Tradition orale et histoire : des liens étroits

Ecriture

Les deux domaines sont si proches qu’on les croyait unis pour former une seule matière, l’histoire a beaucoup alimenté la tradition orale dans les pays où l’écrit n’a été introduit que tardivement.

Les évènements historiques ont toujours été des thèmes de prédilection de la tradition orale, notamment de la poésie populaire qui a tout le temps cherché à s’occuper des problèmes qui accaparent la société au point de lui faire perdre de vue l’essentiel. Pendant la période coloniale, c’était la lutte pour la survie et les moyens de communication faisaient cruellement défaut. C’est pourquoi, dans chaque maison, des hommes et des femmes doués pour la parole et conscients de leurs responsabilités, restaient attentifs par rapport à l’actualité pour relever ce qui pouvait frapper pour le versifier ou le chanter. Les évènements historiques ont toujours été des thèmes de prédilection de la tradition orale, notamment de la poésie populaire qui a tout le temps cherché à s’occuper des problèmes qui accaparent la société au point de lui faire perdre de vue l’essentiel. Pendant la période coloniale, c’était la lutte pour la survie et les moyens de communication faisaient cruellement défaut. C’est pourquoi, dans chaque maison, des hommes et des femmes doués pour la parole et conscients de leurs responsabilités, restaient attentifs par rapport à l’actualité pour relever ce qui pouvait frapper pour le versifier ou le chanter.

Instruire et informer les autres : une question de conscience
Se voyant privés de la communication écrite, nos aïeux ont axé leurs efforts sur l’oralité qu’ils ont su améliorer considérablement afin d’en faire un outil efficace de travail, d’investigation, et des relations sociales. Ainsi le code oral a connu en ce temps plusieurs niveaux de langue : le niveau commun, celui de la quotidienneté qu’employaient tout le monde pour se dire l’essentiel dans la vie de tous les jours. Le niveau relevé qui est la langue des sages s’exerçant chaque jour à parler de mieux en mieux pour être les meilleurs dans les réunions au cours desquelles chacun des compétiteurs est confronté à des joutes oratoires des autres qui essaient de se montrer comme étant les meilleurs ; c’est dans ces grandes rencontres que l’on est classé meilleur, moyen, médiocre et ce classement émane du public qui juge de manière implacable et irréversible. Dans ce type de classement, le classement se faisait au mérite par ceux qui vous observaient et qui vous attribuaient une note en fonction de vos talents, de vos réactions, de vos capacités d’expression orale. On attribue également des points supplémentaires à ceux qui font preuve de créativité dans tous les domaines : des idées, du langage, du décryptage.

Une école de lettrés en arabe et celle de la sagesse
Elles se sont créées comme se sont créées les zaouaya, sorte d’universités d’où sont sortis de grands hommes de lettres, des juristes en droit musulman, des scientifiques, tous des arabisés de haut niveau. Si Mouh ou M’hand, poète errant en tamazight après que les occupants français eurent fait disparaitre son village et les siens, est sorti d’une zaouiyan avec un bon niveau en langue arabe ; on l’a retrouvé comme écrivain public en Tunisie. Les zaouaya dans toutes les régions, assuraient un enseignement multidisciplinaire de qualité à des jeunes qui avaient appris le Coran. Ecrivaient en langue, au 19ème siècle et avant, et dans les régions Ouest : Manwar Belfodil, Lakhdar Benkhlouf, Mohammed Ben Amsayeb. Ces hommes et d’autres que nous aurons l’occasion d’évoquer, à l’exemple de l’Emir Abdelkader, très doués pour l’écriture, particulièrement l’écriture en vers, ont fait de la politique et sont rentrés dans notre glorieuse histoire. Mais à côté de cette école, celle de la sagesse a pris d’elle-même de l’expansion grâce à des hommes et des femmes hyper-intelligents et doués pour le langage populaire caractérisé par son style relevé et ses marques de courtoisie. Ce langage, ils l’ont acquis seul, à la faveur d’une écoute attentive de tout ce qui se dit autour des aînés ayant fait leurs preuves en tradition orale et de leurs grandes capacités de mémorisation. Un grand nombre d’entre eux ont appris à versifier et nous ont laissé un héritage important de poèmes transmis essentiellement par la voie orale. Ce fut le cas de Mohamed Belkheir (1835- 1905) qui fut le chantre des valeurs de la société bédouine et le poète révolté contre le système colonial.

L’oralité au service de l’histoire nationale
Les textes qui servent de support pour l’histoire ont été surtout des poèmes oraux mémorisés par des hommes et des femmes ayant une mémoire prodigieuse. Mis à part l’Emir Abdelkader en tant qu’homme d’état, homme de culture et homme de lettres émérite qui a laissé de nombreux textes en arabe et les anciens élèves des zaouaya, tous les autres composaient oralement. Il a fallu attendre le 20ème siècle pour voir arriver des hommes qui allaient sauver de l’oubli ces œuvres orales d’une valeur inestimable, par l’écrit. C’est le cas de Mouloud Mammeri qui a récupéré à peu près l’ensemble des poèmes de Si Mohand pleins d’allusions à l’histoire, tel celui des Aït Kaci, ancienne famille, influente, qui a bâti sa fortune du temps des Turcs et qui a disparu sous l’occupation française. Grâce à Mouloud Mammeri ces poèmes mémorisés ont été sauvés de l’oubli par l’écrit et sous le titre «Poèmes de Si Mohand» Ed Maspero.
N’oublions pas d’abord d’ajouter que s’agissant de production orale au 19ème siècle et étant donné l’absence ou l’insuffisance d’écrivains, beaucoup de production : récits de guerre contre l’occupant, chants glorifiant les guerriers, poèmes épiques et lyriques.., fables, histoires fantastiques, contes merveilleux, berceuses, comptes rendus de réunions importantes se sont perdus au fil du temps faute d’écrit. Les paroles s’en vont, les écrits restent. La mémoire humaine a des limites et ce qui a été composé oralement durant les siècles passés ne peut être conservé intact d’un siècle à l’autre. Il ne faut pas oublier que les hommes et les femmes des siècles passés avaient de meilleures capacités de mémorisation, ce qui leur a permis de transmettre aux générations suivantes des pans entiers de leur histoire.
Le meilleur support pour l’histoire reste la poésie chantée. Voici un extrait d’une chanson de guerre du 19ème siècle, alors que l’armée coloniale occupait progressivement le pays : «Quand sa main saisissait le fusil, la poudre et les balles, il marchait avec l’éclair. Qui aurait pu lui résister ? Combien de serviteurs l’accompagnaient, avec des chevaux hennissants ! Il engagea le combat à partir d’Ain el Fassi. C’est qu’il fit avancer sa troupe, et la mêlée s’étendit jusqu’à Boudouaou. Quand il vint camper aux Aith Aissi, le pays entier brisa ses liens ; dans chaque tribu, des chants de guerre retentirent.»
Abed Boumediene