La croissance économique est conditionnée par une nouvelle organisation ministérielle et territoriale

Les défis de l’Algérie 2021/2024 face aux tensions budgétaires

Le Gouvernement Djerad a déposé sa démission et un nouveau Gouvernement est mis en place, en espérant du fait de vives tensions budgétaires, sociales et des tensions géostratégiques de privilégier l’efficacité et non la pléthore de ministres pour satisfaire des appétits partisans. Car une enquête récente, d’un centre de recherche sérieux le Cread montre clairement, contrairement aux discours euphoriques du ministre des Finances et du président du Conseil économique et social, voulant justifier un bilan mitigé, point de vue que ne partage pas même le président de la République, ni la majorité des experts induisant en erreur les décideurs, rejoignant nos analyses, que la situation socio-économique est préoccupante. Mais sans verser dans la sinistrose, elle peut être redressée, sous réserve d’une autre gouvernance et d’une nouvelle trajectoire axée sur de profondes réformes. Car à un mauvais diagnostic, il en résulte forcément une mauvaise politique. Il y a lieu donc procéder sans complaisance à un examen très lucide de la situation pour mieux réagir dans plusieurs segments de la vie économique et sociale : tels l’éducation-formation, le savoir pilier du développement, la santé, la modernisation de l’agriculture, la culture financière des acteurs économiques, l’efficacité de l’administration, la relance des entreprises, à travers une nouvelle politique industrielle, lutter contre les déséquilibres régionaux et les inégalités sociales, la formation civique et politique de la jeunesse et tant d’autres domaines. Dans la pratique des affaires n’existent pas de sentiments, l’attrait de l’investissement productif y compris les services à valeur ajoutée, qu’il soit étranger ou national, reposant sur la visibilité et la confiance. Comme j’ai eu à le rappeler dans différentes contributions nationales et internationales, largement diffusées entre 1976/2019 afin de rapprocher l’Etat du citoyen, se pose l’urgence d’une manière claire pour nos gouvernants de comprendre le fonctionnement de la société loin des bureaux climatisés.

Cela suppose une autre organisation locale, par la création de cinq à six pôles socio-économiques régionaux pilotés par les chambre de commerce régionales, le wali jouant le rôle de régulateur et non de gestionnaire, impliquant tant l’administration, les élus, les entreprises, les banques, la société civile, les universités/centre de recherche devant donc revoir les codes communaux et de wilayas. Les directions de wilayas qui sont budgétivores devront être regroupées en adéquation avec ceux des ministères. Cette nouvelle organisation devrait favoriser un nouveau contrat social national afin d’optimaliser l’effet de la dépense publique et rendre moins coûteux et plus flexible le service public. Une centralisation à outrance, favorise un mode opératoire de gestion autoritaire des affaires publiques, une gouvernance par décrets, c’est-à-dire une gouvernance qui s’impose par la force et l’autorité loin des besoins réels des populations et produit le blocage de la société. Après le tout Etat, l’heure est au partenariat entre les différents acteurs de la vie économique et sociale, à la solidarité, à la recherche de toutes formes de synergie et à l’ingénierie territoriale.
C’est dans ce contexte, que l’APC doit apparaître comme un élément fédérateur de toutes les initiatives qui participent à l’amélioration du cadre de vie du citoyen, à la valorisation et au marketing d’un espace. C’est à l’APC que reviendra ainsi la charge de promouvoir son espace pour l’accueil des entreprises et de l’investissement devant se constituer en centre d’apprentissage de la démocratie de proximité qui la tiendra comptable de l’accomplissement de ses missions. Actuellement les présidents d’APC ont peu de prérogatives de gestion tout étant centralisé au niveau des walis alors qu’il y a lieu de penser un autre mode de gestion, de passer du stade de collectivités locales providences à celui de collectivités locales entreprises et citoyennes responsables de l’aménagement du développement et du marketing de son territoire. L’aménagement du territoire ne peut être conçu d’une manière autoritaire, interventionniste, conception du passé, mais doit être basé sur la concertation et la participation effective de tous les acteurs sociaux. Il doit dépasser cette vision distributive à l’image des programmes spéciaux mais doit concourir à optimaliser la fonction du bien être collectif. L’aménagement du territoire devra répondre aux besoins des populations en quelque lieu qu’elles se trouvent et assurer la mise en valeur de chaque portion de l’espace où elles sont installées.
Il ne s’agira pas d’opposer le rural à l’urbain, les métropoles aux provinces, les grandes villes aux petites mais d’organiser leurs solidarités. Pour cela, il s’agira de favoriser une armature urbaine souple à travers les réseaux, la fluidité des échanges, la circulation des hommes et des biens, les infrastructures, les réseaux de communication étant le pilier. Cela implique une nouvelle architecture des villes, des sous systèmes de réseaux mieux articulés, plus interdépendants bien que autonomes dans leurs décisions (voir l’ouvrage collectif pluridisciplinaire regroupant économistes, sociologues, politologues, sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul «réformes et démocratie» Casbah 2 volumes Editions (2004 Alger 500 pages) avec un chapitre a ce sujet).
L’efficacité de ces mesures d’aménagement du territoire pour favoriser les activités productives, impliquent la refonte des finances locales et des taxes parafiscales sans laquelle la politique d’aménagement du territoire aurait une portée limitée devant s’appuyer sur le système de péréquation entre les régions pauvres et riches. La structure qui me semble la plus appropriée pour créer ce dynamisme, ce sont les chambres de commerce régionales qui regrouperaient l’Etat, les entreprises publiques/privées, les banques, les centres de formation professionnelle, et les universités/centres de recherche autour de quatre à cinq pôles régionaux tenant compte du Sud/Est et du Sud Ouest.
L’action des Chambres de commerce, lieu de concertation mais surtout d’impulsion pour la concrétisation de projets serait quadruple :
A- premièrement, dynamiser les infrastructures de base et préparer des sites confiés à des agences de promotions immobilières publiques et privées ;
B- deuxièmement, mettre à la disposition des sociétés une main-d’œuvre qualifiée grâce à un système de formation performant et évolutif allant des ingénieurs, aux gestionnaires, aux techniciens spécialisés et ce, grâce aux pôles universitaires et des centres de recherche, évitant ce mythe d’une université par wilaya. Ainsi, nous assisterons à une symbiose entre l’université et les entreprises. Car les sociétés ont besoin de l’accès aux chercheurs, aux laboratoires pour les tests d’expérimentation et l’université a besoin des sociétés comme support financier et surtout d’améliorer la recherche. Les étudiants vivent ainsi la dialectique entre la théorie et la pratique. (Pour ce point voir l’expérience du pole régional de Greenville USA www.google -Mebtoul 1995 suite à une longue tournée que j’ai effectuée aux USA) ;
C- la troisième action est de favoriser des entreprises souples reposant sur la mobilité et les initiatives individuelles. Des tests ont montré que l’initiative personnelle, pour certains produits, permet d’économiser certains équipements (donc d’avoir un amortissement moindre dans la structure des coûts) et de faire passer le processus de sept (7) minutes (420 secondes) à 45 secondes soit une économie de temps de plus de 90 % améliorant la productivité du travail de l’équipe. Ce qu’on qualifie d’équipes auto- dirigées ;
D- La quatrième action, la Chambre de commerce intensifierait les courants d’échange à travers différentes expériences entre les régions du pays et l’extérieur et l’élaboration de tableaux de prospectifs régionaux, horizon 2021/2030. La mise à la disposition des futurs investisseurs de toutes les commodités nécessaires ainsi que des prestations de services divers (réseau commercial, loisirs) est fondamentale. Cette symbiose entre ces différentes structures doit aboutir à des analyses prospectives, à un tableau de bord d’orientation des futures activités de la région, afin de faciliter la venue des investisseurs.

2.2- Réformes et culture participative : pour un nouveau contrat social
Toute cette organisation doit reposer sur la maîtrise du système d’information en temps réel, sans laquelle aucune prévision n’est possible, assistant actuellement à des déclarations contradictoires de ministère à ministère, le renseignement étant la base de toute action, nécessitant une structure indépendance du gouvernement à l’image de ce qui se passe dans les pays développés. Pour des raisons de sécurité nationale, la situation socio-économique préoccupante implique une nouvelle gouvernance et un sursaut national où après les élections législatives du 12 juin 2021, l’important pour l’avenir de l’Algérie est le redressement économique et social existant un lien dialectique entre sécurité et développement. Car nous avons deux options : soit satisfaire les appétits partisans par une redistribution passive de la rente avec la création de 40 ministères sans efficacité réelle, ou privilégier l’efficacité gouvernementale, condition d’un développement durable. Ce dernier repose sur le travail et l’intelligence afin de redonner une lueur d’espoir, surtout à une jeunesse désabusée en conciliant l’efficacité économique et la justice sociale dans un univers concurrentiel où toute Nation qui n’avance pas recule.
