Le « voile » en islam : approche historique et coranique (partie 1/2)

Religion

Ces derniers jours, la thématique du voile de la musulmane refait surface (notamment à cause d’un projet d’amendement voulu par une députée LREM pour interdire le port du voile aux petites filles), thématique il faut le dire très récurrente sur la scène médiatique et politique française, et de cela naissent ou resurgissent de nombreux débats et prises de position. Parmi celles-ci, nombre de musulmans affirment, face à ce qu’ils appellent les « modérés » ou les « égarés », que le Coran, la sunna prophétique et le consensus des savants contiennent des arguments irréfutables quant à l’obligation du fait de se couvrir la tête pour la femme musulmane.

Le premier verset utilisé pour rendre obligatoire le port du voile est le verset 31 de la sourate an-Nûr (24) qui est présenté comme explicite quant au fait que la femme musulmane devrait se couvrir la tête d’un « voile » (khumûr – plur. de khimâr – dans le texte coranique arabe). Voici le texte en arabe et une proposition de traduction : « Et dis aux mu`minât – « croyantes » – de refreiner certains regards, de préserver leur sexe (ou de garder leur chasteté), qu’elles ne montrent (pas excessivement) leur zîna au-delà de ce qui peut en paraître et qu’elles couvrent de leurs khumûr (c’est-à-dire leurs pièces d’étoffe) sur leurs décolleté (juyûb) ; qu’elles ne montrent leur zîna qu’à leurs maris, ou à leurs pères, ou aux pères de leurs maris, ou à leurs fils, ou aux fils de leurs maris, ou à leurs frères, ou aux fils de leurs frères, ou aux fils de leurs sœurs, ou aux femmes, ou aux esclaves qu’elles possèdent (dans cette société tribale où l’esclavage était en vigueur avant l’avènement de l’islam), ou aux domestiques mâles impuissants, ou aux garçons impubères qui ignorent tout des parties cachées des femmes. Et qu’elles ne frappent pas avec leurs pieds de façon que l’on sache ce qu’elles cachent de leurs zîna. Et repentez-vous tous devant Dieu, Ô croyants, afin que vous récoltiez le succès. » Il y aurait ici moult développements à faire sur ce verset.
Toutefois, je veux me contenter de quelques remarques et d’un parallèle à mon sens important avec le turban (‘imâma) porté par les hommes arabe de l’époque. En effet, pour ceux qui soutiennent que le fait de se voiler la tête est une obligation pour la femme musulmane, ils affirment que la formulation même du verset indiquerait selon leurs dire cette imposition. Arrêtons-nous déjà sur l’utilisation très courante du terme « ḥijâb » pour désigner ce « voile » et à propos duquel il faut préciser que son utilisation coranique ne désigne nullement un vêtement, mais plutôt une sorte de séparation et ce, afin de questionner le sens qu’il induit aujourd’hui quand il désigne la tenue de la musulmane. Une chose paraît évidente, à savoir que ce glissement de sens sémantique dépendant des mentalités et des mœurs n’est pas anodin et traduit ce qui est parfois attendu de cette femme par divers courants ou idéologies : qu’elle soit si discrète qu’elle en devienne presqu’invisible, qu’elle soit exclue du champs socio-économico-politique, qu’elle ne puisse s’émanciper à travers des activités professionnelles ou associatives, qu’elle devienne dépendante de l’activité de l’homme, voire qu’elle perde tout espoir d’occuper une place importante dans la société, place qui fut pourtant occupée par plusieurs femmes musulmanes par le passé et du vivant même du Prophète Muḥammad.
En somme, il s’agit en réalité d’une réorientation du sens fort en significations, puisqu’on on a voulu désigner le vêtement de la musulmane par un terme qui ne le représente pas à l’origine, mais également parce qu’à travers l’utilisation de ce vocable on a voulu indiquer ce qu’on attendait de la femme, à savoir qu’elle soit totalement dissimulée, visuellement mais également, dans les faits, très souvent socialement. Le ḥijâb est ainsi devenue la Loi qui se fait habit et dont le sujet se vêt pour fusionner avec elle. A propos du verset mentionné, certains expliquent, comme le fait le prédicateur Nu’man Ali Khan dans une intervention vidéo dans laquelle il explique que « le mot utilisé (dans le Coran) est le khimâr (terme qui comprend en lui-même) le fait de se couvrir la tête […]. Les femmes avaient plusieurs styles, et l’une des choses qu’elles faisaient avant l’islam est qu’elles avaient l’habitude de porter une sorte de bandana qu’elles attachaient à l’arrière de leur queue de cheval et qui descendait jusqu’au milieu du dos. Donc elles ne le jetaient pas en avant, mais en arrière […] ».
Alors effectivement, quand on se réfère aux dictionnaires de référence de la langue arabe, comme Lisân al-‘arab ou Tâj al-‘arûs, ces derniers, même s’ils sont très tardifs dans leur rédaction, mettent en avant le fait que le khimâr correspond à une pièce d’étoffe avec laquelle on recouvre la tête, sans préciser d’ailleurs ce qu’il recouvrait précisément : était-ce la tête entièrement ou bien seulement une partie d’elle ? Mais ce qu’on ne dit que trop rarement, c’est que cette définition n’est pas la définition étymologique du terme, mais la définition qui tient compte de la pratique coutumière des Arabes de l’époque antéislamique et qu’elle fait référence au sens qu’on lui donne traditionnellement lorsqu’il s’agit de faire référence à la façon dont les hommes et les femmes le portaient auparavant (ce vêtement étant mixte à l’origine) dans l’Arabie désertique du VIIe siècle. En revanche, étymologiquement, le terme «khimâr » signifie simplement « ce qui couvre». Il peut alors être utilisé pour un animal, un être humain ou encore un objet (ex : un récipient) comme dans le ḥadîth suivant : « On a ramené un récipient de lait au Prophète qui dit : “hallâ khamartahu…” (si seulement tu l’avais couvert…). »
Ainsi, dans le dictionnaire Tâj al-‘Arûs, le khimâr est notamment défini comme tout ce qui couvre quelque chose et donc, dans la tradition culturelle et l’usage coutumier (comme le précise ar-Râghib al-Iṣfahânî dans Mu’jam mufradât al-fâẓ al-qur`ân), le khimâr de la femme et de l’homme est ce qui couvre leur tête. Toutefois, cette définition ne présente pas le sens voulu par Dieu, mais simplement ce qu’il en est de l’usage de ce vêtement par les hommes et les femmes d’un temps, d’une époque d’un contexte. Ici, il est important de faire remarquer le parallèle douteux que font certains entre le khimâr et le khamr (vin). En effet, le terme « khimâr » dérive de la racine KH-M-R qui renvoie linguistiquement à ce que l’on recouvre ou à ce qui est recouvert. Ainsi, on peut citer le « khamar » qui fait référence à la végétation qui recouvre la terre ou encore le « khamr » qui fait en réalité référence à la fermentation du jus de raisin donnant du vin puisque la fermentation se produit en surface de la cuve.
Ici, d’aucuns affirment que le « khamr » (vin) serait nommé ainsi car il est la cause qui, métaphoriquement, recouvre la raison dont le siège est la tête (cerveau). Or, le fait que le khamr couvre la raison dans le cas où il est consommé de façon excessive est vrai peu importe où se situe le siège de cette dernière. C’est donc la raison et le fait qu’elle soit couverte qui est visée dans cette métaphore et ce, peu importe où se trouve le siège de la raison, mais ce n’est pas la tête en tant que partie de l’anatomie correspondant à l’extrémité la plus haute du corps. Il faut donc prendre garde à ne pas extrapoler. Ceci dit, le prédicateur Nu’man ‘Alî Khan explique alors que puisque Dieu fait référence au khimâr et que le khimâr était portée avant l’islam par tradition sur la tête, c’est que Dieu, en mentionnant ce vêtement et en utilisant le verbe « ḍaraba » (nous y reviendrons succinctement), a voulu ordonner la couverture de la tête en plus de celle des juyûb ainsi que tout ce que la gestuelle consistant à couvrir le décolleté en partant du haut recouvre (notamment le cou voire les oreilles). Et puis, comme le Coran a une dimension universaliste, alors il faudrait que toutes les femmes musulmanes de la planète, peu importe la tradition de leur peuple, se couvrent également la tête. On pourrait déjà s’étonner de la grande prétention qu’il y a dans le fait d’affirmer que Dieu n’a certes pas dit, mais qu’il a voulu dire…

