Les intermédiaires tuent le souk

El-Bayadh : les éleveurs désorientés

La wilaya d’El-Bayadh connaît 150 journées de vent de sable par an avec deux contraintes : le froid et la sécheresse, la rareté et l’irrégularité des précipitations. Pour les spécialistes rencontrés : «Ce n’est pas le désert qui avance hermétiquement, mais plutôt le Nord qui favorise cette avancée par les dépôts de sable, grâce à l’activité éolienne».

Phénomène plus spectaculaire encore, dans le territoire de la wilaya d’El-Bayadh, principalement dans les communes et daïras, où des dunes mobiles poussées par le vent ensablent localement ces dernières, y compris les villages jusqu’à la réduction progressive du tapis végétal en provoquant sa disparition définitive. Dans ce contexte, des éleveurs de la commune de Bougtob, distante de 100 kilomètres du chef-lieu, se sont élevés contre les inégalités de la problématique de l’approvisionnement en matière premières ou en produits finis, à l’exemple du «son» et du «foin», qui se retrouvent entre les mains des prédateurs, qui dérèglent le marché et font de ce business informel un créneau juteux. Actuellement, les prix pratiqués aux éleveurs des zones steppiques ou le «son» est cédé à la vente à 32.00 DA/q, l’aliment de bétail à 3.500 DA, l’orge à 3.300 DA et le maïs entre 2.850 et 2.900 DA/q. Une véritable fournaise et dont les smicards et autres bas revenus ne peuvent se permettre d’acheter un mouton cette année. D’où l’instauration d’un véritable marché parallèle. La logique dans cette affaire qui perdure depuis presque une décennie veut que l’Etat, en tant que régulateur indirect, doit s’imposer pour mettre un terme à cette situation d’émergence de réseau d’intermédiaires sauvages qui a fait son nid de pirates sur place.
En plus de ces histoires débiles d’intermédiaires et autres pseudo-maquignons via d’autres intermédiaires patentés «cèdent la botte de fourrage à 600 dinars et celle du foin à 400 dinars, prétextant la sécheresse et les mauvais aléas climatiques que notre pays a vécu cette année. On se souvient d’une initiative de réorganiser le secteur des éleveurs, initiée en 2000 par le ministère de l’Agriculture, à laquelle ont collaboré le secrétaire de la tutelle, le Haut commissariat du développement de la steppe, ainsi qu’un nombre important de responsables du secteur concerné. Le représentant du ministère de l’Agriculture à l’époque a souligné : «Nous sommes venus pour trouver des solutions à vos doléances où des dispositions concrètes seront effectives pour permettre aux éleveurs la mise en œuvre de réelles économies d’échelle dans leurs investissements sur des actions de long et court terme». Depuis, cette prophétie du sérail accompagne de longs et beaux discours des leviers de commandes et les choses, depuis cette poudre aux yeux, n’ont pas évolué d’un iota. Bien au contraire, le laisser-aller a complètement sclérosé tout un ensemble d’institutions et de structures, ce que les seules professions de foi ne peuvent régler.
En effet, beaucoup reste à faire et ceci pour plusieurs raisons : pour les éleveurs de la daïra de Bougtob, le secteur de l’agriculture et en particulier l’élevage, qui d’ailleurs a été politisé à des fins occultes ou tribales, malgré les discours politiciens de responsables censés trouver des solutions afin de réorganiser le secteur, butent contre l’absence d’une politique agricole bien étudiée. Dans la wilaya d’El-Bayadh, la nappe alfatière qui était de l’ordre de 1.119.000 hectares a régressé en 2007 pour se situer dangereusement à 250.000 hectares. La commune de Bougtob, qui détient a elle seule presque 100.000 hectares, d’ailleurs la plus importante, a vu ses terres de parcours et de pacage basculer vers un véritable désastre. Dans cette région profonde de l’Algérie, et à environ 100 kilomètres de la wilaya de Saïda, la steppe est devenue le parent pauvre des éleveurs. Les éleveurs qui sont estimés à 900 dans la commune de Bougtob et dont le regroupement autour de cette localité déshéritée, a été interprété comme étant une catastrophe économique pour la wilaya. L’effet conjugué d’une sécheresse persistante suivi d’une intervention anarchique de l’homme sur le milieu, se résume par un surpâturage incroyable dont les conséquences ont été d’une gravité extrême sur l’environnement. Au niveau de la daïra de Bougtob, la steppe ne se renouvelle plus.
Le périmètre de la végétation détruite ne protège plus la terre, qui est livrée à une avancée des sables inquiétantes, et ce, jusqu’aux portes de la wilaya de Saïda. D’après un spécialiste de l’environnement, un universitaire de renom explique en ces termes : «La wilaya de Saïda sera confrontée tout au plus d’ici une décennie au même problème que la wilaya d’El-Bayadh, si aucune intervention concrète des pouvoirs publics et autres responsables concernés par cette calamité naturelle ne viendrait pas stopper cette avancé dangereuse». Au niveau du chef-lieu de la wilaya, beaucoup de décisions ont été prises en collaboration avec le Haut commissariat pour le développement de la steppe, pour veiller d’une manière commune au respect d’une réglementation afin d’empêcher le pacage et en même temps interdire et réprimer tout pâturage dans les bandes alfatières protégés, sont restées lettre morte. Des citadins recrutés pour surveiller des bandes alfatières, à raison de 8.000 DA/mois, une somme généreusement octroyée par le HCDS à l’époque, ont préféré quitter la zone de protection pour se reconvertir en marchands ambulants, tout en restant bénéficiaire de cette somme.
Ine fine, plus de 50.000 têtes de cheptels, en plus du bétail qui est estimé à 5.000, en plus d’une richesse en camelins de l’ordre de 4.500 têtes, sont devenues des otages d’un système obsolète de protection des éleveurs, qui se répercute sur la vie économique du pays. Il faut absolument revoir les cartes tribales : Bougtob, une région agropastorale par excellence, à l’instar des autres daïras et communes déshéritées mérite mieux. Pour ne pas s’écarter de sa vocation agricole d’élevage, qui est bouleversée par tant de dégradation où la totalité de sa superficie a été profondément saccagée par l’action de l’homme. La terre dans ce contexte est stérile : les défrichements, des labours anarchiques et l’abandon des périmètres protégés ont porté un sérieux coup à la région. La transhumance dans cette optique demeure dans l’impossibilité de répondre à la demande croissante des éleveurs. Un éleveur de la région de Bougtob, rencontré devant le siège de la daïra de ladite localité, dira : «Aujourd’hui, réunir les moyens de l’intégration des milieux de la transhumance, demeure difficile d’accès, vu la sécheresse, où la grande partie de nos semblables, gens du voyages, sont partis vers le Nord, est une nécessité capitale pour notre survie. Cependant, la cherté des prix pratiqués des zones de transhumance au nord du pays et la situation sécuritaire a énormément déstabilisé les plus téméraires.
C’est une situation épineuse». L’équation «mouton-céréale-transhumance» doit être résolue dans les plus brefs délais, car la douleur de l’animal interpelle la dignité des éleveurs et le respect qu’il a pour lui-même, car dans d’autres pays qui se respectent, de tels cris de détresse attireraient les pouvoirs publics pour remédier à ces innombrables lacunes répétitives. Le résultat : la saignée à travers la frontière Ouest et Sud-Ouest avec le royaume chérifien ou le Maroc oriental restera un élément pourvoyeur de cette richesse algérienne qui passe ainsi les frontières nationales à partir des wilayas de Tlemcen, Nâama et Béchar. Compte tenu des problèmes urgents que les responsables au niveau central doivent affronter, et en premier lieu, reste celui de mettre fin au niveau de la commune de Mekmen Ben Amar et Kesdir, une région frontalière avec le Maroc tous deux situés dans la wilaya de Nâama, qui voit des milliers de têtes d’ovin continuer de filer vers le royaume. Dans ce contexte, personne ne veut en tirer des conséquences d’une situation qui perdure, où le cheptel sort principalement des villages de Trandrara et Berguet situés dans la zone de Laricha, localité située à environ 145 kilomètres au nord-ouest de Nâama. Ici, la transaction se monnaye en «cannabis», c’est-à-dire les moutons contre de la drogue. Tout se passe entre familles, souvent formées en bandes organisées.
La wilaya d’El-Bayadh et sa région ont leur mot à dire où l’urgence de trouver des échanges entre le Sud et le Nord, par un arbitrage fondé sur une égalité des pouvoirs publics et les décideurs, nécessite aussi de créer un lien solide, les premiers magistrats des wilayas à vocation agropastorale, afin de répondre à certaines questions brûlantes du foncier qui minent l’esprit tribal dans ces régions. Un responsable qui a voulu garder l’anonymat, n’y est pas allé par quatre chemins, en nous déclarant en ces termes : «Il faut absolument revoir la carte tribale, implanter les éléments nécessaires là où il faut. Mais aussi écouter ce que veulent les éleveurs et nomades». Pour conclure, depuis ces aberrations qui continuent de miner les relations entre les administrés nomades et l’administration, le ministère de l’Agriculture semble avoir clos le dossier. Les éleveurs, quant à eux, attendent des initiatives. En attendant, des passeurs où seraient impliqués de gros barons, où des camions Berliet-GAK, pleins à craquer d’ovins traversent la frontière en toute impunité, et ce, grâce à des complicités des deux côtés. L’argent de la drogue alimente aussi la corruption et mine la cohésion sociale et économique du pays, qui étouffe les secteurs officiels, au point que certains experts internationaux prédisent un risque de déstabilisation de ces régions profondes de l’Algérie, et dont nos institutions peinent à imposer un début de contrôle des «trafics de drogue contre richesse nationale», qu’est le cheptel.
Manseur Si Mohamed