L’Algérie face aux enjeux sécuritaires et géostratégiques en Afrique et en Méditerranée

Economie

Les derniers évènements avec le Maroc posent pour l’Algérie, la problématique tant de la sécurité régionale que de la sécurité interne, existant un lien dialectique entre sécurité et développement, rendant urgent un front social interne solide et de profondes réformes structurelles loin des replâtrages conjoncturels. Pour réaliser la nécessaire cohésion sociale, il appartient au gouvernement afin d’éviter l’affrontement force de sécurité population en cas de malaise social d’asseoir une nouvelle gouvernance liée à l’efficacité des institutions et de présenter rapidement son programme de relance économique loin des utopies du passé, car le temps ne se rattrape jamais en économie.

Nous sommes face à de profondes mutations géostratégiques, économiques, sociales et culturelles mondiales fondées sur la transition numérique et des réseaux sociaux, une nouvelle politique économique innovatrice touchant tous les secteurs dont la transition énergétique qui devrait, selon le récent rapport de la Banque mondiale de juin 20211, déclasser les fossiles classiques. Toute Nation qui n’avance pas recule forcément et toute Nation n’est forte que si son économie est forte, l’Algérie étant dépendante des hydrocarbures (97/98% des recettes en devises avec les dérivés).

1- Le renforcement du dialogue méditerranéen en matière de défense et de sécurité
La fin de la Guerre froide, les velléités d’émancipation de l’Europe de la tutelle américaine – particulièrement en matière de défense et de sécurité – et la volonté de construire avec les pays de la région des relations économiques privilégiées accroît de manière significative cet intérêt. Qu’il s’agisse en effet de crises régionales, de scissions d’Etats, de prolifération d’armes, de destruction massive ou de conflits internes (ethniques, religieux, culturels ou autres), l’Otan est perçu par les Européens comme une organisation incapable de réagir à ces nouveaux types de menaces. C’est pourquoi va revenir à la surface, le vieux rêve d’Europe de la défense que caressaient un certain nombre de pays du Vieux continent. Aussi les Européens se mettent à la recherche d’une alternative à l’Otan et à l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) laquelle, pour d’autres raisons, ne pouvait prétendre combler le «vide de sécurité» en question. Or, l’UEO est non seulement absente du théâtre européen mais aussi, elle connaît un phénomène «d’otanisation» qui rend difficile son autonomie et son usage donc en tant qu’instrument au service d’une politique européenne de sécurité et de défense autonome. C’est dans ce cadre, que des tentatives sont faites pour redynamiser le dialogue euro-méditerranéen avec deux initiatives : d’une part, la politique européenne de voisinage ; d’autre part, le partenariat stratégique entre l’Union européenne d’un côté et la Méditerranée et le Moyen-Orient de l’autre.
La stratégie de l’Union pour la Méditerranée avait le même objectif stratégique bien que se différenciant sur les tactiques, de relance du partenariat méditerranéen, sous tendant une prospérité partagée Europe-Afrique via la Méditerranée pour freiner l’émigration massive notamment de l’Afrique sub-saharienne. D’une manière générale, sur le plan militaire et géo-stratégique, c’est à travers les activités du groupe dit des «5+5» que peut être apprécié aujourd’hui la réalité d’une telle évolution. C’est que la lecture que font les Européens des menaces et défis auxquels le monde et notre région sont confrontés repose essentiellement sur la nécessité de développer ensemble une stratégie de riposte collective et efficace concernant notamment le terrorisme international, le trafic des êtres humains et la criminalité organisée à travers la drogue et le blanchissement d’argent. En matière de défense et de sécurité, des consultations relatives à la mise en place d’un dialogue entre l’Algérie et l’Union européenne ont eu lieu sous forme de consultations informelles et de réunions formelles. Mais il serait souhaitable des clarifications portant sur deux questions jugées fondamentales. D’une part, la valeur ajoutée de cette offre de dialogue par rapport au dialogue méditerranéen de l’Otan, d’autre part, la coopération en matière de lutte contre le terrorisme dans le cadre de la PESD.

