Identité, climat des affaires, 1er novembre 1954, société civile et autres questions d’actualité

Constitution

Le 12 septembre 2019, des amis m’ont demandé de réagir dans l’urgence à l’irruption du néologisme «Tamazgha» dans le texte de l’avant-projet de révision de la Constitution Laraba. Je n’avais pas à ma disposition ce texte. Je m’étais intéressé à comprendre comment ce néologisme a pu séduire tant de personnes adultes ou jeunes.

Comment une fabrication d’une identité pouvait ainsi obtenir tant de succès ? J’ai donc parlé de ce néologisme et de ce qu’il actualisait de nos complexes de colonisés. Bien sûr, les outils de Franz Fanon me furent précieux. C’est donc un essai de compréhension du contexte culturel et historique de ce phénomène d’adhésion à une fabrication identitaire si clairement opposée à notre identité algérienne, et si clairement revendicatrice d’un Etat ethnique et ethniciste, comme le préconisent et le mettent en œuvre partout où ils peuvent les milieux de l’impérialisme, du sionisme et de néo-colonialisme. J’ai ajouté une autre vidéo : «Entre zoologie et anthropologie : naissance d’un ethnicisme et d’un racisme algériens», pour débattre du recours obsessionnel à la génétique afin de prouver une pureté raciale des populations d’origine de notre pays.

Les recours à la pureté raciale portent en eux les marques du nazisme et du fascisme. Ces recours à la biologie ont été en usage au 19e siècle pour prouver notre infériorité à tous, noirs, juifs mais aussi arabes et berbères confondus dans la même dénomination d’Arabes. Faut-il rappeler à tous ces nouveaux racistes que selon toutes les religions, tous les mythes, toutes les croyances ancestrales, l’humanité naît en entrant dans la culture et donc en sortant de la nature ? Les hommes en général et chaque groupe d’hommes ne peuvent être identifiés en tant que tels que par leur culture, pas par leur biologie. Ces deux vidéos ne répondaient pas à la Constitution Laraba dont on ignorait le contenu. Mais toute constitution comme toute législation, toute forme du droit en réalité, traduit en termes juridiques une philosophie du droit et toute philosophie du droit repose sur une philosophie de l’Homme et de la société. Ces deux vidéos contribuaient au débat sur la philosophie sous-jacente de ce néologisme «Tamazgha», et le glissement du sens de Tamazight dans le travail de l’Académie berbère et du Congrès mondial amazigh. Ces deux ONG promotrices de cette identité ont porté ce processus à son terme. Ils en ont fait une question inscrite aux travaux du Comité des Nations unies pour les droits économiques sociaux et culturels.

Dans sa 44ème session en mai 2010, ce comité a recommandé à l’Etat algérien de reconnaître le Tamazight comme langue officielle, d’en assurer l’enseignement, de proscrire la polygamie et le tutorat des femmes et d’autoriser le mariage d’une musulmane avec un non musulman. Ce Comité ne débat pas des droits de l’Homme mais des droits des ethnies et des peuples opprimés, peuples natifs et indigènes ou sous occupation. Polygamie, tutorat et mixité religieuse dans le mariage sont la couverture moderniste du principe, infiniment plus fondamental, des devoirs incombant à un Etat occupant de respecter les droits des populations autochtones. Cette recommandation avec ses arrières plans philosophique et politique est désormais inscrite dans notre constitution. L’Etat algérien s’inscrit désormais comme Etat distinct des populations et donc de leurs territoires comme l’ont été les Etats mandataires. Ceux qui formulent ces recommandations entravent le développement de notre Etat-nation et de notre conscience nationale, pour les maintenir dans des phases qu’eux-mêmes ont dépassées, y compris lorsque leurs relais locaux cherchent à nous vendre la panacée fédéraliste. Cette recommandation a été inscrite une première fois dans la Constitution Bouteflika.

La constitution Laraba la reconduit. Cette disposition nous ramène à l’ethnie, à un niveau aggravé, en englobant dans un seul signifiant, Tamazight, la diversité des dialectes algériens, affectant ainsi cette diversité par la visée sous-jacente d’une harmonie/unicité de la grammaire, résultant en vérité de l’hégémonie d’un dialecte et de sa grammaire sur tous les autres[1]. C’est une source certaine de divisions de notre peuple déjà travaillé de mille façons à cultiver ses particularismes. Alors que la modernité s’énonce comme prescriptions et principes universels – et l’universel de notre époque, ce sont les concepts de Nation et d’Etat national, seuls sujets des relations internationales – la Constitution Laraba nous ramène aux particularismes ethniques. Cette ethnicisation de l’identité – ardemment combattue par les Lumières – est conforme à la pensée impériale «correcte» actuelle, celle qui, depuis 1990, détruit les Etats-nations et promeut les Darfour, Kurdistan et sunnistans, les Azawad, etc., afin d’empêcher la périphérie dominée d’accéder à la modernité du centre dominant, ne lui offrant comme modèle – et injonction – qu’une modernité factice de la promotion des «minorités» et des particularismes.

Elle déclasse aussi, à un rang second, notre appartenance à l’aire de la civilisation arabo-islamique, autre élément important de l’universalisme, auquel se réfèrent explicitement les grandes puissances occidentales qui se disent toutes appartenir à la civilisation occidentale ou chrétienne d’inspiration gréco-romaine ou depuis peu judéo-chrétienne. Par ce déclassement, la Constitution Laraba prête le flanc à toutes stratégies de récupération et de manipulation de la compréhension de notre religion orchestrées depuis l’Angleterre impériale et son succès wahhabite aux actuels USA et leurs pépinières des métamorphoses djihadistes des «Afghans» à «Daesh» en passant par la France et ses jeux de zaouïas. Leurs innombrables faux-drapeaux sous masques intégristes, pourront ainsi se poser comme tuteurs de la foi face à un Etat empressé de s’aligner sur les diktats «modernistes» et laïcistes. Donner la prééminence de l’ethnie sur la civilisation, est un désarmement culturel total de notre Etat-national face à ces portes d’entrée de la subversion impérialiste.

Si notre Etat ne défend pas l’interprétation religieuse libératrice de la Nation et des hommes inscrite dans la philosophie du 1er novembre, le champ des manœuvres et subversions de la reconquête néocoloniale par la culture et la religion sera largement découvert. Inscrire que l’Islam est religion de l’Etat en le séparant de la civilisation est une réduction à un formalisme de la foi, alors que nous avons besoin d’un idéal de civilisation à opposer à la barbarie coloniale et impérialiste. M’hamed Boukhobza avait mis en garde contre ce danger : «Dans la plupart des constitutions des pays arabes, l’Islam est posé comme religion d’Etat, ce qui signifie qu’incarnant les intérêts de toute la société, l’Etat est responsable de son respect, de sa diffusion, de sa défense, de l’harmonisation du système d’organisation et du mode de développement socio-économique et institutionnel avec l’esprit de cette religion. De ce fait, l’Etat ne peut logiquement et sans se renier, accepter l’existence d’autres instances qui viendraient la concurrencer dans l’exercice de ses attributions. Bien évidemment, cela signifierait aussi que l’Etat moderne est tenu d’associer les citoyens et les institutions à la prise en charge de la culture religieuse et de son développement en harmonie avec les intérêts et aspirations de la société et de sa nécessaire émancipation.

(A suivre) Mohamed Bouhamidi