Bilan et perspectives 2021/2024

Situation économique et sociale en Algérie

L’épidémie du coronavirus et la chute du cours des hydrocarbures a mis en évidence la vulnérabilité de l’économie algérienne, assise essentiellement sur la rente des hydrocarbures qui irrigue toute la société. Dire qu’aujourd’hui que la situation économique et sociale en Algérie est préoccupante constitue un euphémisme, expliquant actuellement les vives tensions sociales (voir notre interview parue dans le quotidien international lemonde.fr Paris 5/2/2021.

Les conséquences sur les activités génératrices de revenus sont sévères pour les travailleurs sans protection sociale ou les travailleurs journaliers ainsi que pour les personnes les plus vulnérables au sein de l’économie informelle. Mais plusieurs mécanismes qui permettent d’atténuer les tensions sociales mais à très court terme, au-delà de 2022 tout peut arriver si on ne change pas de gouvernance et si on ne relance pas la croissance couplée avec la nécessaire cohésion sociale renvoyant à la morale des dirigeants, pour atténuer les tensions qui deviennent de plus en plus vivaces, risquant de remettre en cause les réformes politiques annoncées pour 2021. Premièrement, les revenus de l’Etat peuvent encore servir de «tampon social de façon temporaire, tout dépendant de l’évolution du cours des hydrocarbures. Cela rend urgent des réformes économiques structurelles (économiques et politiques) impératives afin d’éviter début 2022 d’importantes tensions sociales et la cessation de paiement impliquant une lutte contre la corruption, plus de rigueur budgétaire et un changement de trajectoire de la politique socioéconomique. Deuxièmement, vu la crise du logement, le regroupement de la cellule familiale concerne une grande fraction de la population et les charges sont payées grâce au revenu familial global.

Mais il faut faire attention : résoudre la crise du logement sans relancer la machine économique prépare à terme l’explosion sociale. Troisièmement, grâce à leur travail mais également aux subventions étatiques, les familles algériennes ont accumulé une épargne sous différentes formes. Cependant, il suffit de visiter les endroits officiels de vente de bijoux pour voir qu’il y a «déthésaurisation» et que cette épargne est en train d’être dépensée face à la détérioration de leur pouvoir d’achat. Quatrièmement, l’Etat, dans toutes les Lois de finances y compris celle de 2021, continue de généraliser les subventions via la rente des hydrocarbures, mais intenables dans le temps supposant un cours supérieur à 80 dollars le baril qui permettent de maintenir la cohésion sociale. Mais cette politique est injuste car celui qui perçoit 30 000 dinars mois bénéficiant des mêmes subventions que celui dont le revenu dépasse 300 000 dinars, devant aller, comme je le préconise depuis 2008, vers des subventions ciblées budgétisées par le Parlement. Cinquièmement, l’importance de la sphère informelle qui joue comme soupape de sécurité à court terme et frein au développement à moyen et long terme. Nous avons près de 45/50% de l’activité est concentrée dans la sphère informelle, plus de 6 millions de personnes actives, sans protection sociale, principalement dans les services, les petits boulots, plombiers, électriciens maçons et l’agriculture pour les saisonniers. Depuis le confinement, ils sont sans revenus bien que l’Etat a décidé d’attribuer récemment un montant symbolique de 10 000 dinars aux nécessiteux.

Pour éviter le scénario pessimiste, quelles réformes doivent-être menées pour relancer l’économie algérienne ?

L’Algérie ne peut revenir à elle-même que si les faux privilèges sont bannis et les critères de compétences, de loyauté et d’innovation sont réinstaurés comme passerelles de la réussite et de la promotion sociale et limiter l’action de l’immoralité et de la assabia (relations tribales et de clientèles) facteurs de la décadence de toute société. Les réformes à venir doivent tenir compte d’une révision de l’actuelle politique socio-économique, au niveau international notamment de la demande de révision par l’Algérie de certaines clauses de l’Accord d’association avec l’Europe, non pas de l’Accord cadre, notre principal partenaire, dans le cadre d’un partenariat gagnant-gagnant, d’autres zones de libre échange, notamment avec l’Afrique dont les échanges sont dérisoires. Mais, il ne faut pas vendre des utopies, supposant des entreprises compétitives (coût/qualité). Tout projet étant porté forcément par des forces politiques, sociales et économiques, sa réalisation étant fonction des rapports de force au niveau de la société et non au sein de laboratoires de bureaucrates déconnectés de la société, doit d’abord être compris par tous ceux qui, à un niveau ou à un autre, interviennent dans la décision économique, d’où l’importance de savoir communiquer dans un langage accessible à toute population et pas seulement aux initiés. C’est pourquoi, il faut insister sur l’effort d’une information de vérité, qui doit lui être associée, pour montrer l’opérationnalité de toute action gouvernementale au profit des générations présentes et futures. Le défi 2021/2030 pour l’Algérie est la refondation de l’Etat passant par de profondes réformes politiques, renvoyant à un nouveau mode de gouvernance dont le fondement est la liberté au sens large pour une société participative et citoyenne.

