Le «voile» en islam : approche historique et coranique (partie 1/2)

Religion

Ces derniers jours, la thématique du voile de la musulmane refait surface (notamment à cause d’un projet d’amendement voulu par une députée LREM pour interdire le port du voile aux petites filles), thématique il faut le dire très récurrente sur la scène médiatique et politique française, et de cela naissent ou resurgissent de nombreux débats et prises de position. Parmi celles-ci, nombre de musulmans affirment, face à ce qu’ils appellent les «modérés» ou les «égarés», que le Coran, la sunna prophétique et le consensus des savants contiennent des arguments irréfutables quant à l’obligation du fait de se couvrir la tête pour la femme musulmane.

Dans ce verset, Dieu demande d’utiliser entre autres des chevaux (ribâṭ al-khayl) pour effrayer et combattre l’ennemi en tant de guerre. Ainsi, puisque Dieu mentionne spécifiquement les chevaux, tout comme Il mentionne spécifiquement les khumûr (khimâr) en 24/31, c’est donc que l’utilisation de chevaux est obligatoire en cas de conflit armé pour tout État musulman et ce, jusqu’à la fin des temps et qu’il est interdit de ne pas en faire usage. Êtes-vous en accord avec cela ? Pouvez-vous sereinement affirmer que Dieu ici impose à toutes les armées musulmanes de la planète et de tout temps d’utiliser obligatoirement des chevaux dans les batailles qu’ils ont à mener ? Alors que viendraient faire des chevaux dans une bataille navale ou aérienne ? Quelle utilité auraient des chevaux pour une armée qui ferait face à une force utilisant des chars d’assaut… ? les Polonais de 1939 se souviennent encore du désastre que cela engendra… Et, à l’évidence, cela n’aurait aucun sens, car on comprend que la référence à la cavalerie équipée est clairement liée au contexte de l’époque où ni char d’assaut, ni avion de chasse, ni drone de combat n’existaient.
Toute personne censée et objective comprendra que la mention de la cavalerie se justifie par le fait que des chevaux étaient présents dans l’Arabie du VIIe siècle et que c’était l’un des moyens les plus utilisés et les plus efficaces, si ce n’est le plus, pour le transport et lors des combats… un moyen redoutable face à un ennemi à pied notamment. Dans le même esprit, le Coran demande de méditer sur les chameaux et les montagnes pour percevoir la puissance divine dans la création… il est clair que la référence aux chameaux, aux montagnes, aux spathes et aux oliviers (dans d’autres versets) n’a de sens que parce que tout cela se trouve présent dans l’environnement des Arabes de ce temps. Mais personne ne comprend que la méditation ne doit/ne peut se faire que par ces moyens ou qu’elle serait spécialement recommandée en passant par eux spécifiquement. Il y a donc le moyen mentionné qui est à remettre dans son contexte (l’Arabie du VIIe siècle) et le but qui, quant à lui, peut être universalisé.
Certains rétorquent que si Dieu a mentionné le khimâr dans le verset 24/31 ce n’est pas pour rien, mais pour indiquer qu’il faut utiliser spécifiquement ce moyen. Alors il convient de répondre, suivant leur raisonnement, qu’en ce verset 8/60 si Dieu ne voulait pas que les chevaux soient absolument utilisés alors Il aurait pu dire simplement « utilisez tout ce que vous pouvez pour combattre». Pour autant, la cohérence empêche de penser qu’au prétexte que Dieu mentionne les chevaux ici c’est que cela implique nécessairement que leur utilisation est obligatoire et intemporelle. Ici il faut donc faire l’analogie avec le raisonnement utilisé dans le verset 24/31 puisque nous avons une formulation similaire avec la présentation d’un objectif (couvrir les juyûb/effrayer l’ennemi), l’utilisation de l’impératif et la mention d’un ou plusieurs moyens spécifiques pour réaliser l’objectif (force et chevaux/khumûr). L’analogie est donc parfaitement cohérente non seulement (1) dans la formulation, mais aussi (2) dans la présence d’un contexte (guerre/société arabe de l’époque) car le fait de mentionner le khimâr des croyantes témoigne que l’on s’adresse en premier lieu aux femmes arabes de l’Arabie médiévale qui utilisaient ledit khimâr par coutume.
Le fait qu’un cas évoque la guerre et que l’autre face référence à une éthique sociétale n’empêche pas l’analogie car, à la base, l’analogie est faite en mettant en parallèle la formulation et la présence d’un contexte. De même, si l’on dit que l’objectif du verset 24/31 est de couvrir peu importe le moyen, tout comme il est ordonné de combattre, peu importe le moyen, car la liste de moyens est non exhaustive, alors c’est qu’il faut couvrir les juyûb peu importe les moyens qui le permettent et combattre peu importe les moyens qui le permettent. Or, dans le cas du khimâr, Dieu ne précise pas que l’objectif est autre que la couverture des juyûb, donc tout ce qui permettra de couvrir les juyûb sera bon, que cela couvre en parallèle la tête ou non. 3. D’autres disent également que si Dieu a utilisé le verbe « araba», qui peut être traduit par le fait de rabattre (ce qui est linguistiquement discutable car ce n’est qu’un sens possible de ce verbe très polysémique et non le seul sens existant), c’est que Dieu a voulu que la femme ne couvre ses juyûb (décolleté) qu’en utilisant un vêtement qui viendrait du dessus de la poitrine, en l’occurrence de la tête, et qu’il couvre donc les cheveux en plus des juyûb.
Mais ceci constitue en fait un raisonnement biaisé, car si Dieu mentionne le fait de rabattre une étoffe sur le décolleté cela peut parfaitement se comprendre par le fait que le verbe en question sied à la situation que l’on veut décrire. Mais il n’y a pas dans cette utilisation verbale de preuve indiscutable qu’il y a la volonté ici d’imposer le khimâr, son utilisation arabe coutumière, la gestuelle du recouvrement en partant du dessus de la poitrine ainsi que le recouvrement des parties du corps que cette gestuelle engendre (cheveux, cou, oreilles, etc.). Pour le coup, sans mauvais jeu de mots, ce raisonnement est tiré par les cheveux. En effet, à partir du moment où le port du khimâr est une coutume et une tradition qui est permise et qui est, en outre, récurrente dans son utilisation par les femmes arabes de l’époque en fonction de la coutume, du climat et des motifs sociétaux, il est tout à fait normal que Dieu y fasse référence puisque le Coran s’adresse en premier lieu aux contemporains de la Révélation dans l’Arabie désertique du VIIe siècle. Imaginez un raisonnement par l’absurde avec un verset dans lequel Dieu aurait utiliser le verbe «enfourcher/monter» (rakiba) et aurait dit : «Dis aux croyants d’enfourcher leurs chevaux pour combattre l’ennemi».
Devrait-on en déduire que, comme Dieu aurait utilisé ce verbe, le fait de combattre un ennemi ne puisse se faire que par l’action d’enfourcher un animal comparable au cheval comme l’âne, le chameau ou le zèbre ou, à défaut, un véhicule comme le vélo ou la moto, qui ont le point commun d’être utilisé en ayant besoin de faire la fourche et ce, au risque de désobéir à Dieu ? Devrait-on comprendre qu’il y aurait un péché dans le fait de combattre un ennemi sans enfourcher une mouture ? Toutes les armées musulmanes devraient-elles donc combattre obligatoirement à cheval ou à moto au risque de rendre des comptes sur cela au Jour du jugement ? Une telle compréhension serait pour le moins risible. Il faut donc revenir à moins de passion et comprendre ce qui semble évident : la mention du khimâr ne s’explique que parce qu’il s’agit d’un vêtement coutumier de l’époque sans que son utilisation soit universalisée et le recours au verbe araba se justifie parce qu’il sied à la scène décrite par Dieu sans que cela n’implique obligatoirement que le moyen du khimâr ou la façon de le porter dans l’Arabie médiévale devienne une imposition pour toutes les femmes de la planète jusqu’à la fin des temps.
Il faut, encore une fois, distinguer le moyen coranique (qui peut être circonstancié) et l’objectif coranique qui, quant à lui, peut être universalisé. En outre, en ce qui concerne le verbe «araba», il pourrait très bien en ce verset être traduit par couvrir ou recouvrir, ce qui n’impliquerait pas forcément le fait de rabattre. De même, demander de couvrir à l’aide d’un khimâr ne signifie pas que ledit khimâr doive absolument être porté comme la tradition de l’époque l’impliquait. Il peut parfaitement s’agir d’utiliser un khimâr, c’est-à-dire une pièce d’étoffe recouvrante dans son sens général, afin de dissimuler les juyûb. Ceci étant mis en avant, il convient de faire un parallèle à mon sens important avec le turban (‘imâma) des hommes arabes et ce, car le khimâr est à l’origine un vêtement mixte, comme je l’ai précisé, qui était porté aussi bien par les femmes que par les hommes.
Aussi, imaginez un verset s’adressant aux hommes qui aurait exactement la même formulation que celui en 24/31 adressé aux femmes et qui serait : «Et dis aux croyants […] qu’ils recouvrent/rabattent leurs turbans (khumûr) sur leur poitrine/torse» En lisant un tel verset, auriez-vous honnêtement compris que Dieu veut que tous les hommes pubères de la planète et jusqu’à la fin des temps soient enturbannés ? Auriez-vous compris que Dieu ordonne à l’ensemble des Arabes de porter un turban ou qu’Il impose le port de la ‘imâma à tous les hommes de la Terre pour qu’ils s’en servent pour recouvrir le torse ? Auriez-vous compris que l’ensemble des Hommes vivant sur cette terre avait l’obligation de couvrir leur torse en utilisant un vêtement qui couvre leur tête au préalable ? Qu’aurait à voir un Péruvien, un Japonais, un Inuits, un Français ou un Tahitien avec cette coutume vestimentaire du khimâr ou du turban ou tout simplement avec celle consistant à se couvrir la tête ? Une telle compréhension n’aurait aucun sens.
La logique et la cohérence qui s’imposent voudraient que l’on comprenne que le Coran ordonne ici de couvrir le torse en lien avec une pudeur élémentaire (message universel) et qu’il ne mentionne le turban comme moyen de couverture que parce qu’il s’adresse en premier lieu à des hommes arabes d’une époque précise pour qui ce vêtement est porté par tradition, coutume ou habitude liée au climat notamment. Or, comme les gens de cette époque sont les premiers destinataires de la révélation et que celle-ci a entre autres pour rôle de traiter les situations de ce temps, le Coran fait logiquement référence, comme il le fait d’ailleurs dans de nombreux autres versets, à ce qui leur est coutumier, à ce qui appartient à leur environnement et tient compte de leur contexte. Ni plus ni moins. En revanche, jamais cette injonction et formulation ne pourrait pertinemment être comprise comme indiquant l’obligation du port du turban à tous les hommes du monde jusqu’au jour dernier… Il semble incroyable que l’on puisse comprendre autre chose de cela.
(A suivre)
William Blob