Un festival de cinéma pionnier ?

Cannes-2021 et l’écologie

Le changement climatique pose aussi à l’industrie cinématographique une question cruciale : veut-on faire partie du problème ou de la solution ?

Le Festival de Cannes a pris cette année la décision solennelle d’afficher pour la première fois des engagements écologiques et de programmer une sélection de films sur l’environnement. Action crédible ou coup publicitaire ? Quels seront les deux plus grands défis auxquels le Festival de Cannes doit faire face dans les prochaines années ? Probablement la révolution provoquée par les plateformes… et la catastrophe climatique qui se dessine à l’horizon. Avec son action «Le cinéma pour le climat», le plus grand festival de cinéma au monde déclare que «l’édition 2021 sera celle du monde d’après pour un festival de toujours» et promet de «repenser intégralement la manière de produire le Festival de Cannes».
«Incarner cinématographiquement cet engagement écologique»
Six documentaires et une fiction sont censés «incarner cinématographiquement cet engagement». Changeront-ils la donne ? Même s’ils ne sont pas en lice pour la Palme d’or, ils composent la première sélection de films sur l’environnement dans l’histoire du Festival. Le Français Cyril Dion nous alerte dans Animal sur l’extinction des espèces. Marcher sur l’eau (Niger-France) d’Aïssa Maïga nous emmène dans un village nigérien victime du réchauffement climatique. L’Indien Rahul Jain nous fait frémir avec Invisible Demons, un documentaire choc sur la pollution en Inde. Et dans La Croisade, Louis Garrel et feu Jean-Claude Carrière donnent le pouvoir aux enfants ou plutôt montrent comment les enfants décident de prendre en main leur destin face aux catastrophes qui s’annoncent. «La prise de conscience et la défense de la planète se jouent aussi au cinéma», affirme Thierry Frémaux, le délégué général, souhaitant hisser au plus haut niveau l’engagement et les pratiques écologiques de Cannes. Et cela dès cette année. «Nous sommes le premier festival à afficher des convictions environnementales», souligne Frémaux. Même le tapis rouge, dorénavant intégralement recyclable et recyclé, est soumis au nouveau régime et sera deux fois moins changé que les années précédentes. Le Festival arrête aussi de distribuer, comme en 2019, plus de 22 000 bouteilles d’eau en plastique.
Chaque festivalier doit payer une contribution environnementale de 20 euros
Côté réalisateurs, Nathan Grossman, documentariste suédois qui a préféré passer 34 heures en train que de prendre l’avion pour présenter son film sur Greta Thunberg à la Mostra de Venise, reste encore l’exception absolue. Au Festival de Cannes, dès cette année, chaque festivalier (qu’il prenne le train, la voiture ou un jet privé pour arriver sur la Croisette), est obligé de payer une «contribution environnementale de 20 euros (hors taxes)» pour compenser l’empreinte carbone de l’événement qui est, selon les chiffres officiels, à 89% imputable aux voyages des participants. Les recettes seront «entièrement destinées au financement de programmes de compensation carbone à rayonnement local, national et international». Figure de proue du cinéma mondial, le Festival de Cannes revendique ainsi parmi les grands festivals de cinéma un rôle pionnier dans le domaine. Sans s’étaler sur le nombre d’atterrissages et de décollages d’avions à l’aéroport de Cannes pendant le mois du Festival (estimé en 2018 par une association écologique à 1 700), Frémaux admet qu’«il y a parfois des aberrations». Pendant la conférence de presse, il a même posé ouvertement la question : «Est-il vraiment nécessaire qu’un producteur américain prenne l’avion pour signer son contrat à Cannes» ? Tout en donnant la réponse : «Pour le moment, je pense que oui.»
L’industrie cinématographique, une industrie très polluante ?
Reste une autre question qui fâche : doit-on considérer l’industrie cinématographique comme une industrie très polluante ? Plein de bonne volonté, le délégué général avoue n’être actuellement pas en mesure de communiquer l’empreinte carbone du dernier festival en 2019 : «Sur les détails des chiffres, je ne suis pas un spécialiste, je ne vais pas m’amuser à vous répondre.» Pour quelle raison ? La publication du bilan écologique risquerait-elle d’endommager durablement l’image glamour et paillettes du plus grand rendez-vous cinématographique au monde ? Ou n’existe-t-il tout simplement pas encore de comptabilité globale concernant les émissions CO2 produites par le festival ?
Le Carbon Clap, calculateur d’empreinte carbone
Une chose est sûre : pour la production cinématographique, les outils existent. Cela fait plus que dix ans que le collectif français Ecoprod a mis en place le Carbon’ Clap, le premier calculateur d’empreinte carbone dédié à la production audiovisuelle. «Il permet à chaque production audiovisuelle ou cinématographique d’estimer de façon assez précise son empreinte carbone. Le Carbon Clap est un outil d’aide à la décision et aide à identifier les postes qui sont les plus émetteurs. Est-ce que ce sont les déplacements des techniciens et des comédiens, la construction des décors, la cantine… ? Chaque film se décompose dans une quinzaine ou vingtaine de postes de dépenses», explique Baptiste Heynemann, délégué général de la CST (une des associations de techniciens historiques du cinéma français) qui est membre du collectif Ecoprod, créé en 2009.
Un prix pour des films respectueux de l’environnement ?
Une évolution qui semble aussi inévitable pour les films sélectionnés au Festival de Cannes. Pour le moment, le Festival est à juste titre fier d’avoir donné un signal historique en choisissant le réalisateur afro-américain Spike Lee pour être le premier Noir président du prestigieux jury. En revanche, personne n’a mentionné que Lee a reçu en 2018, aux États-Unis, le Green Seal EMA Award, un prix récompensant les films durables, pour BlacKKKlansman, d’ailleurs présenté et acclamé à Cannes. Existe-t-il un prix similaire en France ? «En France, nous n’avons pas un prix comparable pour la fiction, remarque Baptiste Heynemann. Nous avons un prix comparable sur le secteur de la publicité, le Deauville Green Award, décerné aux publicités fabriquées de façon respectueuse pour l’environnement.»
En attendant, la pression de l’opinion publique monte, et ce n’est probablement pas en projetant simplement des films sur l’environnement que le Festival de Cannes va relever le défi qu’il a lui-même lancé. Certains se souviennent encore de la sortie de Waterworld, en 1995, un blockbuster post-apocalyptique avec Kevin Costner sur les conséquences du changement climatique, mais qui est finalement resté dans les annales surtout pour son tournage peu respectueux de l’environnement. Pendant l’édition de Cannes 2016, la superstar Leonardo DiCaprio avait fait des vagues en tant que lauréat d’un prix pour son engagement écologique. Une récompense qu’il a cherchée personnellement à New York avec un aller-retour en jet privé pour revenir à temps pour le Festival de Cannes. Longtemps ces «faux-pas» ont été traités comme des faits divers ou des détails engloutis dans une marée d’actualités défaitiste. Aujourd’hui, de plus en plus de spectateurs se posent la question de la légitimité d’un réalisateur d’envoyer son équipe de film 10 000 kilomètres en avion pour un plan d’une seconde.
Une Palme d’or pour un film au service de l’environnement ?
Et qui sait, peut-être le Festival de Cannes sera-t-il bientôt fier de décerner, au-delà de la Palme d’or pour les longs métrages et une autre Palme d’or pour les courts métrages, également une Palme dans la catégorie des films sur l’environnement.
S. F.