La théorie keynésienne de la planche à billets peut-elle s’appliquer à l’économie algérienne ?

Economie

Au moment où certains observateurs évoquent le recours à la planche à billets afin d’éviter le recours au financement extérieur, l’objet de cette contribution est de rappeler les fondements du modèle keynésien pour ensuite voir s’il s’applique à l’expérience récente algérienne notamment à travers la dépense publique via le financement non conventionnel, puisque le fondement de sa réussite repose sur la théorie keynésienne de la relance de la demande globale à travers l’émission monétaire.

Le gouvernement projette dans le PLF-2021, une amplification de sa dévaluation pour 2022, 149,32 DA pour 1 USD et pour 2023, 156,72 dinars un dollar. Cette dévaluation qui ne dit pas son nom permet d’augmenter artificiellement la fiscalité hydrocarbures (reconversion des exportation hydrocarbures en dinars) et la fiscalité ordinaire (via les importations tant en dollars qu’en euros convertis en dinar dévalué), cette dernière accentuant l’inflation des produits importés (équipements), matières premières, biens finaux, montant accentué par la taxe à la douane s’appliquant à la valeur dinar, étant supportée en fin de parcours, par le consommateur comme un impôt indirect, l’entreprise ne pouvant supporter ces mesures que si elle améliore sa productivité. Quant aux taux officiel de l’inflation, selon les données officielles, cumulé, il a dépassé les 82% entre 2000/2020 et en redressant les taux de 20%, nous avons une détérioration du pouvoir d’achat durant cette période de 100% avec une concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité rentière où fait nouveau, une partie de la classe moyenne commence à disparaître graduellement et à rejoindre la classe pauvre, l’inflation et c’est une loi universelle jouant comme facteur de concentration au profit des revenus variables et au détriment des revenus fixes. Les tensions sociales, tant qu’il y a la rente, sont atténuées artificiellement grâce aux recettes des hydrocarbures qui permettent des subventions et transferts sociaux représentant 23,7% du budget général de l’Etat et 9,4% du PIB pour l’exercice 2021, mais mal gérés et mal ciblés. Ces tensions sociales sont également atténuées par la crise du logement qui renforce la solidarité familiale (même marmite, mêmes charges), assurant une paix sociale transitoire. L’effet d’anticipation d’une dévaluation rampante du dinar, via la baisse de la rente des hydrocarbures, risque d’avoir un effet négatif sur toutes les sphères économiques et sociales avec l’accroissement des inégalités sociales, l’extension de la sphère informelle, entre 33 et 45% de la masse monétaire en circulation selon des données officielles contradictoires,(60 000 et 10 000 milliards de dinars) dont le taux d’intérêt des banques qui devraient le relever de plusieurs points, l’ajustant aux taux d’inflation réel, freinant à terme le taux d’investissement à valeur ajoutée.

La stratégie hors hydrocarbures demande du temps, devant raisonner toujours en dynamique. Pour les PMI/PME, si le projet est lancé en 2021, sa rentabilité est pour 2024/2025. Pour les projets hautement capitalistiques comme le complexe de phosphate de Tébessa, le fer de Gara Djebilet et le phosphate, n’étant encore qu’une intention pas avant 2027/2028. Avec les dernières mesures gouvernementales de restriction de l’apport étranger donc utilisant presque à 100% les fonds publics, les hydrocarbures avec les dérivés représentant 98% des recettes en devises, et avec la chute actuelle du baril et du prix de cession du gaz, la capacité financière est de plus en plus réduite. Les recettes en moyenne globale proviennent d’environ 1/3 du gaz, 1/3 du pétrole et 1/3 de produits raffinés. Le cours du baril le Brent est coté le 10 mai à environ 68 dollars le Bren alors que selon le FMI, l’équilibre budgétaire pour 2021 nécessite un baril supérieur à 160 dollars. Alors que le cours du gaz sur le marché libre fluctue entre 2,50–2,90 dollars le MBTU (British Thermal Units) entre 2019/ mai 2021, ayant fortement baissé (10/12 dollars le MBTU entre 2018/2015) du fait de l’efficacité énergétique, de l’introduction de nombreux producteurs, et du gaz de schiste américain. Les différents programmes de développement durant ces dernières décennies où nous avons assisté à une désindustrialisation depuis 1980 vont pour plus de 70% aux infrastructures. Or, le grand problème, la mentalité rentière étant de dépenser sans compter, assimilant réalisation à dépenses monétaires ou se réfugiant dans les réalisations physiques sans se préoccuper du coût, avec des restes à réaliser, l’Algérie souffrant de la faiblesse des capacités d’absorption, ce qui entraîne des surcoûts et des réévaluations perpétuelles. Pour ce faire, une idée du bilan et améliorer la gestion ce qui suppose de préciser le coût initial des projets et ceux clôturés par rapport aux standards internationaux, et les justifications de ces différentes réévaluations, il y a lieu d’évaluer son impact sur le taux de croissance, le taux de chômage et le pouvoir d’achat des citoyens : enquêtes sur la répartition du revenu et modèle de consommation par couches sociales pour déterminer l’indice de concentration en termes réels selon une vision dynamique à moyen et long terme.

Or les enquêtes sur le terrain montrent une mauvaise programmation, la surestimation des dépenses et à de longs retards dans l’exécution des projets, de très importants dépassements de budget au niveau de différents projets, l’existence d’un décalage entre la planification budgétaire et les priorités sectorielles, l’absence d’interventions efficaces dues à un morcellement du budget résultant de la séparation entre le budget d’investissement et le budget de fonctionnement, des passifs éventuels potentiellement importants, de longs retards entraînant des surcoûts pendant l’exécution des projets. Ceci témoigne de la faiblesse de la capacité d’exécution des organismes d’exécution, que ni les ministères d’exécution, ni le ministère des Finances n’ont suffisamment de capacités techniques pour superviser la qualité de ces études, se bornant au contrôle financier, le suivi technique (ou physique) exercé par les entités d’exécution étant inconnu ou au mieux insuffisant. De nombreuses faiblesses trouvent leur origine dans l’urgence qui accompagne la préparation des projets notamment la myriade de demandes spécifiques auxquelles les projets sont supposés répondre avec des chevauchements des responsabilités entre les diverses autorités et parties prenantes (des dizaines de commissions ministérielles et commissions de wilaya dans le cas du PSRE), ce que les économistes appellent les coûts de transactions et ce faute d’une organisation institutionnelle non optimale. Dès lors, nous aurons 4 impacts de l’inefficacité de la dépense publique sur le volume des importations car le gonflement est dû essentiellement à la dépense publique ; sur le processus inflationniste qui est à l’origine pour la partie de l’inflation et très accessoirement les salaires qui représentent moins de 20% rapportés au produit intérieur brut et sur la balance des paiements du fait que le doublement de la valeur des services entre 2002/2019, 10/11 milliards de dollars concerne essentiellement le poste infrastructures (assistance étrangère) renvoyant à la dévalorisation du savoir ; d- sur le taux de croissance global et sectoriel.

Là aussi, il faut replacer les chiffres dans leurs véritables contextes car les hydrocarbures irriguent l’ensemble de l’économie et le segment hors hydrocarbures. L’essence du taux de croissance global l’est à plus de 80% sur le total des 5/6% hors hydrocarbures de taux de croissance invoqué par les officiels, restant aux seules véritables entreprises une participation réelle inférieure à 20% du total du produit intérieur brut (PIB) comme le montre depuis plusieurs années les exportations hors hydrocarbures (environ /2/3% du total). Encore, il faut le reconnaître nous avons une amélioration du secteur agricole. Aussi, la croissance hors hydrocarbures officiel est un taux artificiel comme le taux de chômage incluant tous les emplois temporaires improductifs, les sureffectifs des entreprises et des administrations et les emplois dans la sphère informelle. Doit-on continuer dans cette trajectoire où les dépenses ne sont pas propositionnelles aux impacts montrant une allocation non optimale des ressources financières et donc un gaspillage des ressources financières ? D’une manière générale, la dépense publique a ses propres limites et le problème fondamental stratégique qui se pose à l’Algérie réside en l’urgence d’une bonne gouvernance renouvelée se fondant sur un Etat de droit et la démocratisation des décisions, l’épanouissement de l’entreprise concurrentielle nationale ou internationale et son fondement, la valorisation du savoir, richesse bien plus importante que toutes les ressources d’hydrocarbures et non l’unique dépense monétaire d’autant plus que les infrastructures ne sont qu’un moyen limité pour un développement durable.

3- Les leçons à tirer pour le financement non conventionnel
Pour éviter tout équivoque, le modèle keynésien ne repose pas sur l’Etat gestionnaire mais sur la propriété privée des moyens de production avec un rôle stratégique à l’Etat régulateur. Aussi pour l’Algérie se pose plusieurs questions dont il y a lieu de répondre correctement si l’on veut éviter les effets pervers d’une politique socio-économique non réfléchie. C’est que l’origine des richesses en Algérie de 1963 à 2021 (capital argent) à ne pas confondre avec l’accumulation du capital créant de la valeur, a suivi le processus de positionnement des cadres dans les secteurs névralgiques ou même secondaires de l’économie et surtout son domaine public en fonction des positionnements au sein de la société, des relations tribales, expliquant la faiblesse de véritables entreprenants créateurs de richesses. Ces richesses, tributaires de relations de clientèles et donc de la redistribution inégalitaire de la rente des hydrocarbures, façonnent l’actuelle la structure sociale en Algérie, structuration en mutation non encore achevée, pas de changement dans le fond mais dans la forme. Comment ne pas rappeler les ambiguïtés dans la gestion des capitaux marchands de l’Etat passage des grandes sociétés nationales (1970-1979), du découpage de ces sociétés (1980-1986) des fonds de participation (1990), des holdings (1996) et des sociétés de participation de l’Etat–SGP (2001 à 2008), puis tendance au retour aux entités dépendantes des ministères et depuis 2014 à 2021 retour aux grands groupes industriels qui traduisent en réalité le manque de visibilité et de cohérence de la politique économique et sociale. Ces replâtrages juridiques avec une instabilité juridique découragent tout investisseur sérieux.
(A suivre)
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul