Ou la culture des masques

Le génie populaire africain à Cuba

On sait ce que représente le masque lorsque les 6 milliards d’individus qui peuplent la terre en portent avec plus ou moins d’opacité, pour dire que nul ne se montre sous son vrai visage.

Malgré leur statut de race inférieure imposé par les Blancs descendants de négriers exploiteurs, les Noirs ont fait ressurgir tout leur génie de peuple inventif, dans un domaine qui, depuis les origines de l’homme, a échappé aux dominants. Il s’agit de la culture en général et de la littérature en particulier.

Des productions littéraires dans un climat de racisme
Le complexe de supériorité et le racisme ont toujours été le propre des esclavagistes, jusqu’au 19e siècle au cours duquel même les écrivains, en plein période d’abolitionnisme, ont repris le flambeau de leurs ancêtres esclavagistes, pour dire tout leur racisme à l’égard de la population noire. Tel a été le cas, parmi d’autres, à Cuba, de Cirilo Villaverde qui a incarné tout le mépris des Blancs en produisant des œuvres littéraires incitant à perpétuer cette pratique consistant à montrer du doigt les Noirs pour oser dire qu’ils sont étrangers à l’île de Cuba, après que leurs ancêtres arrachés de leur terre africaine ont servi à travailler la terre comme des bêtes et qu’ils ont pris une part active, comme chair à canon, dans la lutte pour l’indépendance.
Mais, dans ce climat insupportable, des Noirs intelligents, au grand étonnement des Blancs qui n’y voyaient que la peau, ont fait preuve d’innovation dans le plus vieux genre de l’oralité : la poésie de circonstance dont les figures de proue sont Nicolas Guillen, Emilio Balagas, Ramon Guirao, Jean Marinelli. Leur thématique est là pour signifier la volonté de dire ce que l’homme noir a de plus humain comme les sentiments, les rêves, le désir de se libérer du joug pur et dur des esclavagistes de tous bords. C’est sous la plume d’un écrivain noir que les Blancs ont appris «le concept fondamental du métissage culturel», qui a peut-être même précédé le métissage ethnique.

Processus de réhabilitation des Noirs en tant qu’êtres humains
Que de chemin parcouru depuis le 19e siècle marqué par un racisme anti-nègre encouragé par les gouvernants blancs. Il a fallu pour les opprimés descendants d’esclaves, arracher de haute lutte leur liberté de citoyens à part entière. Au XXe siècle, depuis 1960, des lois leur reconnaissent tous les droits à la dignité, à l’instruction, à la sauvegarde de leur culture et folklore des origines africaines. La liberté rendue a ainsi permis à l’élite noire longtemps méprisée, aliénée d’entrer dans le monde de la compétition sportive, scientifique, politique. Désormais, les figures littéraires infériorisantes, les visions paternalistes comme les regards moqueurs en direction des Noirs, du petit noir intellectuel et amusant, devraient s’effacer. Quand on parle de révolution et c’en est une à Cuba, on ne peut s’empêcher de penser à Fidel Castro, même si celui-ci est perçu comme le dinosaure du système communiste largement dépassé au XXIe siècle, ayant battu tous les records de longévité.
Cet homme aux plus longs discours a tout de même permis une révolution des mentalités ethniques, de l’écriture, des idées, de la culture et de la morale. Que de livres ont été consacrés à cette longue transition entre le passé capitaliste et le présent révolutionnaire Odette Casamayor Cisneros a fait un travail de recherche chez bien fouiné et intéressant à lire aujourd’hui avec le recul. Elle nous cite un roman historique assez significatif dans ce contexte de lutte : Cuando la sangre se parece al fuego de Manuel Cofino. L’auteur parle de milieu réservé aux Noirs comme les bâtiments insalubres, de système de croyances religieuses les plus pratiqués à Cuba, de misère, de discrimination raciale. Maintenant qu’on est à l’ère de la liberté d’expression, la parole se délie pour dire tout ce qu’a été la vie des Noirs qui pourrait servi de sources d’inspiration aux romanciers et dramaturges en herbe.
Abed Boumediene