerres ce qui l’intéresse c’est ce qui se passe en période de sous-emploi. De cela découle deux points clés : l’offre ne crée pas comme chez Jean-Baptiste Say sa propre demande mais dépend de la demande effective ; à la différence des classiques la monnaie n’est pas une voile mais influe sur l’économie réelle.
La demande effective est la demande anticipée par les entrepreneurs. Ces derniers calculent la production qu’ils doivent réaliser afin d’offrir la quantité optimale de biens et de services demandée par les agents économiques. Le sous emploi des facteurs de production est selon Keynes dû au fait que les entrepreneurs ont des anticipations pessimistes et sous-estiment la demande effective. Keynes à la différence de Jean-Baptiste Say et des néo-classiques ne raisonne pas dans le cadre d’une «parfaite rationalité des agents et d’une information parfaite sur la situation présente et future» aussi la demande effective dépend de prévisions d’agents qui peuvent ne pas conduire au plein emploi. Pour Keynes, le salaire n’est pas seulement un coût, c’est aussi un déterminant important de la demande. Par ailleurs pour lui le mécanisme des prix sur le marché du travail n’aboutit pas usuellement au plein emploi d’où l’introduction de la notion de chômage involontaire. Pour les classiques, l’offre de travail par les salariés dépend du salaire réel. S’il y a du chômage, c’est que le salaire réel est supérieur à la productivité marginale du travail. Le chômage ne peut être que volontaire, c’est-à dire venant du refus de travailler au nouveau salaire d’équilibre.
Pour Keynes, les salaires nominaux ne peuvent pas baisser pour les raisons suivantes :
a) des salaires nominaux sont liés à la négociation des contrats
-b) une baisse des salaires nominaux entraînerait une baisse de la demande qui provoquerait à son tour la baisse de la production.
Demande effective en économie fermée, se compose de la consommation + l’investissement (C+I). La consommation est le fait de consommer des biens et services, dans le but de satisfaire des besoins ou des désirs. L’épargne est la partie du revenu qui n’est pas consommée, à la différence des classiques pour qui l’épargne dépend du taux d’intérêt, chez Keynes, elle dépend du revenu et l’investissement dépend du taux d’intérêt et de l’efficacité du capital utilisé. Enfin relatif à la théorie de la monnaie, cette dernière répond au motif de précaution ou de transaction dépendant du revenu global (contrairement à la théorie ultra- libérale néo-classique) et est détenue pour trois raisons : pour motif de spéculation, motif de transaction et motif de précaution ou le désir de sécurité en ce qui concerne l’équivalent futur en argent d’une certaine proportion de ses ressources totales. L’auteur aborde alors les raisons de l’intervention de l’Etat. Pour Keynes, en période de récession seul l’Etat est en mesure de stimuler la demande lorsque celle-ci est insuffisante.
En effet, en période de crise, les agents économiques ne dépensent pas et les entreprises n’investissent pas. L’investissement ne peut donc «repartir» que si les anticipations des entreprises sont positives. Keynes préconise donc des mesures de relance. Il s’agit de redonner confiance aux consommateurs ; de mettre en œuvre des moyens de répartition des richesses permettant aux agents économiques qui ont la propension moyenne à consommer la plus élevée (c’est-à-dire les catégories sociales les plus «défavorisées») de dépenser pour mieux relancer la machine économique ; de baisser les taux d’intérêts pour stimuler le crédit à la consommation et aux investissements et enfin d’engager une politique de grands travaux publics qui provoqueront un effet multiplicateur de revenus et accélérateur d’investissements.
Le rôle de l’Etat consiste donc à injecter des revenus pour «doper» la machine économique. La reprise de la consommation entraînera une augmentation des investissements donc la situation de l’emploi s’en trouvera améliorée, et ce grâce au multiplicateur de revenus. L’idée de départ est la suivante : toute injection de revenus dans l’économie par l’Etat provoquera une augmentation du revenu national qui lui est bien supérieure. L’efficacité d’une relance de la consommation dépend donc de l’importance de la propension marginale à consommer (c’est-à-dire la tendance des agents économiques à consommer un supplément de revenus). Mais, l’effet d’une relance ne pourra être réellement mesuré que par le jeu du multiplicateur et de l’accélérateur.

2- La théorie keynésienne et la situation de l’économie algérienne
Le rapport publié par le FMI intitulé «Perspectives économiques régionales au Moyen-Orient et en Asie centrale 2021» a prévu pour l’Algérie un taux de croissance, pour 2021 de 2,9% et un PIB brut de 153,5 milliards de dollars, contre 200 en 2018 et 160 en 2019. La crise du Covid-19 a exposé les banques locales à dépasser 45% du total de leurs actifs bancaires avec une dette publique totale par rapport au PIB de 63,3%, contre 53,1% en 2020, et que la dette publique nette totale représentera 60,5%, contre 50,4% en 2020. Les dégâts causés par la crise sanitaire induite par la propagation de l’épidémie du coronavirus et par la chute des prix de pétrole, le taux de chômage incluant la sphère informelle et les emplois rente, devrait atteindre 14,5 en 2021, et 14,9% en 2022, contre 14,2% en 2020, ce taux dépassant les 30% pour les catégories 20/30 ans et paradoxalement les diplômés. Quant au start-up, il leur fait un environnement productif favorable étant des prestataires de services, ne pouvant donc évoluer dans le temps que dans un cadre stratégique clair, que si elles ont un marché. Or, le tissu économique est caractérisé actuellement par plus de 95% étant des unités personnelles ou de petites Sarl à gestion familiale peu innovatrices dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15%, la restriction des importations ayant occasionné des ruptures d’approvisionnement.
Où selon les organisations patronales plus de 50% des activités sont en sous capacités. Le risque est de se retrouver avec le même impact négatif de faillites comme les nombreux projets de l’Ansej. Le montant des services ont fluctué entre 10/11 milliards de dollars par an entre 2010/2019 accroissant les tensions financières, l’Algérie possédant pas à ce jour de véritables bureaux d’études pluridisciplinaires complexes, renvoyant à l’exode de cerveaux où une dernière enquête internationale d’avril 2021 est inquiétante, plus de 80% des compétences désirant s’expatrier et dans ce cas, il est utopique de parler de l’économie de la connaissance où les discours sont en contradiction avec la réalité, le primat des salaires rente. Ce faible taux de croissance. Cela a des incidences sur le niveau des réserves de change, qui ont été en 2013 de 194,0 milliards de dollars, en 2018 : de 79,88 milliards de dollars, en 2019 : 62 milliards de dollars et fin 2020, entre 42/43 milliards de dollars. Les réserves de change ont baissé entre 2019/2020 de 20 milliards de dollars. Pour le PLF-2021, au cours de 128 dinars un dollar au moment de l’établissement de la loi, nous avons un déficit budgétaire record de plus de 21,75 milliards de dollars contre à la clôture 2020 de 18,60 milliards de dollars avec un déficit global du trésor de 28,26 milliards de dollars, soit 17,6% du PIB.
Comme conséquence une baisse du taux de croissance du PIB à prix courant, tiré essentiellement par la dépense publique via la rente des hydrocarbures, qui a été en 2019 de 0,8%, en 2020 moins 6% avec une prévision de 2,9% en 2021 alors que le taux de croissance se calcule par rapport à la période précédente, le taux de croissance négatif positif en 2021, rapporté à 2020, moins de 6% donne toujours un taux de croissance faible, en termes réel entre 0 et 1% largement inférieur à la croissance démographique, supposant un taux de croissance de 8/9% afin d’absorber 350 000/400 000 emplois par an. On ne peut tout restreindre, quitte à étouffer tout l’appareil productif, quitte à aller vers une implosion sociale avec un taux de chômage ayant avoisiné 15% en 2020. Cette faiblesse du taux de croissance a un impact sur l’évolution des réserves de change et de la cotation du dinar. L’évolution du cours officiel du dinar corrélé aux réserves de change via les recettes d’hydrocarbures à plus de 70% a évolué ainsi de la période de 2001 à mai 2021 : – 2001 : 77,26 dinars un dollar et 69,20 dinars un euro – 2018 : 116,62 dinars un dollar et 137,69 dinars un euro – 2019 : 119,36 dinars un dollar et 133,71 dinars un euro – 2020 : 128,31 dinars un dollar et 161,85 dinars un euro avec une cotation sur le marché parallèle malgré la fermeture des frontières entre 210/211 dinars un euro.
(A suivre)
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul