La théorie keynésienne de la planche à billets peut-elle s’appliquer à l’économie algérienne ?

Economie

Au moment où certains observateurs évoquent le recours à la planche à billets afin d’éviter le recours au financement extérieur, l’objet de cette contribution est de rappeler les fondements du modèle keynésien pour ensuite voir s’il s’applique à l’expérience récente algérienne notamment à travers la dépense publique via le financement non conventionnel, puisque le fondement de sa réussite repose sur la théorie keynésienne de la relance de la demande globale à travers l’émission monétaire.

Le blocage essentiel de l’investissement local et étranger n’est-il pas le terrorisme bureaucratique qui se nourrit du manque de visibilité et de cohérence dans la réforme globale ? Et ce nouveau juridisme est-il suffisant sans objectifs politiques précis et sans cohérence et visibilité dans la démarche ? A-t-on mis en place d’autres mécanismes pour éviter que les investisseurs soient pénalisés par les différentes tracasseries administratives (registre de commerce, plusieurs mois alors que dans des pays normaux cela met quelques heures,) banques qui sont des guichets administratifs, fiscalité fonctionnant sur les méthodes du XIXème siècle, douane, terrain au niveau des collectivités locales,(le cadastre n’étant pas à ce jour réactualisé et le problème du foncier non résolu malgré certains discours ). Car le parcours du combattant lorsqu’on n’a pas fait faillite dans les méandres bureaucratiques dure plus de 5 années entre le moment de la maturation du projet et sa réalisation alors que dans tous les pays du monde l’écart est relativement faible.
A-t-on analysé les impacts des différents assainissements des entreprises publiques avec un résultat mitigé pour plusieurs dizaines de milliards de dollars entre 1970 et 2021 dont 80% sont revenues à la case de départ, entrainant des recapitalisations répétées des banques publiques, de quoi créer tout le tissu industriel existant mais cette fois compétitif montrant que ce n’est pas une question uniquement d’argent mais de tenir compte des deux piliers du développement du XXIème siècle à savoir le management stratégique et la valorisation du savoir A-t-on tenu compte du nouveau défi écologique fondement du développement durable avec ces unités polluantes, ces constructions dans la majorité des secteurs selon les normes dépassées et ce taux d’urbanisation effréné (des éco- pôles mais réalité de vulgaires hangars avec les risques de ghettos qui enfanteront inéluctablement la violence ?
A-t-on analysé objectivement l’importance de la sphère informelle représentant plus de 50% du produit intérieur brut (PIB) hors hydrocarbures fonctionnant dans un espace social de non droit, dont la croissance est proportionnelle au poids de la bureaucratie et de la corruption et les moyens de l’intégrer loin des mesures administratives autoritaires ? S’est –on soucié de la connaissance du bouleversement mondial où les capitaux iront s’investir là ou les obstacles politiques sont mineurs, d’un grand espace socio-économique d’où l’importance de l’intégration maghrébine au sein de l’espace euro- méditerranéen et africain, et des impacts réels de notre adhésion à la zone de libre échange avec l’Europe avec des dégrèvements tarifaires allant vers zéro et du futur accord avec l’organisation mondiale du commerce (OMC) et les moyens de s’y adapter ?

4- Comparer le comparable
Au moment où le projet était discuté j’avais proposé au gouvernement, l’introduction d‘une clause pour son plafonnement afin de rétablir la confiance et l’institutionnalisation a dans cette loi du comité de surveillance composé d’experts indépendants pour éviter toute dérive. Par ailleurs, concernant le financement non conventionnel, évitons la comparaison avec l’Europe, le Royaume Unis, le Japon( trois monnaies internationales convertibles et de grandes puissances économiques) et surtout les Etats Unis d’Amérique , le dollar étant une monnaie internationale qui finance à la fois l’économie américaine mais également le reste du monde, avec un fort déficit budgétaire, depuis la décision de Nixon de décréter la non convertibilité du dollar vis-à-vis de l’or (1971). Pour le cas du Japon c’est un pays qui a une grande épargne, la dette intérieure étant couverte par cette même épargne, les Japonais ayant préféré endetter leur Etat plutôt que d’augmenter les impôts expliquant la déflation. Pour le cas de la Turquie, pays émergent, ayant connu par le passé une dérive monétaire, cette dernière a été amortie car possédant d’importantes capacités productives.
Comparons pour plus d’objectivé des cas similaires comme le Venezuela et le Nigeria pour ne pas commettre les mêmes erreurs. Selon le Dr Paul Craig Roberts qui a été conseiller économique du président Reagan et du sous-secrétaire du Trésor de l’administration Reagan au début des années 1980 et qui est devenu l’un des pères fondateurs des Reaganomics en particulier par sa contribution à la réforme de la «Loi de l’impôt» de 1981 dans l’ American Herald Tribune 21 septembre 2017 je le cite : « l’ ‘effet de l’impression de l’argent semble dépendre de ce qui est fait avec lui et de la façon dont il entre dans l’économie. Les États-Unis, par exemple, ont imprimé une énorme somme d’argent au cours des 10 dernières années. Au lieu d’entrer dans l’économie de consommation et d’augmenter les prix, l’argent est entré dans des instruments financiers, ce qui augmente les prix des obligations et des stocks. Si un pays a des ressources, il peut créer de l’argent pour développer les ressources et ne pas compter sur des prêts étrangers. Si la monnaie du pays est négociée à l’échelle internationale, le pays risque de créer de l’argent, ce qui entraînerait des marchés spéculant contre la monnaie du pays et réduisant sa valeur d’échange.
Ce serait très coûteux si le pays dépend des importations. Aussi selon cet éminent économiste, il faut éviter de comparer l’utilisation du financement non conventionnel que propose d’utiliser l’Algérie avec celle des USA devant comparer le comparable ». En cas ou n’existerait pas de dynamisation du secteur productif à terme , de versements de salaires sans contreparties productives et l’apparition de nouvelles rentes spéculatives par la planche à billets, nous aurons inéluctablement un scénario du Venezuela en semi faillite avec une inflation qui de plus de 1000% fluctue qui comme l’Algérie excessivement dépendante des fluctuations du prix du pétrole, a été très touchée par la crise économique mondiale, et subit maintenant de plein fouet la baisse des cours pétroliers. C’est le paradoxe d’une économie rentière n’ayant pas profité de cette manne financière pour asseoir une économie productive concurrentielle alors que le Venezuela aurait des réserves de barils de pétrole de 300 milliards de barils, contre 10 milliards de barils pour l’Algérie selon les données du conseil des Ministres de 2015, une des plus importantes du monde. D’où l’importance d’analyser les éventuels impacts.
– Premier impact, une poussée inflationniste à terme entrainerait une méfiance de la population qui va pour se prémunir se refugier dans des achats comme l’or, les devises, l’immobiliers, le stockage de biens durables, élargissant la sphère informelle. Rappelons que l’emprunt obligataire a eu un résultat mitigé vis à vis de l’insertion du capital argent de la sphère informelle, l’essentiel du capitalisé provenant de la sphère réelle ce qui a conduit à l’assèchement des liquidités des banques, tout en encourageant certaines rentes spéculatives profitant d’un taux d‘intérêt de 5 à 5,75%.
– Deuxième impact, une baisse du même niveau sur les revenus fixes notamment des salariés et des fonctionnaires l’Etat qui risquent d’avoir un revenu divisé par deux en termes de parité de pouvoir d’achat avec le laminage des couches moyennes, l’inflation réalisant une épargne forcée pour combler le déficit budgétaire avec le risque de la spirale, revendication sociales, hausse des salaires, inflation – hausse des salaires et inflation,
– Troisième impact, avec un taux d’inflation supérieur ceux qui ont placé leur capital argent se trouvent pénalisés, accroissant encore plus la méfiance vis-à-vis du dinar, ce qui impliquera forcément le relèvement obligatoire des taux d’intérêts des banques si on veut éviter leur faillite, avec des taux d’intérêts élevés , frein de l’investissement productif et enfin le dérapage officiel du dinar avec un écart de 50% sur le marché parallèle , avec le renchérissement de tous les biens importés accélérant à son tour le processus inflationniste.

En conclusion
Le plus grand ignorant étant celui qui prétend tout savoir après consultation de nombreux experts internationaux et nationaux, la conclusion est la suivante : contrairement à certaines affirmations non fondées, ignorant le fonctionnellement du système monétaire international en mutation, il existe une corrélation indirecte, en cas de rigidités structurelles, et sans contreparties productives , pour le financement non conventionnel entre le taux d’inflation et la cotation d’une monnaie et ce combinée avec les effets d’autres variables et paramètres macro-économiques et macrosociaux internes et d’effets externes. Aussi, à la lumière de l’expérience algérienne, le modèle keynésien est difficilement transposable pour l’Algérie du fait de la faiblesse de la production locale et de la faiblesse du pouvoir d’achat L’Algérie selon le FMI dans son rapport d’avril 2021, continue de bénéficier d’une marge de mouvement positive sur la dette extérieure, qui reste modeste, et qui selon le FMI , devrait atteindre 3,6% et 5,2% de la production respectivement en 2021 et 2022, contre 2,3% en 2020.
Cependant, la réussite de la relance économique implique une mobilisation générale, reposant sur un sacrifice partagé, une lutte contre la corruption et la mauvaise gestion, une vision stratégique évitant de naviguer à vue au gré de la conjoncture et en cette période historique de super médiatisation, un nouveau système d’information et de communication s’adaptant aux nouvelles technologies. C’est pourquoi, il faut insister sur l’effort d’une information de vérité, qui doit lui être associée pour montrer opérationnalité des réformes au profit de toute la population, évitant la marginalisation de pans de la société. Il y a urgence d’une cohérence et visibilité dans la politique économique et qui n’est possible que par des stratégies d’adaptation, et en approfondissant les réformes structurelles qui forcément déplacent les segments de la rente, d’où de fortes résistances sociales des tenants de la rente qui versent justement dans la sinistrose pour bloquer les réformes.
C’est un défi à la portée de l’Algérie afin d’éviter sa marginalisation et les tensions sociales. Ou l’Algérie, comme je l’avais noté lors d’une conférence devant les membres du gouvernement en novembre 2014, (n’ayant pas été par les tenants de la rente, et nous en payons aujourd’hui un lourd tribu), réalise cette transition nécessaire entre 2021/2030, ou elle ratera cette chance historique, ce qu’aucun patriote ne souhaite. En bref, l’Algérie est un pays dynamique, plein de vitalité, qui se cherche et cherche sa voie étant un acteur déterminant de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine, sous réserve d’un renouveau de la gouvernance, sans laquelle aucun développement ne peut se faire. comme Et le précisait Keynes lui même, l’idéologie est une chose et l’efficacité de la politique économique en est une autre ».
(Suite et fin)
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul