Le « voile » en islam : approche historique et coranique (partie 1/3)

Religion

Ces derniers jours, la thématique du voile de la musulmane refait surface (notamment à cause d’un projet d’amendement voulu par une députée LREM pour interdire le port du voile aux petites filles), thématique il faut le dire très récurrente sur la scène médiatique et politique française, et de cela naissent ou resurgissent de nombreux débats et prises de position. Parmi celles-ci, nombre de musulmans affirment, face à ce qu’ils appellent les « modérés » ou les « égarés », que le Coran, la sunna prophétique et le consensus des savants contiennent des arguments irréfutables quant à l’obligation du fait de se couvrir la tête pour la femme musulmane.

Pour autant, s’agissant des femmes et alors même que le Coran mentionne un vêtement qui leur est également coutumier dans l’Arabie du VIIe siècle, l’analyse est totalement différente et on en vient à imposer à l’ensemble des femmes de la planète sur des siècles et des siècles le port d’un voile sur la tête tout en avançant que Dieu l’imposerait au prétexte qu’Il l’aurait mentionné comme moyen pour réaliser l’objectif de la couverture du décolleté. En réalité, jamais dans ce verset le Coran n’impose le port du khimâr pour dissimuler la chevelure, mais il ordonne aux femmes croyantes et arabes de l’époque qui ne semblaient pas couvrir l’échancrure de leur poitrine de dissimuler par sa couverture leurs juyûb, le khimâr n’étant mentionné que comme un moyen possible, car courant, connu et utilisé, de réaliser cet objectif. En résumé, il est clair que le Coran mentionne le khimâr car il fait partie des coutumes arabes de l’époque, de l’environnement des contemporains de la Révélation et qu’il est très présent. En revanche, il n’y a pas d’ordre d’utiliser le khimâr pour couvrir autre chose que les juyûb. Le fait que les femmes arabes se couvrent la tête avec est coutumier et est permis donc Dieu ne l’interdit pas, mais il n’est jamais précisé ce que le khimâr devrait couvrir obligatoirement d’autres parties du corps.
D’ailleurs, si le fait de se couvrir la tête avait eu une dimension d’obligation religieuse dès lors que la femme est musulmane dans les sociétés primitives de l’islam et qu’il n’avait pas eu en réalité un unique rôle culturel et sociétal (voire climatique), nous ne trouverions pas dans toutes les Écoles de droit et même dans ce qu’on attribue à certains ṣaḥâba (compagnons) comme ‘Umar Ibn al-Khaṭṭâb que la femme qui est esclave n’a pas à porter le khimâr ou le jilbâb et qu’elle n’a l’obligation de couvrir que ce qui se trouve entre son nombril et ses genoux (voire simplement ses parties intimes pour certains ulémas notamment dans l’École mâlikite)… En effet, le verset en 24/31 s’adresse dans sa formulation aux « croyantes » (mu’minât) en général, sans distinction de condition (libre ou servile). Donc s’il fallait en comprendre l’obligation de se couvrir la tête pour toutes femmes croyantes, pourquoi aurait-on empêcher les femmes esclaves de le faire ou, du moins, pourquoi n’aurait-on pas imposé aux femmes esclaves croyantes ce que l’on impose aux femmes libres croyantes ? Une esclave n’a-t-elle pas le droit à la pudeur ? Une esclave n’a-t-elle pas le droit de se conformer à l’ordre de Dieu ? Au nom de quoi certains se sont-ils permis de dire que des femmes, bien que croyantes, ne sont pas concernés par le port du khimâr alors que Dieu Lui-même ne fait référence qu’aux croyantes en général dans Son Livre ? La seule réponse qui s’impose c’est que le khimâr n’avait qu’une fonction sociétale en cette époque, comme c’était le cas dans d’autres civilisations auparavant, à savoir celle de distinguer la femme noble ou libre de la femme esclave.
Certains, à court d’idée répondront que la condition de l’esclave n’attire que mépris et déconsidération, mais cela est vrai socialement peut-être. En revanche, pour un homme le corps d’une femme reste le corps d’une femme, esclave ou non. Si une femme est désirable physiquement, elle le sera qu’elle soit esclave ou libre et je rappelle que Dieu évoque dans le Coran le mariage d’hommes libres avec des femmes esclaves, ce qui n’a aucun sens si leur statut en faisait ipso facto des êtres méprisables. Et puis la question qui se pose est la suivante : pourquoi avoir écarté les femmes esclaves du droit ou de l’obligation de se couvrir d’un khimâr ou d’un jilbâb si ce dernier avait été considéré comme une obligation divine pour toutes croyantes ? Pourquoi avoir affirmé que leur ‘awra (parties intimes à couvrir) était celle des hommes (du nombril aux genoux) ou même simplement leur sexe et le derrière comme l’ont dit plusieurs mâlikites, alors que Dieu dans le verset 24/31 s’adresse encore une fois à l’ensemble des mu`minât sans distinction de condition ? Si via ce verset le fait de se couvrir la poitrine et la tête était visé, de quel droit aurait-on empêché les femmes esclaves de respecter cela ? Au nom de quoi des ṣaḥâba et les ulémas des quatre Écoles ont-ils affirmé que la femme qui était esclave, de par son statut, n’avait même pas l’obligation de se couvrir les juyûb ?

