«Il faut redonner confiance afin que les Algériens s’impliquent»

«Réformes et démocratie» en Algérie – Pr Abderrahmane Mebtoul

Dans ce résumé actualisé d’un ouvrage pluridisciplinaire publié en 2005, le professeur Mebtoul plaide pour un système de communication transparent, adapté à la réalité de la société algérienne et au nouveau monde en mutation. Objectif premier : redonner confiance aux Algériens, les mobiliser pour les réformes dont le pays a besoin.

3 – Les cinq axes d’action sur le plan culturel
La culture est le segment vital du XXIe siècle, tant pour le développement que pour les futurs comportements et besoins sociaux (eau, santé, éducation) avec la préservation de la biodiversité, les industries de l’avenir, dont Internet, le tourisme dans toute sa diversité, la musique, les jeux vidéo et les feuilletons TV.
3.1 – Insister sur la diversité culturelle du pays et faire d’elle une richesse dont doivent profiter tous les Algériens.
3.2 – Développer les espaces d’expression artistique et culturelle et insister sur la nécessité des cultures des civilisations.
3.3 – Introduire dans les programmes de formation et d’éducation nationale des enseignements de culture, dont l’histoire ancestrale de l’Algérie, des Numides à ce jour.
3.4 – Faire du sport une activité de masse et professionnelle.
3.5 – Développer les associations culturelles dans tous les domaines.

4 – Les sept axes d’action dans le domaine politique
4.1 – La communication politique doit éviter l’essoufflement et la monotonie, et que les déclarations et les gestes de responsables ne soient pas un objet de caricatures ou de plaisanteries, tant dans la presse que dans les espaces publics.
4.2 – Les Algériens souhaitent que leurs responsables leur ressemblent ; ces derniers doivent éviter d’essayer que ce soit au peuple de leur ressembler.
4.3 – Dans ce cadre, les responsables doivent tracer un registre d’engagements qui toucheraient en premier lieu les situations pénibles vécues. Cela concerne notamment les problématiques relatives à la gouvernance : l’intégration de la sphère informelle qui produit la corruption ; la bureaucratie centrale et locale ; l’urbanisation anarchique faute d’une véritable politique d’aménagement du territoire ; le problème des logements souvent livrés sans VRD ; les infrastructures défectueuses ; les malades dans les hôpitaux avec un système de santé à revoir ; éviter les assainissements répétés des entreprises publiques qui – selon les données de la primature, reprises par l’APS le 1er janvier 2020 – ont nécessité durant les trente dernières années environ 250 milliards de dollars dont plus de 80% sont revenues à la case de départ ; redresser la baisse de niveau de l’éducation, du primaire au supérieur ; réformer en profondeur le système financier (douane, fiscalité, banques, domaines, banques publiques qui accaparent plus de 85% des crédits octroyés mais n’étant que de simples guichets administratifs ; résoudre l’épineux problème du foncier urbain et agricole ; intégrer pour une vie décente les communautés marginalisées dans le pays profond ; solutionner la pénurie d’eau et les coupures d’électricité, le dérapage du dinar, l’inflation des produits essentiels, les points noirs de circulation ; opérer un renouveau de la gestion des ambassades bureaucratisées, qui doivent donner une autre image positive de l’Algérie ; prendre en charge les doléances du Sud pour l’obtention d’emplois et bien entendu, de la majorité des autres wilayas touchés par le chômage,
4.4 – Il faut que les responsables politiques à tous les niveaux se présentent avec la modestie qu’exigent l’imaginaire et le mental algérien sans tomber dans le populisme médiatique qui serait alors contre-productif. Car la fonction ne doit pas être un privilège pour se servir, mais une lourde mission pour servir la Nation.
4.5 – L’opinion publique nationale se ligue normalement autour de la femme ou de l’homme rassembleur, capable de réaliser un certain accomplissement pour le pays.
4.6 – Le patriotisme – à ne pas confondre avec le nationalisme chauviniste – peut féconder la matrice qui forge la mobilisation populaire, sous réserve toujours de la moralité car en dépit des apparences, les Algériens sont attachés à leur passé et aux défis de leur présent.
4.7 – Dans ce contexte, il faut mettre en exergue la détermination à approfondir les réformes et l’alternance démocratique, qui aura pour but une vie meilleure au profit des générations présentes et futures.

En résumé, sans un retour à la confiance, supposant un système de communication officiel transparent – tant des citoyens que des investisseurs nationaux et internationaux – et des stratégies d’adaptation au nouveau monde en perpétuel changement. Il ne faut pas être utopique et se garder d’un développement aux conséquences dramatiques sur le plan socio économique et sécuritaire (voir sur ce thème l’interview du professeur Abderrahmane Mebtoul, au quotidien Horizon du 8 août 2021 : «Actions du gouvernement, rétablir d’abord la confiance État-citoyens»). Au vu des expériences récentes, avec les impacts du réchauffement climatique, l’épidémie du coronavirus, les innovations technologiques en perpétuelle évolution avec la transition numérique et énergétique, influant sur la nouvelle structure des taux de croissance et d’emplois nécessitant à la fois une haute qualification adaptée par une formation permanente, la flexibilité du marché du travail… Tout cela préfigure de grands bouleversements géostratégiques et une recomposition du pouvoir mondial, avec une nouvelle division internationale du travail.
Les contextes mondiaux font qu’aucun État, si puissant soit-il, n’est maître à 100% de son développement, les choix stratégiques dépassant les enjeux purement nationaux. Le concept de crise que traverse l’Algérie doit se hisser au niveau de la crise du monde et ne pas rester une crise de société bloquée, faute de perspectives pour l’avenir d’une population et surtout d’une jeunesse angoissée et même très angoissée par les assauts de la nature, par la violence humaine et les déchéances sociales et économiques. La communication rénovée doit trouver des réponses réelles qui répondent en priorité à ces angoisses. Or, il faut redonner confiance afin que les Algériens s’impliquent car, les réalisations futures sont à leurs portée. Cette crise ne concerne pas seulement l’Algérie, mais le monde entier, aujourd’hui traversé par une crise d’identité avec des traumatismes sociaux, comme le montre le désintérêt vis-à-vis des partis et des sociétés civiles traditionnelles lors de différentes élections.
Cependant, sous réserve d’une nouvelle gouvernance, l’exploitation de la crise sanitaire et économique peut être salutaire si elle est perçue comme un demi-mal, et si elle permet un sursaut national en faveur des réformes, créant une dynamique qui impliquerait les citoyens, afin de faire face aux grands défis. Les expériences historiques montrent que les populations fondent leur adhésion à un projet de société clairement défini fondé sur la tolérance, personne n’ayant le monopole du patriotisme, la diversité sociale et culturelle. Cela renvoie au concept de la citoyenneté qui ne doit pas rester aux yeux de la population comme un modèle importable, existant un lien dialectique entre la tradition et la modernité, ne devant jamais renier notre riche patrimoine historique et culturel (voir expérience des pays de l’Asie comme le Japon, la Malaisie, ou la Chine) mais adapter nos politiques économiques, sociales, culturelles, sécuritaires et militaires au mouvement du monde nouveau. La rationalité, comme l’ont montré les deux grands philosophes allemands Hegel et Kant, est relative et historiquement datée.
Et pour reprendre les propos de l’économiste indien et prix Nobel A.K. Sen, toute action démocratique doit tenir compte des anthropologies culturelles spécifiques à chaque société.

Suite et fin
Par Pr Abderrahmane Mebtoul