Chanter est un besoin biologique et un mode de communication

Ce n’est pas le chant qui est sacré, c’est le lien qu’il crée

Depuis la nuit des temps, l’homme a éprouvé le besoin de chanter pour le plaisir d’entendre des sons mélodieux et surtout pour les liens qui le rapprochent de ses semblables, des liens profonds à caractère humain, affectif et amical.

Chanter c’est produire par la voix des sons mélodieux, expressifs, agréables à entendre pour soi-même, ceux des alentours qui éprouvent les mêmes sentiments et les mêmes désirs. La chanson est le meilleur moyen de sensibiliser les autres à des thèmes favorables à l’idée d’unité entre les hommes pour sauvegarder le patrimoine commun et ce malgré leurs différences. Comme toutes les bonnes choses, on apprend à fredonner d’abord à la maison, quelques vieux airs du pays auprès des parents , puis normalement à l’école qui enseigne le chant selon des méthodes pédagogiques efficaces, sur des thèmes variés : l’amour du pays, les animaux, la terre nourricière, les fleurs, les oiseaux ; les hommes et les femmes qui font tout pour nous faciliter la vie à maman, à papa, au cordonnier, à l’épicier, au boulanger, qui s’intéresse à la beauté de la nature, à la pluie.
Les chants polyphoniques, en particulier, sont favorables à l’union des voix pour faire face aux épreuves de la vie. Les enfants apprennent à unir leurs voix retentissantes et musicales pour chanter la joie de vivre, pour créer l’ambiance de camaraderie sincère dont les paroles sont portées très haut et que celles-ci produisent l’effet attendu. Ceux qui écoutent, ne jugent utile de prêter l’oreille que si la chanson est intéressante parce qu’elle répond à leurs propres sentiments et que ses paroles sont bien choisies pour exprimer les problèmes de la vie qui constituent des entraves au rapprochement entre les hommes qui cherchent à retrouver la voie de l’humanisme, base des sentiments qui font la vie paisible tant recherchée par tous ceux qui ont soif de sincérité, de franchise, de parole d’honneur, de parler sans détours pour atteindre le bonheur. Cependant, ce n’est pas le chant qui est sacré, c’est le lien qu’il crée entre les hommes. Le chant doit développer des thèmes mobilisateurs qui ouvrent la voie pour de nobles idéaux comme l’amour du pays, le travail accompli pour le bien de la communauté, la fraternité, la lutte contre la haine et le mensonge.

Ce n’est pas le chant qui est sacré
Ce qui est sacré, en effet, ce n’est pas les mots de la chanson choisis pour leur harmonie, c’est l’effet produit à court ou long terme auprès des amateurs de chansons populaires ou enfantines porteurs de messages d’espoir. Les mots pour leurs rimes riches et leurs sens profonds apportent la joie de vivre pleinement une vie menacée par la tristesse qui a gâché bien des moments importants dans une vie s’ils avaient été vécus autrement. Mais une nouvelle chanson, si elle répond bien aux sentiments de ceux qui aiment ce qui est nouveau sur le plan de la création artistique, est bien accueillie par les passionnés de tout ce qui est beau à entendre : musique vocale et instrumentale, mots servant à exprimer ce qui chagrine, séduit, fait vibrer, emporte vers un ailleurs plus confortable, le thème joue aussi pour bien des caractères difficiles à satisfaire.
Une nouvelle chanson, si elle est belle, a un grand pouvoir de redonner de la joie, aider à décrisper les plus déprimés, enchanter par la voix. Le public est là pour juger de la qualité ou du manque sur le plan du texte qui fait le charme de la chanson ou du rythme, sinon de la forme qui ne reflète pas bien le contenu. Il faut une mise en forme claire, une rime qui apporte un plus considérable au sens général. Cependant, quelle que soit la beauté du texte sur le plan des signifiants et des signifiés, ce n’est pas le chant qui est sacré, c’est le lien qu’il crée avec le public et si celui-ci est pleinement satisfait par la chanson, il la classe dans un répertoire des meilleures chansons.