Le deuxième verset utilisé dans le sujet du voile est le verset 33/59 :
« Ô Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles, et aux femmes des croyants, de ramener sur elles leurs jalâbîb : ceci est plus à même qu’elles soient reconnues et à ce qu’on ne les offense point. Dieu est Pardonneur et Miséricordieux. » Il faut d’emblée noter que ce texte n’est pas un texte législatif, mais il s’agit plutôt d’un discours (khiṭâb) indirect devant être prononcé par le Prophète (paix sur lui) afin d’orienter les femmes de son époque vers le choix d’un vêtement qui engendre pour elle la protection contre les torts de la société dans laquelle elles vivent. De façon incorrecte, le terme jilbâb (plur. jalâbîb) est traduit souvent par « grand voile » laissant supposer qu’il était forcément porté comme le khimâr par tradition, à savoir sur la tête. Or, à l’époque de la révélation, le jilbâb est simplement un vêtement de sortie ample qu’on laissait flotter sur le vêtement de corps. Une traduction plus précise de ce terme serait donc celui de « mante », comme le propose le docteur et islamologue Baber Johansen, puisque ce dernier correspond à un vêtement féminin ample (et parfois sans manche) porté par-dessus d’autres vêtements. Le jilbâb était une sorte de manteau que la femme mettait pour sortir. On dit aussi que le jilbâb est le qamîṣ (sorte de chemise) et un vêtement plus large que le khimâr (portée) en dessous du riddâ` (sorte de manteau que l’on met au-dessus des vêtements comme la jubba et la ‘abâ`a) que la femme porte sur sa tête. Ibn Hajjar rapporte plusieurs divergences sur le sens de ce terme, « on a dit : « C’est la muqanna’a ou le khimâr ou plus large que lui. » On a dit : « C’est le vêtement large qui est en dessous du riddâ`. » On a dit : « C’est le izâr. » On a dit : « C’est la milḥafa. » On a dit: « C’est la mulâ`a. » On a dit : « C’est le qamîṣ.» Au-delà de cette divergence linguistique qui témoigne qu’il est difficile de déterminer avec précision ce qu’était le jilbâb et s’en m’attarder outre mesure sur l’exégèse classique énumérant des causes de révélations très discutables et divergentes, il convient de revenir au texte coranique dans lequel Dieu explicite la raison pour laquelle Il prescrivit le port du jilbâb. Pour cela, il faut prendre ce passage dans un ensemble textuel plus vaste allant du verset 57 au verset 60 : « Ceux qui offensent Dieu et Son messager, Dieu les maudit ici-bas, comme dans l’au-delà et leur prépare un châtiment avilissant. ¤ Et ceux qui offensent les croyants et les croyantes sans qu’ils l’aient mérité, se chargent d’une calomnie et d’un péché évident. ¤ Ô Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles, et aux femmes des croyants, de ramener sur elles leurs jalâbib : elles en seront plus vite reconnues et éviteront d’être offensées. Dieu est Pardonneur et Miséricordieux. ¤ Certes, si les hypocrites, ceux qui ont la maladie au cœur, et les alarmistes [semeurs de troubles] à Médine ne cessent pas, Nous t’inciterons contre eux, et alors, ils n’y resteront que peu de temps en ton voisinage. » Ici, sans entrer dans les détails précis du pourquoi certaines femmes croyantes étaient offensées et importunées, le Coran expose des faits : le Messager (et par voie d’incidence sa famille), les croyants et les croyantes de Médine furent heurtés injustement par des gens parmi les hypocrites (munâfiqûn) et ceux qui sèment la peur et le trouble. Il fallut donc intervenir afin de proposer un moyen permettant d’atténuer les difficultés rencontrées voire qu’elles disparaissent progressivement, sous peine que Dieu ordonne leur expulsion manu militari. A l’évidence, il s’agit clairement de troubles provoqués dans la « cité-État » de Médine par des gens du voisinage du Prophète dans un désir de sédition, de trouble à l’ordre public pouvant même mener à une « guerre civile » s’ils ne cessaient pas. Il apparaît donc assez évident que ces gens voulant semer le trouble pour des intentions politiques malsaines utilisaient de faux prétextes pour s’en prendre aux croyantes de l’époque par la calomnie ou autres, alors que leur véritable intention était la création de fitna (division, sédition). Le Coran demanda alors aux femmes de se vêtir davantage afin que les véritables motifs de ces agissements soient mis en lumière. Ainsi, leur intention éclaterait au grand jour engendrant une sanction justifiée par des faits explicites : « Certes, si les hypocrites, ceux qui ont la maladie au cœur, et les alarmistes [semeurs de troubles] à Médine ne cessent pas, Nous t’inciterons contre eux, et alors, ils n’y resteront que peu de temps en ton voisinage. » En réalité, en ce passage coranique, il n’est jamais question de demander aux femmes musulmanes qu’elles soient reconnaissables comme étant libres et encore moins comme étant musulmanes (d’où le fait qu’un vêtement révélant l’islamité ne soit absolument pas une demande divine ou prophétique). D’ailleurs, il aurait été totalement injuste et incohérent de demander aux croyantes qu’elles s’habillent de façon à ce qu’elles soient identifiables par leur appartenance religieuse puisque ces gens cherchaient justement à s’en prendre à elles en tant que croyantes. Il est donc évident qu’on ne peut protéger la femme musulmane contre des gens qui veulent lui nuire à cause de sa religion en l’exposant davantage et en permettant son identification plus rapidement encore. C’est donc une partie de l’explication orthodoxe, faite d’inférences extra-coraniques et propres au temps dans lequel ces exégèses furent rédigées, qui s’effondre avec une simple réflexion produite par une lecture cohérente et inclusive du Coran. La lecture actuelle est beaucoup trop parcellaire et c’est ce qui engendre certaines explications absurdes ou contradictoires depuis des siècles. En somme, quand le Coran dit que l’un des objectifs est qu’elles soient « reconnues », il s’agit qu’elles le soient auprès des semeurs de troubles comme des femmes n’adoptant nullement une attitude confuse ou pouvant « légitimer » leur calomnie, leur médisance et autres mépris.
(A suivre)
William Blob