Il était une fois Bordj-Ménaïel

Boumerdès

C’était mieux avant, la société algérienne, et plus particulièrement la population ménailie a fondamentalement changé sur le plan des valeurs et c’est regrettable.

Sur le plan humain, les gens étaient plus solidaires, plus proches les uns des autres, ce n’était pas une question de moyen, car ils étaient pratiquement logés à la même enseigne, les voisins formaient une véritable famille, c’était mieux avant et les nostalgiques s’en souviennent, le temps poursuit sa course inexorable, apportant de grandes mutations dans la société. Tous les jours, on entend ça et là, les gens répéter inlassablement : «c’était mieux avant», et ceci à tous les niveaux, il faut admettre que beaucoup de choses du passé manquent terriblement. Chez les plus de 40 ans et plus, la nostalgie prend souvent le dessus, on regrette le temps ou la culture, la générosité, la bienveillance, l’entraide faisaient partie de notre société. On fustige les nouvelles technologies qui éloignent les humains les uns des autres en donnant l’impression de les rapprocher, les gens à Bordj-Ménaïel comme partout ailleurs sont nostalgiques de l’époque ancienne, où les familles étaient plus proches, les portes ne se fermaient pas et les cœurs étaient sur la main, tout le monde se rappelle que quand il rentrait chez les voisins avec l’impression d’y être carrément chez soi, les mamans des camarades de classe étaient des secondes mamans : il y régnait une sécurité et une bienveillance qui n’existent plus de nos jours.

Les gens étaient nostalgiques de cette époque où malgré qu’il n’y avait pas de gros moyens, ni de grands loisirs mais ou l’amour réunissait tous les Algériens, l’individualiste et le matérialisme ont pris le dessus actuellement sur les valeurs qui étaient les leurs, c’est vraiment triste d’assister à cela aujourd’hui , il ne reste plus que la nostalgie de ces jours heureux ; il ne faut pas oublier que durant notre enfance les jeux que l’on pratiquaient me laissent un émouvant souvenir.«Nous sommes tous nostalgiques de cette époque ou nous improvisions des jeux entre camarades avec trois rien». De simples noyaux d’abricots nous permettaient de nous lancer dans d’interminables parties d’osselets, on jouait au «choukar bounkar», avec une planche et des roues à billes, nous fabriquions des roulements quand aux filles elles jouaient à la corde, à la marelle, à cache-cache, les jeux d’autrefois étaient physiques et cela procurait une fatigue, ce n’est pas comme aujourd’hui où les enfants s’immobilisent devant le téléviseur et les tablettes pendant des heures, ils sont abrutis par les jeux vidéos et les écrans d’ordinateurs et portables, le progrès n’a pas que du bon.

La nostalgie nous prend à la gorge quand on repense à notre enfance. D’où vient cette impression que le passé est bien meilleur que le présent, nul ne peut l’expliquer. Même si d’énormes progrès sont réalisés chaque jour dans divers domaines, beaucoup de personnes continuent à pointer du doigt les changements négatifs induits par une société moderne où tout va très vite, une société dans laquelle ils ne se reconnaissent décidément plus et qui nous fait regretter les temps anciens. Il faut admettre que tout a changé très vite. La preuve, les mariages sur le « stah » avec les orchestres féminins ont disparu balayant avec eux le charme de ces fêtes familiales. Nous sommes nostalgiques de ces ambiances uniques , tout cela a disparu, les cérémonies dans les salles des fêtes avec des sonos assourdissantes et des disc-jockeys excités nous horrifient, nous sommes nostalgiques des années 1960, 1970, 1980 ou les chanteurs interprétaient de belles compositions, les paroles avaient un sens et les mélodies étaient créatives, des artistes comme Hachemi Guerrouabi, Laachab, El Lamari, Rabah Driassa, Saloua, Noura, Cherif kheddam, Kamel Hamadi, El Anka, Sami El Djazairi, Brel, Charles Aznavour, Johnny Hallyday, Enrico Macias, Elvis Presley, Richard Anthony, Ferrat, Brassens, des chanteurs qui ne sont pas remplaçables : le niveau a vraiment chuté, la télé-réalité fabrique des pseudo- artistes, des chanteurs jetables dont les refrains sont vite oubliés, des sons métalliques et électroniques à vous faire crever les tympans : nous sommes nostalgiques aux salles de cinéma, ils y avait trois grandes salles à Bordj-Ménaïel.

El Djamel dont le propriétaire était Amar Naïli, le cinéma Stella qui appartenait à Djouab Ali, et celle d’El Griffe, qui appartenait à un ancien greffier de la justice, des salles de cinéma qui ont disparu totalement, il y avait également la grande salle des fêtes qui a été détruite au même titre que l’ancienne mairie coloniale pour des raisons obscures : il existait aussi le local des Scouts musulmans algériens ainsi que celui de la JFLN, nous occupions notre temps libre à lire, il n’y avait pas cette profusion de chaînes satellitaires, internet et les réseaux sociaux n’existaient pas, les familles communiquaient plus davantage : on est nostalgique de l’époque où Alger la capitale n’était pas paralysée par des embouteillages. C’est toujours avec regret et amertume que nous évoquons notre passé : pourquoi feuilleter les albums photos de notre enfance, évoquer ses souvenirs de lycée entre anciens élèves, se rappeler ses amours passées ? Autant de façons de prendre conscience de ce que l’on a été et de ce que l’on est devenu. Se référer au passé permet de se repositionner dans le présent et d’anticiper le futur, quel qu’il soit, heureux ou malheureux. Le passé est toujours un espace dans lequel on se reconnaît, une bulle rassurante tel le souvenir de l’écurie Moh Kouider, la cascade de Chracher, El Gouba du Château d’eau, le lieu historique du Fort Turc de Bordj-Ménaïel, le café Montagnard de Papa Naïli, la clinique Ratiba où nos enfants sont nés, la ferme La Gironde, la ferme Germain, la ferme Cortesse, la ferme Jack, les garages Torregrossa, le cimetière Lala Aicha, la ferme Vacher, la mosquée Mansouri Mohamed avec Cheikh Belkacem et Cheikh Ahmed , et autres personnalités : les gens ne parlent que du passé au niveau de la ville de Bordj-Ménaïel, on refuse d’oublier, on reste prisonnier de son passé qui est la preuve que certaines choses n’ont pas été réglées, qu’un fort traumatisme n’a pas été digéré à temps, il nous tire vers l’arrière et nous empêche d’avancer parce que le présent et le futur sont sombres. Nos souvenirs nous emprisonnent. Il suffit de se remémorer le club de football, la JS Bordj-Ménaïel, une formation de football qui a procuré de la joie aux Ménaïlis et qui actuellement joue dans les profondeurs des divisions inférieures. Cependant, il faut l’avouer, c’était mieux avant, et actuellement, les gens ont perdu leurs repères. Bordj-Ménaïel était plus belle, plus charmante, plus accueillante avant que maintenant. Et c’est bien dommage.

Kouider Djouab