Le retour à la croissance hors hydrocarbures qui reste tributaire, outre de l’élément fondamental de bonne gouvernance et de la revalorisation du savoir, d’un certain nombre de conditions : la réhabilitation de l’entreprise et la levée des contraintes bureaucratiques à l’investissement passant par la refonte urgente du système financier, fiscal, douanier, domanial, du foncier, une détermination plus grande de la réalisation du programme du partenariat public/privé et de la privatisation qu’elle soit totale ou partielle. Sur le plan sociopolitique, cela passe la production d’une culture politique participative, une communication institutionnelle efficiente et l’élaboration d’un nouveau consensus social et politique (ce qui ne signifie aucunement unanimisme, signe de la décadence de toute société) permettant de dégager une majorité significative dans le corps social autour d’un véritable projet de société. La réussite est avant tout non celle d’un homme seul (une seule main comme dit l’adage ne saurait applaudir), mais celle d’une équipe compétente soudée, de véritables managers sachant tant gérer qu’à l’écoute des populations, animés d’une profonde moralité avec une lettre de mission à exécuter dans les délais respectant les coûts internationaux.
Car la situation actuelle montre clairement une très forte démobilisation populaire, la détérioration du niveau et une baisse drastique des réserves de change qui résultent de facteurs exogènes, grâce aux hydrocarbures, environ 97/98% en incluant les dérivées d’hydrocarbures, un taux de croissance relativement faible tiré essentiellement par les dépenses publiques en récession (moyenne de 2/3% entre 2000/2019 avec une entrée en devises ayant dépassé les 1000 milliards de dollars et une sortie de devises en biens et services ayant dépassée 930 milliards de dollars, 20 milliards de dollars de sorties de devises en 2020, paradoxe avec un taux de croissance négatif d’environ 6%. Comme suite logique, nous assistons à des tensions sociales, devant créer 350.3000/4100.000 emplois par an qui s’ajoute au taux de chômage qui selon le FMI dépassera 15% en 2021 et le retour de l’inflation avec la détérioration du pouvoir d’achat, le défi étant un taux de croissance, 2021/2027, de 8/9% en termes réels.
En conclusion, l’Algérie, pays à fortes potentialités, doit s’adapter aux nouveaux enjeux mondiaux. Le développement du XXIème siècle reposera sur la bonne gouvernance et la valorisation du savoir dominé par la transition énergétique et numérique avec la nouvelle révolution du système d’information et de vives tensions au niveau de la région qui préfigurent d’un bouleversement géostratégique et économique. L’adaptation à ces nouvelles donnes implique un Etat de droit, la promotion de la condition féminine, la démocratie tenant compte de notre anthropologie culturelle et la mise en place de l’économie de marché concurrentielle productive, loin de tout monopole qu’il soit public ou privé. La démocratie ne saurait signifier anarchie. L’ordre, qui ne saurait signifier autoritarisme par la valorisation du travail par la discipline et la tolérance des idées contradictoires productifs et non verser dans les critiques négatives, n’est pas antinomique avec la démocratie et le développement comme en témoignent la structuration sociale différente des pays comme l’Allemagne, le Japon, la Chine, la Corée du Nord, bien au contraire et bien entendu sous tendu par la moralité des dirigeants.
L’objectif stratégique est de mettre en œuvre une nouvelle gouvernance économique, autour de grands ministères dont celui de l’Économie, évitant des micro ministères pour satisfaire des clientèles, qui se télescopent nuisant à la cohérence globale, une réelle décentralisation et devant s’orienter vers une société participative des partis politiques crédibles et la responsabilisation pleine et entière de l’ensemble de la société, conciliant la modernité et la préservation de notre authenticité. La réussite de cette grande entreprise dans le cadre de l’espace euro méditerranéen et africain, espace naturel de l’Algérie, interpelle toute la société supposant une révolution culturelle des mentalités des dirigeants et des citoyens qui ont longtemps reposé sur la rente.
A vouloir perpétuer des comportements passés, l’on ne peut aboutir qu’à une vision périmée. Le risque, sous couvert de discours trompeurs d’autosatisfaction de certaines institutions supposées éclairer les décideurs, mais hélas remplissant imparfaitement leur mission, car l’objectif n’est pas de plairai en contrepartie d’une rente, mais de dire la vérité, voilant la réelle situation socio-économique avec le risque d’ une déflagration sociale, est justement là, ce qu’aucun patriote ne souhaite.
(Suite et fin)
Professeur des Universités Expert international Dr Abderrahmane Mebtoul