La révolution chinoise de 1949

Histoire d’une nation

Notons ici que lorsque nous employons le terme d’impérialisme chinois, il s’agit de l’impérialisme dans son sens léniniste. Celui-ci est caractérisé par la prépondérance des flux commerciaux internationaux et l’exportation de capitaux. Il peut prendre des formes violentes, notamment pour les puissances en difficulté, sur le déclin, comme l’Occident aujourd’hui (colonialisme, occupation militaire), mais aussi des formes complètement non-violentes (comme celle de la marche pacifique du commerce et des investissements), notamment pour les puissances ascendantes qui possèdent des avantages majeurs en terme de compétitivité (ce qui est le cas de la Chine).

L’impérialisme, tel que les marxistes-léninistes l’entendent, c’est la nécessité pour un pays bourgeois de conquérir les marchés extérieurs pour tenter de résoudre la contradiction capital/travail qui, enfermée dans son cadre national, amènerait rapidement à l’explosion économique et sociale si le trop plein de marchandises et de capitaux ne pouvait pas se déverser à l’étranger. Cette parenthèse étant close, il n’est à l’évidence pas exagéré de dire que l’émergence mondiale contemporaine du « Frankenstein chinois », que les autorités US se lamentent aujourd’hui d’avoir contribué à créer, est en premier lieu le produit d’une stratégie stalinienne de long terme visant à créer délibérément des obstacles insurmontables à la domination mondiale des puissances impérialistes d’Occident. C’est ainsi la direction du PCC elle-même qui reconnaissait au début de ce siècle l’importance fondamentale de l’aide technique et matérielle fournie par l’URSS au cours des années 1952-1957, une aide qui avait permis à la Chine de se doter rapidement des bases d’une industrie de production des moyens de production autonome. La période 1952-1957 est en effet définie par les documents officiels du PCC comme ayant été marquée par la mise en place de « l’ossature de l’industrie chinoise » basée sur la construction de « 694 ouvrages de grandes ou moyennes dimensions, centrés sur les 156 projets de construction bénéficiant de l’aide de l’Union Soviétique ». C’est grâce à cette base industrielle fondamentale suffisamment diversifiée (industrie mécanique, sidérurgie, locomotives, tracteurs, etc.) que la Chine maoïste a pu sauvegarder son indépendance industrielle et économique. C’est grâce à cette dernière qu’elle a ensuite pu intégrer les technologies étrangères avancées pour moderniser l’outil productif chinois dans son ensemble.

La rupture sino-soviétique

Si l’URSS de Staline apporta dès 1949 son aide à la Chine de Mao Zedong, que ce soit sur le plan militaire ou industriel, les relations ne restèrent pas longtemps au beau fixe entre les deux géants. Comme nous l’avons démontré dans notre premier ouvrage, le tournant khrouchtchévien qui accompagna la victoire de la contre-révolution révisionniste-bourgeoise en URSS fût d’abord vécu comme une libération à Pékin qui en prit prétexte pour critiquer les «excès» et les «erreurs» d’un Staline qui se montrait réservé et mesuré quant à la portée et à l’avenir de la révolution chinoise. Mais Mao Zedong déchanta rapidement quand il apparût que le social-impérialisme soviétique naissant n’était pas disposé à partager la direction du «camp socialiste» international ni à donner suite à l’aide matérielle et technique désintéressée mise en œuvre sous Staline : une fois la perspective de l’édification du socialisme enterrée, l’élite soviétique révisionniste n’avait en effet plus le moindre intérêt à aider la Chine à édifier une industrie lourde indépendante, mais au contraire à chercher à lier le développement économique chinois au sien, donc à le transformer en appendice dépendant du sien. Ce n’était évidemment pas ce à quoi aspirait la bourgeoisie nationale chinoise qui s’était battue pour son indépendance des décennies durant ! Les années 1957-1960 virent ainsi les relations sino-soviétiques se refroidir brutalement, jusqu’à la rupture complète. La Chine maoïste renvoya alors dos à dos l’impérialisme américain et le social-impérialisme soviétique. Cela donna l’illusion aux marxistes-léninistes albanais qu’en dépit de ses flottements, la Chine était bien un pays socialiste frère. Il y a plus de quinze ans, nous avons démontré de manière irréfutable que Mao Zedong avait travesti sa voie d’intégration de l’aile patriotique de la bourgeoisie chinoise « dans le socialisme » au moyen d’une phraséologie pseudo-marxiste-léniniste. N’en déplaise aux pseudo-communistes qui voyaient hier encore des restes de « socialisme » dans l’URSS post-stalinienne et s’extasient aujourd’hui devant les rythmes de développement de l’économie chinoise, cela n’a rien à voir avec du socialisme. Le développement économique enregistré par la Chine maoïste avait amené au triplement de son PIB à la fin des années 1970. Dans le même temps, l’Albanie socialiste avait vu son PIB être multiplié par… treize ! Le niveau de développement de l’Albanie était alors sans commune mesure avec celui de la Chine à la même époque. Il est essentiel de bien avoir en vue le fait que la minuscule Albanie (seulement 1 million d’habitants à sa libération, soit une fraction infinitésimale de la population chinoise, plus de 500 fois supérieure), était plus arriérée que la Chine à la même époque, que ce soit sur le plan de l’industrie ou de l’agriculture : Alors que l’industrie représentait moins de 4 % de son revenu national en 1938, contre 10 % en Chine en 1936, l’Albanie possédait une agriculture des plus arriérées qui n’était même pas en mesure de produire la moitié des céréales panifiables nécessaires à l’alimentation de sa population. Il suffit de souligner que la disponibilité alimentaire n’était que de 177 kg de céréales par habitant en 1938 en Albanie, contre 330 kg de céréales par habitant en 1936 en Chine. En Albanie, on produisait en 1938 plus de 28 fois moins de charbon par habitant qu’en Chine en 1936, plus de 6 fois moins de tissus en coton et pas du tout de fer, alors qu’en Chine on en produisait 3 kg par habitant». Possédant un bassin versant démographique correspondant à la taille jugée comme critique par Staline pour édifier une industrie et une agriculture indépendante, l’Albanie prouva pourtant que le socialisme scientifique pouvait faire des « miracles », même dans les pays les moins peuplés et les plus arriérés sur le plan économique, comme en témoigne la galerie photographique en lien

Peu importe qu’un chat soit blanc ou noir pourvu qu’il attrape les souris »…

Confronté à un rythme de croissance économique assez modeste induite par la capacité d’accumulation limitée qu’exigeaient les concessions faites par l’aile patriotique de la bourgeoisie chinoise aux travailleurs, la bourgeoisie nationale chinoise décida dans le courant des années 1970 que le développement économique du pays exigeait un changement radical de stratégie. Celui-ci se produisit du vivant de Mao Zedong avec l’établissement de contacts de haut niveau avec l’impérialisme américain, rapprochement qui fit tressaillir les communistes albanais. C’est sous l’égide de Deng Xiaoping que ce tournant majeur va se théoriser et se concrétiser sous cette formule célèbre que l’on peut résumer ainsi : les chinois doivent accepter que l’on mette un terme au relatif égalitarisme et qu’une minorité s’enrichisse avant les autres afin de créer la prospérité générale dont les fruits seront ensuite partagés par tous les chinois… Le 14 octobre 2020, Xi Jinping fleurissait « la statue du camarade Deng Xiaoping » à Shenzhen et lui rendait hommage. Les autorités chinoises mirent ainsi tout en œuvre pour « débrider » leur capitalisme et accéder aux technologies étrangères les plus avancées sans pour autant renoncer à leur indépendance nationale. Il s’ensuivit un habile jeu de balancier visant à soutenir des monopoles d’Etat géants impliqués dans des co-entreprises à capitaux mixtes (avec le Capital étranger), travaillant à la fabrication de bien de consommation bon-marchés destinés à l’exportation vers les métropoles impérialistes occidentales. Dès cet instant, les travailleurs migrants venant des campagnes les plus reculées affluèrent par millions pour travailler dans les grandes villes côtières. La société chinoise, à forte prédominance rurale à la fin des années 1970, allait alors entamer un processus d’urbanisation de longue haleine. C’est l’époque où naquit la première Zone Economique Spéciale (ZES), celle de Shenzen, qui fête aujourd’hui ses quatre décennies d’existence. En 1984, la Chine comptait désormais quatorze ZES. Mais c’est indéniablement la « mise en balance » de l’accès à des portions du marché intérieur chinois dans les secteurs de pointe (aéronautique, nucléaire, ferroviaire à grande vitesse, etc.), qui permit au Capital financier chinois d’attirer le plus efficacement à lui les technologies étrangères les plus récentes et de les assimiler. Comme nous l’avions démontré en 2007, la bourgeoisie chinoise a intelligemment retourné à son avantage le principe des concessions étrangères pour acquérir de la technologie et former des cadres tout en s’assurant que le poids du capital étranger restait minoritaire dans l’économie chinoise. Une stratégie indéniablement conforme au symbole qu’est le dragon dans la culture chinoise : une construction hybride résultant de la synthèse de différentes composantes. Après deux décennies d’afflux contrôlé de capitaux étrangers et de montée en gamme de ses champions nationaux, la Chine était parvenue à moderniser considérablement son tissu économique, dans l’industrie comme dans l’agriculture. Son adhésion à l’OMC en 2001 marqua la consécration internationalement reconnue de «l’atelier du Monde » en tant que puissance manufacturière majeure, alors qu’au même moment, la création de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) posait les fondements du début de la seconde phase de l’émergence, notamment géopolitique, de l’impérialisme chinois… Sous la direction de Yang Zemin (1993-2003), la Chine entre ainsi discrètement mais résolument dans la « cour des grands».

« Le grand renouveau de la nation chinoise »