Genèse, caractéristiques, évolution et perspectives

Hirak

Dans cette modeste contribution, sur la base d’une tentative d’approche marxiste-léniniste (1) de l’histoire immédiate, sur le «Hirak» ou soulèvement populaire, je m’appuierai sur une reconstitution chronologique approximative des divers faits marquants amassés dans les sources journalistiques et orales de première main, en plus de certains échanges avec des camarades et ami(e)s, d’internet (avec la nécessaire prudence exigée à cause de la propagande perfide – fake news – des protagonistes), et de l’observation directe de l’événement à Oran pendant plusieurs semaines et Alger pendant le 8 novembre 2019 et les 21 /22 février 2020.

Ce produit politico-idéologique concocté par un laboratoire des services au sommet depuis quelques années à travers les réseaux sociaux, est une forme de contrepoids qui vise la création d’un équilibre dans la situation créée par le MAK qui trouve lui aussi son origine logée à la même enseigne.(60). La guéguerre entre deux segments du pouvoir-opposition à coup d’histoire, mémoire, linguistique, clanisme…sur la base de mythes et de contre-mythes avait pris le «Hirak» en otage obstruant la prise de conscience sur l’origine de la crise politico-institutionnelle et ses soubassements socio-économiques et par conséquent déterminer une juste alternative pour lui trouver une issue positive. L’intrusion par effraction discrète de l’emblème berbère en dehors de la Kabylie s’était faite progressivement, par tâtonnement dans certaines villes, dans la phase première du «Hirak». Elle constitua une désorientation vers le champ de la revendication identitaire engendrant des frictions parmi les masses populaires qui hisseront le drapeau national à toute occasion, réaffirmant le caractère national et patriotique du mouvement populaire.

Ce dernier démontrera aussi son soutien au peuple palestinien, comme il en avait l’habitude auparavant, en faisant cohabiter le drapeau de la Palestine avec celui de l’Algérie.(61). L’emblème dit de «Tamazgha» qui avait été adopté, après sa création par l’Académie Berbère, secrètement puis semi- clandestinement et enfin ouvertement après le «printemps berbère noir» est devenu un mythe fondateur ancré dans la conscience chez des pans entiers de la jeune génération kabyle. L’ONG du Congrès amazigh mondial, à l’activité et aux relations douteuses, ainsi qu’au financement intéressé, adopta et propagea cet emblème à l’échelle de toute l’Afrique du Nord, qui procréa à son tour une multitude d’emblèmes séparatistes en Algérie (Kabyle, Mozabite, Chaoui et Targui). Cet emblème berbère hissé partout et qui gênera l’action de l’Etat-major de l’ANP depuis le début, mais celui-ci préoccupé par les objectifs politiques imposés par la crise politique et institutionnelle engendrée par le 5e mandat présidentiel d’Abdelaziz Bouteflika, ne pouvait ouvrir plusieurs fronts de lutte. Il ne fera l’objet d’interdiction formelle qu’en juin 2019 – alors que la Gendarmerie nationale avait l’instruction discrète de bloquer l’afflux des manifestants de la Kabylie vers Alger à cause de lui depuis le début – après plusieurs avertissements, pour le laisser confiné en Kabylie.(62). Des éléments berbéristes et activistes iront avec culot, jusqu’à le hisser avec celui d’Israël.

Le fougueux Merzoug Touati à Bejaïa organisera même un sondage virtuel pour comparer l’attachement des algériens au drapeau de la Palestine avec celui d’Israël, il donnera ses résultats avec 51% au second et 49% au premier ! Cela illustre bien la dérive totale de cet activiste emprisonné pour «délit d’opinion» et ceux du MIK (au lieu de dire MAK).(63). Sur un plan géostratégique tout est fait pour faire de la Kabylie une enclave française de facto (comme Ceuta et Melilla) sous couvert d’indépendance avec le soutien de l’Etat et du mouvement sioniste, dont un courant autochtone se cristallise de plus en plus par l’attitude de normalisation ostensible ou discrète (Sansal, Dilem…). La diaspora Kabyle en France et au Québec – pas tous les kabyles qui sont pris de force dans un étau – où est exilé le GPK de Ferhat Mehenni suivi de Saïd Saâdi et d’autres, constitue une force de soutien d’arrière-plan à ce projet.(64) Cette situation qui s’accrut pendant la seconde phase du «Hirak» est le résultat de l’évolution d’une stratégie et d’une action de longue date de l’Etat colonial ensuite néocolonial. Elle prend en otage la population de la Kabylie qui vit des secousses, de temps à autre, d’un long processus historique objectif d’intégration à la nation algérienne moderne pour des raisons très particulières à la fois géographiques, culturelles, linguistiques et historiques ; paradoxalement elle met l’Etat-Nation en danger par de multiples et fréquents soubresauts intermittents du sommet de son édifice depuis l’indépendance nationale au moment des crises socio-économiques et politiques.(65).