Ceci dit, plusieurs remarques s’imposent :
1.Ce prédicateur précise lui-même, comme le font d’ailleurs d’autres exégètes, que les femmes arabes pouvaient porter le khimâr comme un bandana, c’est-à-dire que cela aurait laissé apparaître leurs nattes ou encore leur cou. Or, force est de constater que le Coran ne précise nullement ce que le khimâr devrait couvrir obligatoirement, à l’exception des juyûb explicitement mentionnés. Si l’on part donc du principe que le khimâr ne couvrait pas forcément l’entièreté de la tête des femmes qui le portaient (ce que rapporte notamment Ibn Kathîr dans son tafsîr) et que le Coran ne précise absolument pas qu’il faudrait qu’il en soit autrement, alors rien n’empêcherait par principe de considérer que la femme pourrait se couvrir le décolleté (échancrure, juyûb) sans pour autant dissimuler l’entièreté de sa chevelure, puisque le Coran ne le précise pas et ne l’interdit pas.
En effet, dans le texte coranique rien n’indique aux femmes arabes de l’époque que leur chevelure devrait être entièrement recouverte. 2.Si l’on suit ce raisonnement consistant à dire que si Dieu à mentionner le khimâr comme moyen de couvrir le décolleté (juyûb) c’est que Dieu a voulu non seulement que les juyûb soient recouverts mais également que le khimâr soit obligatoirement utilisé, y compris avec son usage traditionnel par lequel on recouvre tout ou partie de la tête, alors il faut avoir la cohérence d’appliquer ce même raisonnement à d’autres sources scripturaires (versets et ḥadîths). Prenons donc l’exemple du verset coranique en 8/60 dans lequel Dieu dit : « Et préparez [pour lutter] contre eux tout ce que vous pouvez comme force et comme cavalerie équipée (ribâṭ al-khayl), afin d’effrayer l’ennemi de Dieu et le vôtre, et d’autres encore que vous ne connaissez pas en dehors de ceux-ci mais que Dieu connaît. Et tout ce que vous dépensez dans le sentier de Dieu vous sera remboursé pleinement et vous ne serez point lésés. »
(A suivre)
William Blob