Exemples de chefs d’œuvre de la chanson qui ont crée des liens
Les chansons de Dahmane El herrachi est un exemple parfait de chanteur qui est en même temps compositeur incitant le public récepteur à écouter attentivement pour ce que dit l’auteur, il dit des choses intéressantes à retenir pour mieux comprendre la vie et la société. Le destin n’a pas laissé au chanteur le temps d’enrichir son répertoire. Néanmoins Dahmane a beaucoup fait dans sa voix rocailleuse mais tout de même charmante ; il est agréable à entendre nous disent ceux qui sont habitués à l’écouter, jeunes et vieux le trouvent génial pour ce qu’il dit. C’est quand même admirable d’entendre parler ainsi. Des liens forts se sont tissés entre le chanteur et le public pour ses chansons qui donnent à réfléchir. C’est ce qui fait le charme de ces chansons qu’on entend et qu’on fait l’effort de comprendre, dans une voix caverneuse qui accentue ce charme. Essayons de voir de près quelques uns de ses chefs. «Win rayah» par allusion à celui qui veut s’en aller. Ya-t-il un ailleurs plus accommodant que le pays d’origine, semble connoter la chanson, il ya de quoi faire un long commentaire là-dessus. «Mazal nasmaa wa nchouf, toute ma vie», je continue à voir et à entendre, toute ma vie, c’est une vérité de tous les temps, plus on avance en âge plus on voit et on entend.
Le passage du temps assagit, normalement. Il faut écouter la chanson, vous comprendrez mieux au travers de sa voix rauque belle à entendre avec ses non dits et ses sous entendus. «Dir aaynek houa mizan» est l’un des plus beaux titres de son répertoire, il est révélateur de la capacité de juger par le coup d’œil. Il suffit de s’appliquer à bien regarder pour mieux voir la réalité. «Zouj Hmamat» en dit plus long qu’on ne pense, parce qu’il n’est pas donné à tout le monde de comprendre à quoi l’auteur fait allusion par deux pigeons, ce sont des pigeons voyageurs chargés de transmettre quelque message dans une région lointaine. Le pigeon est assez courant comme titre d’œuvre marquante surtout chez les auteurs andalous comme Ibn Hazem dont un titre «Le collier du pigeon» donne à réfléchir sur le contenu. Parmi les anciens artistes qui ont permis, grâce à leurs chansons, d’assurer des liens entre eux et le public adulateur, il faut citer Abdelkader Chaou qui chante admirablement le genre andalou et le genre populaire.
On le dit maître du chaabi dont le maître fondateur est EL hadj M’hamed El Anka. A la faveur d’une voix musicale, il donne un ton valorisant à ses qsayed, poèmes andalous que chaque artiste chante à sa façon, des chefs d’œuvre de la poésie sont devenus des chefs d’œuvre de la chanson sous la voix de Chaou ou d’un autre. Comme Dahmane El Harrachi, Abdelkader Chaou a eu une belle carrière de chanteur adulé par une bonnne partie de la population pour ses chansons, sa voix envoûtante. Réécoutez- le chanter «El qahwa ou lataye», Ya lilt el bareh, Chikh Amokrane, chanson de cheikh El Hasnaoui, qu’il a reprise sous un nouveau ton, vous n’en serez que subjugué. On ouvre une parenthèse pour parler de ce grand chanteur populaire qu’est El hasnaoui, qui a choisi de s’émigrer à vie à l’île Maurice, bien qu’ayant eu une grande estime auprès des jeunes pour sa thématique originale et toujours d’actualité et le charme de sa grosse voix, il a préféré l’exil à vie dans une île de l’océan Indien.
Jusqu’à aujourd’hui, on aime ses chansons reprises par d’autres voix, celles surtout qui arrivent à imiter l’original, la voix caverneuse et les paroles du grand maître disparu. C’est par rapport à cette voix rauque et à ses paroles qu’il a une grande estime auprès des connaisseurs de la chanson chaâbie. Quant à la musique, elle bien sobre, elle se limite à la flûte ou à l’instrument à corde de l’artiste et d’une derbouka propres au chanteur meddah qui vit retiré et ne chante que l’actualité en visant ce dont souffre la majorité silencieuse, on peut imaginer la grande diversité de thèmes. C’est avec un grand plaisir qu’on évoque les chanteurs itinérants qui chantaient partout en Algérie et c’est une tradition qui s’est perdue depuis belle lurette. C’est des chanteurs qui se plaçaient sur les places publiques des villes et villages pour exécuter des chansons que les gens aiment le plus en alternant instrument de musique et paroles, c’étaient généralement des aveugles ou des gens habillés pauvrement, et réellement, ils étaient pauvres.
Boumediene Abed