Le choix de la voie capitaliste depuis 1981 qui s’approfondira de plus en plus dans le contexte de la mondialisation aura des conséquences néfastes sur la vie de la population, surtout la jeunesse qui essaimera dans toute l’Algérie à la quête d’une stabilisation sociale, alors qu’une autre partie émigrera en Europe et ailleurs, surtout en France (comme pendant la période coloniale) et au Canada. Par contre, l’aire géographique de la Kabylie ne connait pas une migration de gens issus d’autres communautés et venant des autres régions arabophones ou berbérophones de l’Algérie, comme par le passé d’avant la colonisation française, à l’époque de la domination turque. D’ailleurs la naissance de la Kabylie au particularisme prononcé, va de pair avec celui de la nation algérienne moderne, parfois dans un rapport conflictuel de son élite et des représentants de ses structures locales avec celui de l’Etat central aspirant à l’hégémonie depuis la guerre d’indépendance nationale, en particulier le congrès de la Soummam et la naissance des embryons de ses institutions (ALN, CNRA, GPRA). Ce congrès est instrumentalisé à fond dans la seconde phase du «Hirak» qui tenta de le ressusciter symboliquement par une rencontre de la Coalition dite de l’alternative démocratique à la date du 20 août 2019 par une commémoration maladroite, occultant la date historique du 20 août 1955 qui constitua un tournant décisif de la lutte armée.

A cette occasion, l’amalgame sera entretenu entre le mot d’ordre de «Dawla madaniya machi 3askariya» – Etat civil, non militaire – et le principe de primauté du politique sur le militaire, interprété selon la conception bourgeoise occidentale.(66) La situation de la répartition démographique se répercute sur la vie économique, politique, culturel de l’Algérie ; et comme on l’a constaté sur la marche du «Hirak» lui-même qui à partir de sa 3e phase semble être conduit par une alliance islamo-berbériste (kabyliste) grâce à la résidence de familles de la communauté kabyle dans toutes les villes et même les villages les plus reculés, plus que toute autre communauté algérienne et parfois depuis des générations d’avant l’indépendance nationale ou le début de l’émergence du mouvement national moderne en 1920.(67) La tendance berbériste anti-arabe pro-coloniale avant l’indépendance et pro- néocoloniale actuelle depuis 1962 – qui n’est qu’une variante maghrébine du peupladethnocisme dans l’histoire de la civilisation arabo-musulmane (au sens que lui donne le philosophe marxiste libanais Husseïn Mroué : «la shou3oubiya»)(68) – en force politique montante, sous-traitante de l’ex-puissance coloniale et du sionisme a réussi à aliéner la conscience d’une partie de la jeunesse, avec le temps, par des mythes qui se sont incrustés aux illusions du modernisme libéral occidental. Tout autant qu’une autre frange de cette catégorie, paradoxalement, happée par l’idéologie millénariste de l’intégrisme islamiste.

Le dénominateur commun de ces deux idéologies, dont les forces qui les portent se sont alliées ouvertement pour entraver les élections du 12 décembre 2019 et consolident leur symbiose dans les manifestations hystériques, est la destruction de l’Etat-national issu de la guerre d’indépendance nationale, dont la colonne vertébrale demeure l’ANP, tout en constituant deux vecteurs du libéralisme. D’autres forces politiques minoritaires de la social-démocratie (de diverses variantes) qui participent encore aveuglement à un mouvement qui se trouve dans l’impasse, aspirent aux strapontins à tirer, voire occuper le devant pour gérer un pouvoir d’Etat qui appliquera une politique capitaliste à la place d’un parti de la bourgeoisie comme en France et ailleurs.(69) Le pouvoir qui tenta en vain tous les moyens pour faire participer les forces de l’opposition aux élections présidentielles après avoir essuyer l’échec du 4 juillet 2019, où aucun candidat ne s’était présenté, sera obligé de recourir à des arrestations d’activistes meneurs et d’user d’une contre-violence face à la violence d’une fraction de l’opposition d’empêcher de voter, comme à Oran. Alors qu’en Kabylie la situation avait carrément dérapé par des incendies, le saccage des urnes et la détérioration de centres de votes. Même en France, il sera aussi fait l’usage de la force.(70) (A suivre)

B. Lechleche. Chercheur-Historien