Etudiants-ANP, khaoua-khaoua

C’était en 1967, déjà…

Fin août 1967, spectacle insolite à Alger : «Ce jour-là, les jeunes étudiantes et étudiants en uniformes ont envahi les rues de la capitale en compagnie d’autres jeunes militaires», raconte Larbi Oucherif, à l’époque membre du Comité de section de l’Union nationale des étudiants algériens (UNEA).

C’était, comme il le rappelle, «la fin en apothéose» de la période de 45 jours de formation militaire dans les écoles et centres d’instruction de l’Armée nationale populaire (ANP), pour 5 000 jeunes, filles et garçons, étudiants et élèves des classes terminales des lycées. Pour mesurer l’ampleur de cet événement, il faut préciser qu’à la rentrée universitaire 1966-1967, il y avait moins de 9 000 inscrits à l’Université d’Alger (principalement) et dans les centres universitaires d’Oran et Constantine (l’effectif dépasse aujourd’hui les 1,6 million d’étudiants répartis sur 108 établissements d’enseignement supérieur à travers l’ensemble des wilayas). La mobilisation des étudiants et des lycéens de terminales faisait suite à l’agression, le 5 juin 1967, d’Israël contre l’Egypte, puis la Syrie et la Jordanie, dans ce qui sera appelée la «guerre des six jours», dont les conséquences, bouleversant les données de la question palestinienne, ne sont pas encore effacées. L’année universitaire n’était pas terminée pour les étudiants, en pleine période d’examens, et pour leur organisation, l’UNEA, concentrée sur les préoccupations pédagogiques, avec la réflexion sur la Réforme de l’enseignement supérieur, en collaboration avec la FTEC (Fédération des travailleurs de l’éducation et de la culture, qui était le syndicat des enseignants du supérieur).
La représentativité de l’UNEA en milieu estudiantin – contestée par le pouvoir issu du coup d’Etat du 19 juin 1965 – venait d’être confirmée par l’Assemblée générale de la section de l’Université d’Alger, tenue au Club des Pins (19 février 1967) et l’élection, le 15 avril suivant, dans l’Amphi Ampère de la Faculté des Sciences, du Comité de section d’Alger composé de Hamid Aït Saïd (coordinateur), Fatima Medjahed, Mohamed Athmani, Larbi Oucherif, Aïssa Badis, Omar Lardjane, Lotfi Derradji, Zine Sebagh, Toufik Guerroudj, Kadri Belaribi, Moussa Benzerfa. Dans sa contribution à l’histoire de l’UNEA (El Watan des 20-21-22 mai 2006), Larbi Oucherif décrit l’année 1967 comme étant «sans conteste, l’année de l’UNEA en tant que courant démocratique dans la société, un pôle de modernité et de progrès, de solidarité nationale et internationale». Fait significatif de la conscience anti impérialiste chez les étudiants, la première décision de l’UNEA après cette élection a été d’organiser à l’occasion du 24 avril, Journée internationale de la jeunesse contre l’impérialisme, une marche de la Fac centrale jusqu’au cinéma Atlas, à Bab El Oued, où devait se tenir un meeting. Larbi Oucherif s’en souvient : «La marche se déroula sans problème jusqu’à la rue Abane Ramdane, où se trouvait le Centre culturel américain protégé par un important cordon de police.
Lorsque le groupe de tête de la manifestation déboucha rue Abane Ramdane, un silence se fit : la place et les alentours du Centre culturel étaient étrangement vides. Quand la police chargea, il y eut un mouvement de repli incontrôlable, seule Fatima Medjahed ne bougea pas et commença à nous rappeler. Je crois que même les policiers étaient stupéfaits. La marche se poursuivit, accompagnée des youyous des femmes». Une semaine après, l’UNEA participait à la manifestation du 1er Mai, journée internationale de lutte des travailleurs. Le président Houari Boumediene avait choisi de passer cette journée avec les travailleurs du secteur autogéré agricole des domaines Bouchaoui et Souidani Boudjemâa, accompagné de Ali Yahia Abdennour qui était ministre de l’Agriculture et de la Réforme agraire, très loin, donc, du défilé d’Alger, organisé en deux cortèges, l’un au départ d’El Anasser (Ruisseau), l’autre de la Place des Martyrs, pour converger vers la Place du 1er-Mai. Présents dans le défilé, les étudiants ont emprunté l’itinéraire qui part de la Place des Martyrs, derrière une banderole exigeant «la libération des militants socialistes» ; ils entrèrent vite «en choc frontal avec la police.
Des échauffourées opposèrent les étudiants aux policiers armés de longs roseaux», se rappelle Larbi Oucherif. Sur une banderole brandie par des travailleurs, on pouvait lire «A bas l’impérialisme yankee ! Paix au Vietnam !», qui reflétait très bien l’actualité mondiale dominée par la guerre du Vietnam. Le 4 mai, les Etats-Unis bombardaient la Chine, dans une région limitrophe du Nord Vietnam où 5 avions américains venaient d’être abattus par l’armée vietnamienne. Au même moment, la situation au Moyen-Orient connaissait un regain de tension avec les provocations d’Israël, toujours guidée par la logique belliciste qui justifie sa présence dans la région. Le 25 mai, les flottes américaine et britannique étaient en mer Méditerranée, en soutien à Israël. A l’issue d’une réunion tenue le 29 mai sous la présidence de Houari Boumediene, le ministère de la Défense nationale décidait «l’envoi d’unités de l’Armée nationale populaire (ANP) au Moyen-Orient».
C’est Cherif Guellal, ambassadeur aux Etats-Unis, qui a été chargé d’exposer la position algérienne aux autorités américaines. Quand, le 5 juin 1967, Israël attaque par surprise l’Egypte, «l’onde de choc est dévastatrice dans les opinions publiques arabes, notamment en Algérie. La stupeur annihila toute réaction», fait remarquer Larbi Oucherif. La réaction du Comité exécutif clandestin de l’UNEA fut immédiate. «Un tract est publié, il appelle à dénoncer cette agression et désigne les soutiens de ce forfait international. Par milliers, des étudiants et des jeunes se concentrent sur le campus. Le tract publié s’adresse au ministre de la Défense, Houari Boumediene, qui était le président du Conseil de la révolution. Ce tract demande en outre la mobilisation des étudiants sous les drapeaux», rapporte Larbi Oucherif (El Watan des 20-21-22 mai 2006). Le quotidien El Moudjahid (mardi 6 juin 1967) décrit comment, dans l’après-midi même du 5 juin, des milliers de manifestants, parmi lesquels de nombreux étudiants, aux cris de «Johnson assassin !», ont pris d’assaut le Centre culturel américain, rue Abane Ramdane, au Centre d’Alger, y sont entrés et ont jeté à terre la littérature qui s’y trouvait et l’ont piétinée. Saccagé, le Centre culturel américain qui avait été rouvert en mars 1963, a alors été fermé.
A Constantine, c’est le consulat américain qui a été pris d’assaut par les manifestants. L’Algérie rompait ses relations diplomatiques avec les Etats-Unis et mettait sous contrôle de l’Etat les biens anglo-américains. L’accès des ports algériens est interdit aux bateaux américains. El Moudjahid a rendu compte du meeting organisé par l’UNEA à l’Université pour apporter le soutien des étudiants à la mobilisation générale. Les étudiants sont allés ensuite en cortège vers la Place du 1er-Mai pour assister au meeting de l’UGTA. Le même jour, ils ont participé aux manifestations devant les ambassades des Etats-Unis et de Grande Bretagne. Les manifestations des étudiants mêlés aux citoyens se poursuivront pendant plusieurs jours. Un soir, arrivés devant le siège de la Présidence du Conseil de la Révolution, qui se trouvait à El Mouradia, ils ont la surprise de voir Houari Boumediene, sorti pour les rencontrer. Le 19 juin 1967, depuis l’Esplanade de l’Afrique où il tient un meeting, Boumediene annonce la mobilisation générale : «Les écoles militaires des différentes armes sont désormais ouvertes pour tous». Par Ordonnance du 8 juillet 1967, il est procédé à la mobilisation de tous les citoyens ; la préparation militaire est obligatoire pour les étudiants et les élèves des lycées, collèges et écoles de formation professionnelle.
Le même jour, le président Boumediene décrète l’obligation pour les étudiants et les élèves des classes terminales des lycées, collèges et écoles de formation professionnelle, âgés de 18 à 30 ans, d’effectuer leur préparation militaire qui doit débuter le 15 juillet 1967, pour 45 jours. Elle s’effectue dans les centres d’instruction militaire, préalablement désignés par les services compétents du ministère de la Défense nationale qui prennent, à cet effet, toutes les dispositions nécessaires. Les examens universitaires et scolaires prévus pour la session de septembre-octobre 1967, sont reportés à une autre date. Le 12 juillet 1967, El Moudjahid annonce que 5 000 étudiants, étudiantes, lycéens et lycéennes rejoindront les casernes de l’ANP pour y suivre un entraînement militaire durant 45 jours. «L’égalité entre garçons et filles est essentielle dans l’option du pays», explique un des responsables de l’opération qui est supervisée par le Commandant Slimane Hoffman.
Le 13 juillet, le quotidien publie sur plusieurs pages, la liste des étudiants et lycéens mobilisés et leurs affectations respectives : DCA de Reghaïa, Commissariat politique de l’ANP, la Pérouse (la Marine), les Ecoles d’artillerie à Telerghma, des Transmissions à Bouzaréah, du Génie à Hussein Dey, des sous-officiers à Blida, de l’Intendance à Beni Messous, de l’Aviation à Blida, du Matériel à El Harrach, la Base aérienne d’Oran, la Coopérative de l’ANP au Caroubier-Hussein Dey, la Santé à l’hôpital Maillot-Bab El Oued (700, majoritairement des filles), le Train à Beni Messous, l’Académie militaire à Cherchell, les Armes blindées à Batna. Le président Boumediene rendit visite aux étudiants et lycéens mobilisés. Le 3 août, il est à l’Ecole du Génie d’Hussein Dey et le 5 août à Reghaïa (DCA) où il prononce dans l’après-midi une allocution devant les étudiants et lycéens. Le 14 août, il visite l’Académie militaire de Cherchell où il déclare : «La mobilisation des étudiants a renforcé l’union de la jeunesse et de l’Armée».
Le 24 août, le président Boumediene est à la base aérienne de Blida. Le 30 août 1967, fin de la période de 45 jours, un grand rassemblement des étudiants et lycéens mobilisés a lieu à Zéralda, avec Houari Boumediene, que les étudiants retrouveront quelques semaines après, salle Ibn Khaldoun, lors de la cérémonie solennelle de la rentrée universitaire 1967-1968. Ce jour-là, à la Salle Ibn Khaldoun, les étudiants, pourtant raison d’être de l’Université et de cette cérémonie solennelle, n’étaient pas représentés à la tribune officielle où se trouvaient le président Houari Boumediène et le ministre de l’Education nationale en charge de l’Enseignement supérieur, Ahmed Taleb, ainsi que le recteur de l’Université. Les membres du comité de section UNEA étaient assis avec les étudiants et les enseignants dans la salle.
Une fois le discours de Taleb terminé, la cérémonie a été déclarée close et les présents invités à quitter la salle, sans que la voix des étudiants ne soit entendue. C’est alors que Mohamed Athmani, étudiant en architecture et membre du Comité de section UNEA, décida qu’il en sera autrement. Sans attendre l’autorisation de quiconque, il se leva et fit savoir à ceux qui s’apprêtaient à quitter les lieux, que la cérémonie solennelle n’était pas encore finie et qu’il allait intervenir au nom des étudiants. Le président Boumediene et le ministre Taleb qui s’étaient déjà levés pour partir, se rassirent et écoutèrent la déclaration de Mohamed Athmani qui, à partir de la salle, sans micro, et d’une voix forte, a exposé les positions de l’UNEA sur les principaux problèmes posés à l’université, et souligné, sur un même ton calme et ferme, l’attachement de l’organisation à la défense des libertés syndicales et démocratiques, à l’Université et dans le pays.
M’hamed Rebah