2- L’Algérie acteur déterminant de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine
Les relations entre les deux rives du Sahara et les dynamiques de la conflictualité saharienne actuelle interpellent l’Europe et notamment la pénétration de l’islamisme radical à ne pas confondre avec l’Islam religion de tolérance à l’instar du judaïsme ou du christianisme. Et sans oublier qu’existent des influences religieuses autour de la conception de l’Islam qui influence largement les dirigeants politiques au niveau du Sahel. Nous avons assisté dans la région à de profondes mutations de la géopolitique saharienne après l’effondrement du régime Libye et les tensions au Mali (intervention du Pr Abderrahmane Mebtoul IMDEP ministère de la Défense nationale novembre 2019, les impacts géostratégiques des conflictualités et des trafics aux frontières). De plus en plus nombreux, des migrants subsahariens s’installent désormais dans les pays du Maghreb avec l’intensification de la contrebande. Bien avant et surtout depuis la chute du régime de Kadhafi, le Sahel est l’un de ces espaces échappant à toute autorité centrale, où se sont installés groupes armés et contrebandiers. Kadhafi disparu, ce pays n’ayant jamais eu d’Etat au sens proprement dit à l’instar de bon nombre de régimes dictatoriaux qui s’appuient sur des proches, soit familiaux ou régionaux pour conserver le pouvoir, des centaines de milliers, dont 15 000 missiles sol-air étaient dans les entrepôts de l’armée libyenne, puis ont équipé les rebelles au fur et à mesure de leur avancée dont une partie a été accaparé par de différents groupes qui opèrent au Sahel. Dès lors la sécurité de l’Algérie est posée à ses frontières.
La frontière Algérie Mali est de 1376 km, la frontière entre l’Algérie et la Libye de 982 km, la frontière Algérie Niger de 956 km, la frontière Algérie Tunisie est de 965 km soit au total 4 279 km à surveiller. Le problème est plus grave pour les frontières conjointes avec le Mali et la Libye. Il ne faut pas oublier que les djihadistes étaient venus depuis cette région lors de l’attaque terroriste de Tiguentourine. C’est dans cet objectif que se sont établis des dialogues stratégiques notamment entre les Europe/USA/Algérie. Pour l’Algérie, Mme Amanda Dory, l’ex secrétaire-adjointe chargée des Affaires africaines auprès du département américain de la Défense, intervenant devant la sous-commission des affaires de l’Afrique du nord et Moyen-Orient relevant de la commission des Affaires étrangères du Sénat, qui a consacré une audition sur la situation politique, économique et sécuritaire en Afrique, je la cite : «De par sa situation géographique stratégique au Maghreb et sa longue histoire de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent sur son territoire, l’Algérie constitue un pilier pour ramener la stabilité dans la région. Cependant, l’efficacité implique de mettre en application une stratégie interrégionale qui associe l’ensemble des pays de la zone en plus des institutions internationales et des grandes puissances, du fait que la région est devenue un espace ouvert pour divers mouvements terroristes et autres groupes qui prospèrent via le trafic d’armes ou la drogue, menaçant la sécurité régionale surtout récemment avec la venue de djihadistes d’Irak et de Syrie. Il s’agit donc de lever les contraintes du fait que la corruptibilité générale des institutions, pèsent lourdement sur les systèmes chargés de l’application des lois et la justice pénale en général qui ont des difficultés à s’adapter aux nouveaux défis posés par la sophistication des réseaux du crime organisé.
La collaboration inter-juridictionnelle est ralentie par l’hétérogénéité des systèmes juridiques notamment en Afrique. De plus, la porosité des frontières aussi bien que la coordination entre un grand nombre d’agences chargées de la sécurité aux frontières posent de grands problèmes. À terme, la stratégie vise à attirer graduellement les utilisateurs du système informel vers le réseau formel et ainsi isoler les éléments criminels pour mieux les cibler tout en diminuant les dommages collatéraux pour les utilisateurs légitimes. Sur le court terme, les tensions dans la région notamment pour la protection de ses frontières, la situation en Libye, au Mali et accessoirement les actions terroristes à sa frontière en Tunisie ont imposé à l’Algérie des dépenses supplémentaires s’expliquant en partie par l’insécurité régionale, d’où l’importance à l’avenir de mutualiser les dépenses afin de ne pas freiner le développement.

