Les gouvernements occidentaux ont financé un important réseau de propagande (II)

Syrie

Le sous-traitant britannique s’est vanté d’un vaste réseau d’acteurs de la société civile et communautaire qu’ARK avait aidés par le biais d’un centre de renforcement des capacités spécialisé qu’ARK avait établi à Gaziantep, une ville du sud de la Turquie qui avait été une base d’opérations de renseignement contre le gouvernement syrien.

ARK a joué un rôle central dans le développement des bases du récit de l’opposition politique syrienne. Dans un document fuité, la firme s’est attribuée le mérite du «développement d’un récit central de l’opposition syrienne», qui a apparemment été élaboré au cours d’une série d’ateliers avec les dirigeants de l’opposition, parrainés par les gouvernements américain et britannique. ARK a formé tous les niveaux de l’opposition syrienne à la communication, depuis des «ateliers de journalisme citoyen avec des activistes des médias syriens, jusqu’au travail avec des membres de la Coalition nationale pour développer un récit de communication de base». Le cabinet a même supervisé la stratégie de relations publiques du Conseil militaire suprême (CMS), la direction de la branche armée officielle de l’opposition syrienne, l’Armée syrienne libre (ASF). ARK a créé une campagne de relations publiques complexe pour «donner une nouvelle image au CMS afin de le distinguer des groupes d’opposition armés extrémistes et d’établir l’image d’un corps militaire fonctionnel, inclusif, discipliné et professionnel».

ARK a admis qu’il cherchait à blanchir l’opposition armée syrienne, qui avait été largement dominée par les Salafi-jihadistes, en «adoucissant l’image du CMS». ARK a pris la tête du développement d’un réseau massif de militants des médias d’opposition en Syrie, et s’est ouvertement attribué le mérite d’avoir inspiré des manifestations à l’intérieur du pays. Dans ses centres de formation en Syrie et dans le sud de la Turquie, le sous-traitant du gouvernement occidental a déclaré : «Plus de 150 militants ont été formés et équipés par ARK sur des sujets allant des bases du travail avec des caméras, de l’éclairage et du son à la production de reportages, à la sécurité journalistique, à la sécurité en ligne et à la déontologie». La firme a inondé la Syrie de propagande d’opposition. En seulement six mois, ARK a rapporté que 668.600 de ses produits imprimés avaient été distribués en Syrie, y compris «des affiches, des dépliants, des brochures d’information, des livres d’activités et autres matériels liés à la campagne». Dans un document sur les opérations de communication des sous-traitants britanniques en Syrie, ARK et le service de renseignement britannique TGSN se sont vantés de superviser les médias suivants à l’intérieur du pays :

97 vidéastes, 23 rédacteurs, 49 distributeurs, 23 photographes, 19 formateurs dans le pays, huit centres de formation, trois bureaux de presse et 32 agents de recherche. ARK a souligné qu’elle avait des «contacts bien établis» avec certains des plus grands médias du monde, citant Reuters, le New York Times, CNN, la BBC, le Guardian, le Financial Times, The Times, Al Jazeera, Sky News Arabic, Orient TV et Al Arabiya. Le sous-traitant britannique a ajouté : «ARK fournit régulièrement, depuis 2012, du contenu aux principales chaînes de télévision par satellite panarabes et syriennes telles qu’Al Jazeera, Al Arabiya, BBC Arabic, Orient TV, Aleppo Today, Souria al-Ghadd et Souria al-Sha’ab». «Les produits ARK qui promeuvent les priorités du gouvernement de Sa Majesté en encourageant des changements d’attitude et de comportement sont diffusés presque chaque jour sur les chaînes panarabes», s’est vantée la firme. «En 2014, 20 reportages sur la Syrie ont été produits en moyenne par ARK chaque mois, et diffusés sur les grandes chaînes de télévision panarabes comme Al Arabiya, Al Jazeera et Orient TV». «ARK a des conversations presque quotidiennes avec les chaînes et des réunions hebdomadaires pour échanger et comprendre les préférences éditoriales», selon l’entité de renseignements occidentaux. La firme s’est également attribuée le mérite d’avoir placé dix articles par mois dans des journaux panarabes tels que Al Hayat et Asharq Al-Awsat