Les responsables algériens s’adapteront-ils à ce nouveau monde dynamique en perpétuel mouvement, n’existant pas de modèle statique, ou vivront-ils toujours sur des schémas dépassés des années 1970/2000 conduisant le pays à l’impasse comme ce responsable de l’industrie le 31 janvier 2021, traduisant une méconnaissance des nouvelles réalités des filières industrielles mondiales, qui récemment parle encore «d’industries industrialisantes» des années 1970, une utopie. Le Président de la République Abdelmadjid Tebboune lors des deux derniers Conseils des ministres, a demandé au gouvernement un bilan serein de la situation actuelle et des solutions adéquates pour faire face à la crise qui secoue pas seulement l’Algérie mais le monde. L’action gouvernementale doit définir clairement les objectifs stratégiques car un pays qui veut se développer doit préparer les choix qui permettent d’en saisir les conséquences basées sur des études précises qui doivent indiquer : comment se pose le problème ; quelles sont les contraintes externes (engagements internationaux de l’Algérie) ; quels sont les contraintes socio-économiques, financières et techniques internes ; quels sont les choix techniquement possibles et les ensembles de choix cohérents et quelles sont les conséquences probables de ces choix, quelles méthodes de travail choisir qui permettent de déterminer les paramètres (moyen et long terme) et les variables (court terme) dont dépend un système complexe. Après avoir décomposé la difficulté en éléments simples, il convient de se poser des questions et apporter des réponses opérationnelles, loin des théories abstraites, réalisations physiques et plan de financement sur chacun des éléments : Quoi ? Qui ? Où Quand ? Comment ? Combien ? Pourquoi ? Comment faire ? C’est dans ce cadre que sont intéressantes les propositions de Jacques Attali sur les industries d’avenir qu’il nomme les industries de la vie : la santé, l’alimentation, l’écologie, l’hygiène, l’éducation, la recherche, l’innovation, la sécurité, le commerce, l’information, la culture et bien d’autres, ces segments étant capables d’augmenter leur productivité, et donc d’améliorer sans cesse leur capacité de satisfaire la demande sociale nouvelle, fonction de nouveaux comportements.

Pour cet auteur, c’est donc en mettant tous les efforts sur les travailleurs et les industries de la vie qu’on sauvera les nations, les civilisations et l’économie. L’on devra distinguer dans la hiérarchisation, les projets capitalistiques dont le seuil de rentabilité, si le projet est lancé en 2021, ne sera réalisable horizon 2028/2030, des projets moyennement capitalistiques, avec un seuil de rentabilité au bout de cinq années et des projets faiblement capitalistiques (PMI/PME) au bout de 2/3 années, mais devant tenir compte des nouvelles mutations mondiales car l’épidémie du coronavirus a entraîné une crise économique en 2020 sans précédent depuis la crise de 1929, avec trois chocs, un choc de l’offre avec la récession de l’économie mondiale, un choc de la demande du fait de la psychose des ménages, et un choc de liquidité avec des ondes de choc pour 2021/2022. Le monde ne sera plus jamais comme avant, devant assister à une importante reconfiguration des relations économiques internationales 2021/2030, à laquelle l’Algérie devra s’adapter. Si, les impacts de l’épidémie du coronavirus sont un danger pour le présent, elles sont porteuses d’espoir pour l’avenir de l’humanité, une opportunité par notre capacité à innover par une autre gouvernance et pour un monde plus juste et solidaire afin de lutter notamment contre le réchauffement climatique avec d’importants flux migratoires dus (sécheresse, inondation, vents violents, cyclones) avec des recompositions territoriales. Ils prévoient un changement notable du modèle énergétique mondial. Dans ce cadre, la structure de l’action en faveur des réformes est globalement formée de cinq segments qui fondent le processus opérationnel de mise en œuvre : l’administration qui constitue la cheville ouvrière par son importance stratégique, la société civile/syndicats, les citoyens dans leur diversité, les partis politiques et les opérateurs publics et privés. C’est une entreprise d’envergure consistant principalement à réorganiser :

Premièrement, le champ des partis politiques qui ont de moins en moins d’audience auprès de la société ainsi que la réforme des institutions centrales et locales impliquant la débureaucratisation, la numérisation étant une des solutions, et une réelle décentralisation autour de grands pôles économiques régionaux; deuxièmement, le système information avec la numérisation qui en ce XXIe siècle n’est plus le quatrième pouvoir mais le cœur du pouvoir même; troisièmement, réorganiser le mouvement syndical et associatif dont la promotion de la femme signe de la vitalité de toute société; quatrièmement, la réforme de la justice par l’application et l’adaptation du droit tant par rapport aux mutations internes que du droit international; cinquièmement, adapter le système éducatif, centre d’élaboration et de diffusion de la culture et de l’idéologie de la résistance au changement et à la modernisation du pays où la déperdition du primaire au secondaire et la baisse du niveau devient alarmant; sixièmement la réforme du foncier agricole et industriel, du secteur de l’énergie avec le primat à l’efficacité énergétique et un nouveau modèle de consommation, dont un nouveau management stratégique de Sonatrach, lieu de production de la rente pour plus de transparence dans sa gestion septièmement, la réforme du système financier qui est un préalable essentiel à la relance de l’investissement public, privé national et étranger, les banques publiques et privées étant au cœur d’importants enjeux de pouvoir entre les partisans de l’ouverture et ceux de préservation des intérêts de la rente. D’une manière générale, pour réussir les réformes, l’Algérie a besoin qu’un regard critique et juste soit posé sur sa situation, sur ce qui a déjà été accompli de 1963 à 2020, et de ce qu’il s’agit d’accomplir encore au profit exclusif d’une patrie qui a besoin de se retrouver et de réunir tous ses enfants autour d’une même ambition et d’une même espérance devenant impérieux de mettre en place rapidement un dialogue serein avec des pistes de solution à la crise pour qu’on puisse éviter une nouvelle crise institutionnelle et économique, isolant l’Algérie de l’arène internationale et accentuant au niveau interne le divorce Etat-citoyens.

(A suivre) Professeur des universités, expert international, Dr Abderrahmane Mebtoul