3- La sécurité régionale implique la refonte des relations internationales
La crise mondiale actuelle devrait conduire à de profondes reconfigurations socio-économiques, technologiques mais également sécuritaires, objet de cette présente contribution. En effet, privilégiant en premier lieu ses intérêts stratégiques propres, partie prenante du dialogue méditerranéen (DM), l’Algérie agit en fonction d’un certain nombre de principes et à partir d’une volonté avérée de contribuer à la promotion de la sécurité et de stabilité dans la région. C’est que la fin de la Guerre froide marquée par l’effondrement du bloc soviétique et les attentats survenus aux Etats-Unis le 11 septembre 2001 représente un tournant capital dans l’histoire contemporaine. Le premier évènement marque la fin d’un monde né un demi siècle plutôt et la dislocation d’une architecture internationale qui s’est traduite des décennies durant par les divisions, les déchirements et les guerres que nous savons. Aujourd’hui, les menaces sur la sécurité ont pour nom terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, crises régionales et délitement de certains Etats. Or, les défis collectifs nouveaux sont une autre source de menace : ils concernent les ressources hydriques, la pauvreté, les épidémies, l’environnement. Ils sont d’ordre local, régional et global. Entre la lointaine et très présente Amérique et la proche et bien lointaine Europe, entre une stratégie globale et hégémonique, qui possède tous les moyens de sa mise en œuvre et de sa projection, et une stratégie à vocation globale qui se construit laborieusement et qui peine à s’autonomiser et à se projeter dans son environnement géopolitique immédiat, quelle attitude adopter et quels choix faire pour l’Algérie ? Interpellée et sollicitée, l’Algérie s’interroge légitimement sur le rôle, la place ou l’intérêt que telle option ou tel cadre lui réserve ou lui offre, qu’il s’agisse du dialogue méditerranéen de l’Otan ou du partenariat euro-méditerranéen, dans sa dimension tant économique que sécuritaire.
L’adaptation étant la clef de la survie et le pragmatisme un outil éminemment moderne de gestion des relations avec autrui, l’Algérie doit faire ce que commandent la raison et ses intérêts. Les nouveaux défis interpellent toute la région méditerranéenne et africaine qui dépassent en importance et en ampleur les défis que cet espace a eu à relever jusqu’à présent. La lutte contre le terrorisme implique de mettre fin à cette inégalité tant planétaire qu’au sein des Etats où une minorité s’accapare d’une fraction croissante du revenu national enfantant la misère et donc le terrorisme, renvoyant à la moralité de ceux qui dirigent la Cité. Car, le tout sécuritaire pour le sécuritaire a des limites. Le fossé entre les riches et les pauvres devient de plus en plus grand, l’écart de revenus renforçant les inégalités en matière de richesses, d’éducation et de santé. Les conséquences pernicieuses du chômage, une génération qui commence sa carrière dans un désespoir laissent des cicatrices profondes, spécialement parmi la jeunesse.
Une étude récente montre que la région Mena, (Proche-Orient et Afrique du Nord) est à l’orée d’une période d’incertitude croissante, aux racines ancrées dans la polarisation de la société. Les défis du nouveau monde sont la transition énergétique et numérique, mais également sécuritaire et la stabilité au niveau de la région et la démocratisation pour une société participative et citoyenne sont les facteurs déterminants de tout processus de co-développement fondé sur un partenariat gagnant/gagnant. Face à un monde en perpétuel mouvement, tant en matière de politique étrangère, économique que de défense, actions liées, avec les derniers événements dans le monde s’imposent pour l’Algérie des stratégies d’adaptation et une coordination régionale afin d’agir efficacement sur les événements majeurs et faire du bassin méditerranéen et de l’Afrique un lac de paix et de prospérité partagée.
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul