Face aux turbulences géostratégiques et aux tensions budgétaires, les défis de l’Algérie 2021/2025

Economie

Mesdames et messieurs les ambassadeurs, les responsables politiques et économiques des ambassades et des institutions internationales présents à cette conférence, je remercie l’Union européenne pour cette aimable invitation, qui est le prolongement de la conférence donnée le 19 mars 2019 (14-16h) à l’Ecole supérieure de guerre MDN et le même jour au siège de l’ambassade (19-20h30) devant les attachés économiques de l’OCDE, ayant été initiée par l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique, sur le thème de l’impact de la baisse des hydrocarbures sur les équilibres macro-économiques et macro-sociaux de l’Algérie, où nos prévisions se sont malheureusement avérées justes. Mesdames et Messieurs, dans une conjoncture de crise mondiale qui touche tous les pays de la planète due à l’épidémie du coronavirus , avec une dette publique mondiale et un taux de chômage sans précédent, depuis la crise de 1929, l’Algérie est l’acteur stratégique de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine, un pays à fortes potentialités, qui aura en principe un nouveau gouvernement, après les élections législatives du 12 juin, au plus tard courant juillet 2021 et nombreux sont les défis qui l’attendent.

La mise en œuvre de profondes réformes conditionnée par un changement de cap par la rénovation des institutions, la moralisation de la société et la lutte contre la corruption, est une condition indispensable pour un développement durable, étant conscient, loin de toute démagogie, qu’il existe encore un long chemin pour l’instauration d’un Etat de Droit et la démocratie. Mais l’expérience historique montre que l’instauration de la démocratie ne se fait pas d’une baguette magique, les pays occidentaux ayant mis des siècles et ne pouvant plaquer sur un corps social des schémas d’autres pays devant tenir compte des anthropologies culturelles. Il faut le reconnaître, à travers les chiffres officiels du gouvernement algérien, la situation socioéconomique est inquiétante, ce qui renvoie à la sécurité nationale impliquant un sursaut national, car l’avenir de l’Algérie étant entre les mains des seuls Algériens.

1- Quelle est la situation socio- économique entre 2020/2021 ?
Le taux de croissance du produit intérieur brut qui détermine le taux d’emplois, est en nette diminution, estimé en 2020 à 160 milliards de dollars et selon le FMI de 153 milliards de dollars pour 2021. Cela s’explique par la léthargie de l’appareil de production impacté tant par sa structure passée (le secteur industriel moins de 6% du PIB en 2020) que par l’épidémie du coronavirus, (selon le patronat une perte d’emplois d’environ 500 000 uniquement dans le BTPH) et le tissu économique fonctionnant s à peine à 50% de ses capacités, plus de 95% du tissu économique en 2021 étant constitué d’unités personnelles, de petites Sarl, peu initiées aux nouvelles technologies et aux commerce international, dépendantes pour plus de 85% des matières premières de l’extérieur.
Quant à la production de pétrole, elle est en décroissance pétrole étant selon le rapport de l’OPEP passée de 1,2 million de barils/j entre 2008/2010 à environ 850 000 barils/j en mai 2021. Les exportations de gaz (GNL et GN à travers les canalisations Transmed via Italie et Medgaz via Espagne) sont passées d’environ 65 millions de mètres cubes gazeux à 41/42 milliards de mètres cubes gazeux en 2020 et où le cours sur le marché libre est passé pour la même période de 10/12 dollars le MBTU à 2,5-3,0 dollars le MBTU. Aussi, les recettes totales en devises (pas le profit net devant retirer les coûts) d’exportation seront un petit plus élevé que prévu dans la loi de Finances complémentaire 2021, à environ 26/27 milliards de dollars. Après la dernière réunion de l’Opep+ début juin 2021, le quota de l’Algérie augmentera légèrement en juillet de 14 000 barils/jours, relative à une augmentation de 441 000 barils/jour de leur production le mois juillet 2021. Cela donnera une recette additionnelle pour les six mois du second semestre 2021 au cours de 65 dollars le baril, moyenne annuelle 166 000 dollars, un montant très modeste. Et comme la majorité des exportations relèvent de Sonatrach, ce montant est fonction du cours du pétrole s’il se maintient entre 60/65 dollars et du gaz (33% des recettes de Sonatrach).

2- Pour l’Algérie, le population active dépasse 12,5 millions sur une population totale résidente, 44,7 millions d’habitants au 1er janvier 2021
La sphère informelle représentant selon le FMI 33% de la superficie économique mais plus de 50% hors hydrocarbures, contrôlant une masse monétaire hors banques, selon les informations données par le président de la république, entre 6 000 et 10 000 milliards de dinars 30-45% du PIB, différence montrant l’effritement du système d’information, soit au cours de 130 dinars un dollar entre 46,15 et 76,90 milliards de dollars. Selon le FMI, le taux de chômage incluant la sphère informelle et les emplois rente, devrait atteindre 14,5% en 2021, et 14,9% en 2022, contre 14,2% en 2020, ce taux dépassant les 20/30% pour les catégories 20/30 ans et paradoxalement les diplômés. L’inflation qui sera de longue durée fonction, des réformes structurelles entre 2000/2020, selon les données de l’ONS dépasse, cumulée, 90% et sera supérieure en cumulant l’année 2021 de 100% accroîtra la détérioration du pouvoir d’achat et les revendications sociales.
Quant aux caisses de retraite, selon le ministère du Travail, en date du 8 avril 2021, le déficit financier de la CNR pourrait atteindre 690 milliards de dinars en 2021, le nombre de retraités dépassant les 3,3 millions, le CNR enregistrant un taux de cotisation de sécurité sociale, estimé à 2,2 travailleurs pour chaque retraité alors que pour un équilibre, le taux de cotisation devrait atteindre cinq travailleurs pour un retraité. La paix sociale transitoire tant qu’il y a la rente est assurée par les importants montants des transferts sociaux, subventions généralisées et non ciblées source de gaspillage représentant 23,7% du budget général de l’Etat et 9,4% du PIB pour l’exercice 2021 sont intenables dans le temps. Il s’agit impérativement dans ce contexte de lutter contre les surfacturations trouvent leur essence dans la mauvaise gouvernance interne et dans la distorsion du taux de change entre le cours officiel et celui du marché parallèle, avec la complicité de l’étranger, je vous facture 100 euros et je vous déclare 120 euros, sur le poids/qualité (même prix d’un produit venant de Chine ou de l’Europe).
Les subventions de produits importés à travers le trafic des frontières permettent des transferts de devises. Il y a également pour les projets internes des surfacturations en dinars, du fait que la majorité des départements et des responsables locaux ont failli dans le suivi assistant à des réévaluations progressives. Si transferts illicites, cela peut provenir des surfacturations, la mauvaise gestion et l’allocation des ressources non optimale. Nous avons assisté à une baisse vertigineuse des réserves de change étant passées de 194 milliards de dollars au 1er janvier 1994 à 42 milliards de dollars fin 2020, un répit au risque d’aller au FMI, une importation en biens et services (souvent oublié ayant varié entre 10/12 milliards de dollars par an entre 2010/2019) ayant dépassé plus de 935 milliards de dollars pour une entrée en devises de plus de 1000 milliards de dollars (98% relevant de Sonatrach) entre 2000/2019 ne correspondant pas aux taux de développement (moyenne du taux de croissance 2/3% alors qu’il devait dépasser 8/9%. Si l’on applique un taux de surfacturation de 15%, les sorties illicites de capitaux entre 2000/2019 aurait été d’environ 140 milliards de dollars sans compter la partie dinars au niveau interne.

3- Ici s’impose la réhabilitation du contrôle démocratique à travers des partis représentatifs et la société civile, l’objectif stratégique la refondation de l’Etat à travers des intermédiations politiques, sociales et économiques crédibles collant à la réalité sociologique afin d’éviter en cas de malaise social un affrontement direct services de sécurité-citoyens. Mais également des organes techniques de contrôle devant éviter les télescopages et devant réhabiliter la Cour des comptes, institution stratégique inscrite dans la Constitution, chargée du contrôle a posteriori des finances de l’Etat, des collectivités territoriales, des services publics, ainsi que des capitaux marchands de l’Etat, ayant eu l’occasion de visiter les structures de la cour des comptes au niveau international et de diriger en Algérie par le passé (pendant la présidence du feu docteur Amir ex-secrétaire général de la présidence de la république), trois importants audits sur l’efficacité des programmes de construction de logements et d’infrastructures de l’époque, sur les surestaries au niveau des ports et les programmes de développement des wilayas, en relations avec le ministère de l’Intérieur, et celui de l’Habitat assisté de tous les walis de l’époque, je ne saurai donc trop insister sur son importance où j’avais préconisé un tableau de la valeur au niveau de la douane relié aux réseaux nationaux et internationaux pour éviter les surfacturations, tableau qui n’a jamais vu le jour car s’attaquant à de puissants intérêts rentiers.
Mais pour avoir un contrôle efficace, lui-même lié aux contrepoids politiques en fait à la démocratisation de la société, il faut uniformiser l’action des institutions de contrôle. Par ailleurs, si l’on veut lutter contre les surfacturations, les transferts illégaux de capitaux, rendre le contrôle plus efficient, il y a urgence de revoir le système d’information qui s’est totalement écroulé, posant la problématique d’ailleurs de la transparence des comptes, y compris dans une grande société comme Sonatrach. Ayant eu à diriger un audit financier avec une importante équipe avec l’ensemble des cadres de Sonatrach et d’experts, sur cette société, il nous a été impossible de cerner avec exactitude la structure des coûts de Hassi R’mel et Hassi Messaoud tant du baril du pétrole que le MBTU du gaz arrivé aux ports, la consolidation et les comptes de transfert de Sonatrach faussant la visibilité.
Abderrahmane Mebtoul Professeur des universités, expert international
(A suivre)