Le programme américano-britannique Basma cultive les militants

La guerre médiatique de l’opposition syrienne avait été organisée dans le cadre d’un projet appelé Basma. ARK a travaillé avec d’autres sous-traitants gouvernementaux occidentaux par l’intermédiaire de Basma afin de former des militants d’opposition syrienne. Grâce au financement des gouvernements américain et britannique, Basma est devenu une plateforme extrêmement influente. Sa page Facebook en arabe compte plus de 500.000 adeptes, et sur YouTube, elle a également attiré un grand nombre de personnes. Les principaux médias grand public ont dépeint à tort Basma comme une «plate-forme de journalisme citoyen syrien» ou un «groupe de la société civile travaillant pour une transition libératrice et progressive vers une nouvelle Syrie». En réalité, il s’agissait d’une opération d’astroturfing [*] du gouvernement occidental conçue pour cultiver des propagandistes de l’opposition. Neuf des seize pigistes utilisés par Al Jazeera en Syrie avaient été formés dans le cadre de l’initiative Basma du gouvernement américain et britannique, ce dont ARK s’est vanté dans un document fuité. Dans un rapport précédent pour le Foreign Office déposé trois ans seulement après le début de son travail, ARK affirmait avoir «formé plus de 1.400 bénéficiaires, représentant plus de 210 organisations bénéficiaires dans plus de 130 ateliers, et déboursé plus de 53.000 équipements individuels » dans un vaste réseau étendu «à l’ensemble des 14 gouvernorats de Syrie», ce qui couvrait des zones détenues par l’opposition et le gouvernement.

Le sous-traitant occidental a publié une carte mettant en évidence son réseau de pigistes et d’activistes médiatiques et leurs relations avec les Casques blancs, ainsi qu’avec les forces de police nouvellement créées dans les zones de Syrie contrôlées par l’opposition. Dans le cadre de ses formations, ARK a formé des porte-parole de l’opposition, leur a appris à parler avec la presse, puis a aidé à organiser des interviews avec les principaux médias de langue arabe et anglaise. ARK a décrit sa stratégie «pour identifier des porte-parole de gouvernance civile crédibles et modérés qui seront promus comme interlocuteurs privilégiés des médias régionaux et internationaux. Ils se feront l’écho des messages clés liés aux campagnes locales coordonnées dans tous les médias, les plateformes du consortium étant en mesure de diffuser également ces messages et d’encourager d’autres médias à les reprendre». En plus de travailler avec la presse internationale et de cultiver des leaders de l’opposition, ARK a contribué à développer une superstructure médiatique d’opposition massive. ARK a déclaré avoir été «un acteur clé dans la mise en œuvre d’un effort à donateurs multiples pour développer un réseau de stations de radio FM et de magazines communautaires en Syrie depuis 2012».

Le sous-traitant a travaillé avec 14 stations FM et 11 magazines en Syrie, y compris des radios en langue arabe et kurde. Pour diffuser les émissions de l’opposition à travers la Syrie, ARK a conçu ce qu’elle a appelé des kits «Radio in a Box» (RIAB) en 2012. La société s’est attribuée le mérite de fournir du matériel à 48 sites de diffusion. ARK a également fait circuler jusqu’à 30.000 magazines par mois. Il a indiqué que «les magazines soutenus par ARK étaient les trois plus populaires dans la ville d’Alep, le magazine le plus populaire dans la ville de Homs et le magazine le plus populaire à Qamishli». Un organe de propagande de l’opposition syrienne directement géré par ARK appelé Moubader a développé un énorme public sur les réseaux sociaux, y compris plus de 200.000 personnes sur Facebook. ARK imprimait 15.000 exemplaires par mois du magazine Moubader «sur papier de haute qualité» et le distribuait «dans toutes les régions de Syrie tenues par l’opposition». Le sous-traitant britannique TGSN, qui avait travaillé aux côtés d’ARK, avait développé son propre organe de presse appelé «Bureau des médias des forces révolutionnaires de Syrie (Revolutionary Forces of Syria Media Office, RFS)», comme le montre un document fuité.

Cela confirme un reportage publié en 2016 dans The Grayzone par Rania Khalek, qui avait obtenu des courriels montrant comment le bureau des médias RFS, soutenu par le gouvernement britannique, avait offert de payer un journaliste un montant stupéfiant, 17.000 dollars par mois, pour produire de la propagande pour les rebelles syriens. Une autre fuite montre qu’en un an seulement, en 2018 – qui était apparemment la dernière année du programme d’ARK pour la Syrie – la firme a facturé au gouvernement britannique le montant stupéfiant de 2,3 millions de livres sterling. Cette énorme opération de propagande d’ARK a été dirigée par Firas Budeiri, qui avait auparavant été directeur pour la Syrie de l’ONG internationale Save the Children, basée au Royaume-Uni. 40% de l’équipe du projet Syrie d’ARK étaient des citoyens syriens et 25 % étaient des Turcs. La firme a déclaré que le personnel de l’équipe syrienne avait « une grande expérience de la gestion de programmes et de la conduite de recherches financées par de nombreux clients gouvernementaux différents au Liban, en Jordanie, en Syrie, au Yémen, en Turquie, dans les territoires palestiniens, en Irak et dans d’autres États touchés par des conflits ».

(A suivre) Ben Norton