Un nouveau monument de l’agora de Ségeste refait surface en Sicile

Archéologie

Les archéologues italiens ont aussi retrouvé une base de statue financée par l’un des grands hommes de la cité, entre le IIe et Ier siècle avant notre ère.

Ancienne cité grecque du versant occidental de la Sicile, Ségeste est connue aujourd’hui pour son temple dorique inachevé du Ve siècle, qui pourrait n’avoir été qu’un magnifique péristyle, et pour son théâtre adossé à la pente bucolique du Monte Barbaro, devant lequel s’étend, dans le lointain, le spectacle azuréen du golfe de Castellammare. Moins connu des cartes postales, ce qu’il reste de l’agora de la cité passe, en revanche, plus inaperçu. Davantage arpentée par les archéologues que par les visiteurs du site, la place publique de l’antique Ségeste a été fouillée en mai par les chercheurs italiens de l’École normale supérieure et de l’université de Pise qui y ont découvert de nouveaux vestiges, parmi les plus imposants jamais mis au jour dans ce secteur de la ville. Les fouilles archéologiques se sont concentrées dans le sud de l’agora de Ségeste, où elles ont exhumé de la terre sicilienne les linéaments d’un édifice public.
Datée du IIe ou Ier siècle av. J.-C., cette vaste structure faisait face au portique monumental qui clôturait la place et dont la construction avait nécessité de grands travaux d’arasement au sommet de cette acropole. Seule une petite partie du bâtiment a pour l’heure été dégagée du relief du Monte Barbaro, si bien que sa fonction, encore mal identifiée, devrait être précisée par la suite, lors de nouvelles campagnes de fouilles. Les chercheurs italiens n’ont cependant pas manqué d’observer la belle taille des blocs employés, ainsi que leur similarité générale avec ceux du théâtre, situé à quelque 150 mètres du site.

Un évergète récidiviste
À défaut d’être encore achevé, le chantier de fouille a livré aux archéologues la remarquable découverte d’une base de statue bien conservée, qui était située près de l’entrée de l’édifice. Peu exaltant en temps normal, le bloc quadrangulaire était ici recouvert sur sa face principale d’un elogium, une inscription honorifique célébrant la mémoire d’un généreux évergète : Diodore, fils de Tittelo. Ce personnage avait fait graver dans la pierre le souvenir de son acte d’évergétisme, c’est-à-dire son financement civique et intéressé d’un ou plusieurs monuments public. Inscrit en langue grecque, le texte célèbre ainsi – au milieu des adresses aux dieux – la mémoire du père de Diodore, que devait représenter la statue. Celui-ci est présenté par son fils comme un gymnasiarque qui avait lui-même financé, en son temps, la construction d’un édifice pour la jeunesse de la cité, probablement un gymnase, du fait de son titre.
Décidément une figure très opulente et active de Ségeste vers le IIe ou Ier siècle av. J.-C., ce même Diodore, fils de Tittelo, était déjà connu des services archéologiques. «Il avait érigé la statue de sa sœur Urania, prêtresse d’Aphrodite, retrouvée au XVIIe siècle dans le temple dorique», a déclaré dans un communiqué l’épigraphiste Carmine Ampolo de l’École normale supérieure de Pise. La découverte heureuse d’une nouvelle inscription de Ségeste permet ainsi d’illustrer une nouvelle fois l’importance accordée aux liens familiaux et à la filiation entre deux générations de l’aristocratie locale. «Il s’agit de résultats très importants, qui démontrent le rôle fondamental joué par les dépenses civiques des grandes familles dans l’histoire de la Sicile antique et l’importance qui leur était accordée dans les lieux les plus stratégiques», s’est félicitée la directrice de fouille Anna Magnetto.
Difficilement comparable aux actions contemporaines de mécénat, l’évergétisme était un système généralisé dans l’ensemble du monde grec et romain – avec des adaptations locales – que l’historien Hervé Inglebert décrit, reprenant la formule de Paul Veyne, comme «un modèle aristocratique visant l’obtention d’un consensus civique par un usage original des surplus de la rente foncière». Placée dans l’entrée de l’édifice encore mystérieux de l’agora, à un point de passage stratégique d’un bâtiment du centre-ville, la statue financée par Diodore, fils de Tittelo, devait être aperçue de tous ceux qui pénétraient dans l’édifice ou passaient devant. La générosité des Anciens avait au moins cela de commun avec le mécénat actuel : elle était visible.
S. C.