La révolution chinoise de 1949

Histoire d’une nation

La synthèse qui suit ne prétend évidemment pas à l’exhaustivité, mais vise seulement à fournir les clefs de compréhension essentielles à la montée en puissance contemporaine de la Chine. La fin des années 1920 et les années 1930 virent le Kuomintang « nationaliste » de Chiang Kaï-Chek réprimer dans le sang les forces communistes chinoises. Cette guerre civile quasi-permanente, qui s’étala sur plus de deux décennies, ne fût ponctuellement mise en sommeil que pour combattre le colonialisme japonais de manière coalisée.

Crée en 1921 sous l’influence croissante du léninisme, le PCC fût véritablement saigné à blanc au milieu des années 1930. C’est dans ce contexte que la ligne se réclamant du bolchévisme (avec à sa tête Wang Ming) fût mise en minorité au sein du PCC. Le PCC se réorganisa alors en 1935 autour de la stratégie proposée par Mao Zedong. Sous sa direction, le PCC remporta des succès militaires croissants indéniables. En 1949, après une guerre populaire prolongée reprise en 1946 dès que l’occupant japonais fût chassé du territoire chinois, le PCC, soutenu matériellement par l’URSS, parvînt à briser l’armée de Chiang Kaï-Chek en dépit du soutient matériel et financier que les USA lui avaient apporté. Chiang Kaï-Chek, représentant de la bourgeoisie compradore chinoise vaincue, se réfugia alors à Taïwan qui devient de facto un protectorat que l’impérialisme américain rêvait un jour de pouvoir utiliser comme une tête de pont pour une recolonisation de la Chine continentale. Dans ses discussions avec les économistes soviétiques sur le projet de manuel d’économie politique marxiste-léniniste, Staline remarquait avec lucidité en février 1950 qu’en dépit de la direction politique assumée par le PCC, la construction des rapports de production socialiste n’avait débuté ni dans les villes chinoises, ni à la campagne : les entreprises nationalisées étaient une « goutte dans l’océan » alors que la masse principale des biens de consommation courante était produite « par des artisans ».
En expert de la question nationale et coloniale, Staline remarquait également qu’en Chine, les communistes et une fraction particulièrement révolutionnaire de la bourgeoisie nationale formaient une coalition. Cette coalition était déterminée à détruire les vestiges du féodalisme et de la domination de la bourgeoisie compradore liée au Capital étranger. Pour Staline, la portée de la révolution chinoise de 1949 était donc assez comparable à celle de « la révolution bourgeoise française de 1789 », avec un accent anti-féodal et anti-colonial prononcé. De même, Molotov rapportait que les marxistes-léninistes soviétiques voyaient Mao Zedong comme un «Pougachev chinois», c’est-à-dire comme un leader révolutionnaire paysan. Comme nous l’avions démontré en 2007 dans Impérialisme et anti-impérialisme, le but fondamental de l’aide matérielle apportée par les marxistes-léninistes soviétiques, qu’ils se soient engagés (comme l’Albanie) ou pas (comme la Chine) sur la voie du socialisme, était de s’assurer que « ces pays n’auront bientôt plus à importer des marchandises provenant des pays capitalistes, mais éprouveront eux-mêmes la nécessité de vendre à l’étranger les excédents de leur production ». Voilà quelle perspective internationale Staline traçait en 1952. Il s’agissait tout simplement, ajoutions-nous, de donner à n’importe quel pays, qu’il soit socialiste (comme les démocraties populaires) ou anti-colonialiste (comme la Chine), la possibilité d’édifier une puissante industrie de production des moyens de production qui écarterait la menace de leur «dawisation» [dépendance industrielle vis-à-vis du Capital étranger].
Ainsi serait brisé le monopole de la détention des moyens de production par quelques puissances impérialistes, ainsi les économies socialistes seraient définitivement soustraites du marché capitaliste mondial et les ex-pays dépendants, même non socialistes, seraient en mesure de se soustraire à l’exploitation par le Capital étranger et à venir eux-mêmes prendre place sur le marché capitaliste mondial. La perspective était claire : renforcer les pays du camp socialistes et contribuer à aggraver les rivalités inter-impérialistes à travers la réduction des débouchés impérialistes pour les capitaux et les marchandises, en aidant les ex-pays dépendants à édifier leur propre industrie, hâtant ainsi inévitablement la révolution dans les pays impérialistes les plus puissants ». Un petit aparté sur l’importance d’édifier une industrie de production des moyens de production nous apparaît ici essentiel. Karl Marx a démontré qu’à l’instar du règne animal dont l’évolution était dictée par la lutte pour la survie et la quête des moyens de subsistance, les sociétés humaines fonctionnaient sur une base assez comparable, à peine modifiée. La productivité du travail permise par le développement croissant des sciences et des techniques ne modifient en fait que la forme de cette lutte primitive, qui devient une lutte pour la possession des moyens de production de l’existence (la terre et l’industrie). Cette lutte se produit à plusieurs échelles.
D’abord au sein d’une même classe sociale au sein d’une nation (entre entreprises concurrentes se disputant un même marché), puis entre les classes sociales d’une même nation (la bourgeoisie, détentrice des moyens de production, et le prolétariat n’ayant pour sa part que sa force de travail à monnayer), et enfin entre la bourgeoisie coalisée au sein d’une nation ou d’un regroupement de nations contre les autres nations (concurrence entre deux blocs impérialistes concurrents ; pays impérialistes dominants dictant les flux de capitaux internationaux, et les pays bourgeois dépendants les recevant). Ceci étant dit, la Chine de Mao Zedong avait donc pour ambition d’édifier une industrie nationale indépendante du Capital étranger, et l’URSS de Staline lui apporta donc son soutien conscient inconditionnel dans ce but, la Chine étant par conséquent vue soit comme un futur puissant allié potentiel socialiste (si les communistes chinois parvenaient à passer rapidement à l’étape suivante, socialiste, de la révolution), ou tout au moins un puissant facteur de décomposition de la domination économique des pays impérialistes occidentaux sur le reste du Monde (si la Chine demeurait sur la voie de développement capitaliste et venait un jour à prétendre les concurrencer sur le marché mondial, c’est-à-dire à se poser en puissance impérialiste émergente).
Comme nous l’avons déjà démontré, la Chine n’a jamais, même du temps de Mao Zedong, été dirigée par un véritable Parti communiste (les ouvriers représentaient 2 % des effectifs du PCC en 1949) et Mao Zedong reconnaissait lui-même que la bourgeoisie nationale intégrée au « secteur socialiste d’Etat » continuait à percevoir un intérêt annuel de 5 %. Voilà quelques-uns des innombrables faits élémentaires qui entrent en contradiction avec l’expérience d’édification du socialisme tel qu’il fût construit dans la gigantesque URSS de Staline et dans la minuscule Albanie socialiste d’Enver Hoxha. Assurément la révolution de 1949 a apporté d’immenses bénéfices aux peuples chinois, qui était auparavant régulièrement décimé par la famine à la moindre mauvaise récolte.
La révolution démocratique bourgeoise anti-coloniale et anti-féodale a également permis à la Chine de sortir de l’ornière du sous-développement et d’édifier une industrie lourde indigène indépendante du Capital étranger, à l’inverse de l’Inde bourgeoise-compradore dont la majeure partie de la population végète depuis sa pseudo-indépendance. Pour autant, la voie de développement que suit la Chine depuis 1949 n’a rien à voir avec celle du socialisme scientifique qui exige l’expropriation des exploiteurs et n’a pas recours au marché international pour exporter durablement et massivement sa production excédentaire, mais seulement ponctuellement pour acquérir les moyens de production nécessaires faisant éventuellement défaut à l’édification de son industrie lourde.
(A Suivre)
Vincent Gouysse