L’Islam vu par les penseurs du siècle des Lumières

Histoire

Les spécialistes de l’islam ont traditionnellement classé les ennemis de l’islam à l’époque du prophète Mohammed en deux catégories. La première est celle de ceux qui s’opposaient avec véhémence à l’islam, au point d’être prêts à sacrifier leurs propres valeurs préislamiques dans leurs efforts pour abattre le prophète Mohammed, ses disciples et saboter sa mission.

Dans cette catégorie, on peut trouver, par exemple, Abou Jahl ibn Hishām ou Omayyah ibn Khalaf, et ils ont péri, avec beaucoup d’autres de cette catégorie, lors de la bataille de Badr. Mais dans la deuxième catégorie se trouvaient ceux qui s’opposaient à l’Islam et persécutaient/combattaient les Musulmans, mais ils restaient nobles de caractère et s’accrochaient à certaines valeurs préislamiques admirables, sans les piétiner en essayant de soumettre le mouvement islamique. Dans cette catégorie, on peut trouver, par exemple, Khālid ibn al-Walīd ou ‘Amr ibn al-‘Ās, et même ‘Omar ibn al-Khattāb. Il convient de noter qu’Allah a finalement guidé la plupart, sinon la totalité, des personnes de cette catégorie vers l’Islam et son message. Un autre domaine d’étude historique où cette catégorisation des opposants à l’islam peut être appliquée est celui de la perception du Prophète Mohammed dans la pensée intellectuelle européenne.
Pendant la majeure partie de l’histoire européenne après l’avènement de l’islam, le Prophète Mohammed a été diabolisé par les érudits chrétiens, dont le célèbre réformateur Martin Luther (1483-1546), par exemple. ii Ce n’est pas parce que les intellectuels européens sont parvenus à une compréhension critique de la vie du Prophète – pour la plupart, ils n’ont même pas essayé. Ainsi, le plus souvent, il était préférable pour eux (et «ils» à cette époque était l’Église catholique romaine) de diaboliser totalement le Prophète Mohammed, iii car ce faisant, ils pouvaient le désigner comme l’homme qui incarnait tout ce qu’ils, en tant que chrétiens vivant la vie dure dans l’Europe médiévale, devaient détester chez les musulmans, qu’ils soient musulmans d’Espagne, de Sicile ou d’Anatolie.
Dans un article intitulé : «Luther face à l’islam : Comment le père de la Réforme protestante percevait l’islam» Malik Bezouh : «Si tu veux savoir qui fut Mahomet, le plus grand précurseur de l’Antéchrist et le disciple (…) du diable, lis (…) ce prologue qui résume tout ce que contient (le Coran), qu’il s’agisse (…) de sa vie (…) ou de sa doctrine impure et criminelle». Cet extrait est tiré de la préface d’une œuvre contenant la toute première traduction du Coran en latin effectuée en 1143 par l’abbé clunisien Pierre Le Vénérable. Quant à l’œuvre à proprement parler, les protestants, dont Luther, après d’âpres discussions, décidèrent, en 1543, sous l’impulsion du célèbre humaniste réformé Theodor Bibliander (1505-1564), de la diffuser via l’imprimerie, invention récente qui marque ces temps nouveaux, ceux de la Renaissance. Ce faisant, les réformés vont apporter leur écot à une meilleure connaissance de l’islam en Europe.

Avènement du siècle des Lumières
Le siècle des Lumières (également connu sous le nom de Siècle de la Raison) est un mouvement intellectuel et philosophique qui a dominé le monde des idées en Europe au cours des 17e et 18e siècles. Le Siècle des Lumières comprenait un éventail d’idées centrées sur la poursuite du bonheur, la souveraineté de la raison, et l’évidence des sens comme sources primaires de connaissance et a avancé des idéaux tels que la liberté, le progrès, la tolérance, la fraternité, le gouvernement constitutionnel, et la séparation de l’église et de l’état. Les Lumières sont nées d’un mouvement intellectuel et savant européen connu sous le nom d’humanisme de la Renaissance et ont également été précédées par la révolution scientifique et les travaux de Francis Bacon, entre autres.
Certains datent le début des Lumières à la philosophie de René Descartes de 1637, Cogito, ergo sum («Je pense, donc je suis»), tandis que d’autres citent la publication des Principia Mathematica d’Isaac Newton (1687) comme l’aboutissement de la révolution scientifique et le début des Lumières. Les historiens français datent traditionnellement le début de ce mouvement de la mort de Louis XIV de France en 1715 jusqu’au déclenchement de la Révolution française en 1789 et le termine avec le début du 19e siècle. Pour Immanuel Kant (1724 -1804) : viii «Sapere aude ! ‘Ait le courage d’utiliser ta propre raison ! ‘, telle est la devise de l’illumination.» est la réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ? (Traduction de 1798 (Essais et traités sur des sujets moraux, politiques et divers sujets philosophiques par Kant, Emmanuel). Il existe des différences très importantes entre les croyances des philosophes des Lumières de différentes nations et de différentes disciplines.
Les croyances de certains philosophes français peuvent différer radicalement de celles de certains économistes britanniques, penseurs politiques espagnols, romanciers irlandais, etc. Groupe incroyablement diversifié, ces penseurs et écrivains que nous appelons aujourd’hui «philosophes des Lumières» défient toute classification facile. Par-dessus tout, le siècle des Lumières doit être compris comme un «siècle de philosophie». Dans cette optique, il est instructif de jeter un bref coup d’œil sur les principaux penseurs du siècle des Lumières, leurs vies, leurs écrits et leurs idées. Paris a été un centre de mouvements intellectuels, culturels et artistiques pendant des centaines d’années et, au milieu du XVIIIe siècle, un groupe spécifique d’écrivains parisiens a eu une influence déterminante sur le siècle des Lumières qui a progressivement envahi l’Europe et au-delà.

Ces penseurs sont :
Beaumarchais (1732-1799) ;
D’Alembert (1717-1783) ;
Marivaux (1688-1763) ;
Montesquieu (1689-1755) ;
Rousseau (1712-1778), et ; Voltaire (1694-1778).
Parmi les grands thèmes du mouvement de l’Illumination on trouve : Contestation politique et sociale ; Hostilité à l’asservissement ; Combat contre l’ignorance et l’injustice, et ; Dénonciation de l’extrémisme religieux et de l’intolérance.

La perception négative du prophète Mohammed remise en question par les intellectuels des Lumières
Au 18e siècle, cependant, la situation avait radicalement changé. Les musulmans n’étaient plus les souverains d’Espagne ou de Sicile, et même en Anatolie, le pouvoir de l’Empire ottoman, autrefois redouté, commençait à décliner. Plus important encore, la Renaissance (XIVe-XVIIe siècles) et la Réforme protestante (1517-1648) ont eu lieu en Europe, laissant l’Église catholique romaine avec beaucoup moins d’influence sur la population européenne qu’auparavant. Les intellectuels pouvaient désormais remettre en question, de manière indépendante, des croyances qui étaient restées incontestées dans la société européenne pendant des siècles, et la perception négative du Prophète Mohammed, longtemps entretenue en Europe, a finalement commencé à être remise en question elle aussi. Cette période de remise en question intellectuelle a été connue sous le nom de «siècle des Lumières» (vers 1620-1780), et a été particulièrement populaire en France (où elle a culminé avec la Révolution française de 1789). Henri de Boulainvilliers (1658-1722) était un noble et historien français, inspiré par les célèbres philosophes René Descartes et John Locke. Intellectuel de l’ère des Lumières, il a écrit sur la physique, la philosophie, la théologie et, bien sûr, l’histoire.
Dans l’un de ses ouvrages les plus célèbres, intitulé Vie de Mahomet (1731), x il a défendu le Prophète Mohammed contre les allégations courantes selon lesquelles il aurait été inspiré par un assistant chrétien, que sa doctrine serait irrationnelle et qu’il serait un imposteur. Au contraire, Henri a soutenu que Mohammed était un messager d’inspiration divine que Dieu avait envoyé pour libérer le Proche-Orient de la domination despotique des Romains et des Perses et pour diffuser le message du tawhīd, ou unité indivisible de Dieu, de l’Inde à l’Espagne. Le succès du Prophète Mohammed, dit Henri, était tel qu’il «ne pouvait venir que de Dieu». À propos de l’islam, Henri dit que la doctrine de Mohammed n’a fait que supprimer tout ce qu’il y avait d’irrationnel et d’indésirable dans le christianisme tel qu’il était pratiqué à l’époque.
Le Prophète Mohammed «semble avoir adopté et embrassé tout ce qu’il y a de plus merveilleux dans le christianisme même, écrit Henri», de sorte que ce qu’il a retranché, se rapporte évidemment à ces seuls abus, qu’il était impossible qu’il ne condamnât pas. L’œuvre d’Henri de Boulainvilliers fut interdite dans la France catholique mais fut publiée en 1730, après sa mort, dans les villes protestantes d’Amsterdam et de Londres. La représentation historique du Prophète Mohammed par Henri de Boulainvilliers a eu un effet sur d’autres penseurs de l’époque des Lumières, notamment le philosophe français Voltaire (1694-1778). Voltaire, poète, essayiste, dramaturge et historien de renom, est surtout connu pour ses attaques contre l’Église catholique romaine établie, son plaidoyer en faveur de la liberté de religion et d’expression, et sa défense de la laïcité. Son opposition à l’islam et sa diabolisation du Prophète Mohammed ont toutefois été menées avec encore plus de véhémence que ses attaques contre l’Église et le pape. En 1748, il écrit De l’Alcoran et de Mahomet dans lequel il disait la phrase introductive : «C’était un sublime et hardi charlatan que ce Mahomet».
En 1736, il écrit une pièce de théâtre intitulée Le Fanatisme, ou Mahomet le Prophète, dont la première représentation a lieu en 1741 à Lille. Comme son nom l’indique, elle dépeint le Prophète comme « un imposteur désireux de se glorifier et d’avoir de belles femmes, prêt à mentir, à tuer et même à faire la guerre à sa patrie pour obtenir ce qu’il désire. Il exprime des vues similaires sur le Prophète dans deux de ses lettres, l’une adressée à Frédéric II de Prusse en 1740 et l’autre au pape Benoît XIV en 1745. Quelque temps après 1745, cependant, il a lu la Vie de Mahomet de Boulainvilliers, qui semble avoir eu un impact durable sur sa perception du Prophète Mohammed. Plus tard dans sa vie, en particulier dans ses écrits historiques tels que l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations (1756), Voltaire fait l’éloge du Prophète, qu’il considère comme un chef efficace et tolérant et un conquérant accompli, bien qu’il maintienne que le Prophète Mohammed n’était pas d’inspiration divine, mais qu’il était «tellement emporté [par son succès en tant que chef] qu’il s’est cru inspiré par Dieu».
(A suivre)
Mohamed Chatatou