Le footballeur qui a forcé le respect des Monégasques

Bekhloufi Kaddour

,Ils demeureront inoubliables les footballeurs moudjahiddines de la noble cause. Ils étaient en tout et pour tout trente deux joueurs professionnels qui ont tout abandonné, l’argent, leur carrière footballistique, leurs familles : ils ont répondu présent à l’appel de la patrie et Bekhloufi Kaddour en fait partie…

Bekhloufi Kaddour est un footballeur algérien qui a vu le jour le 7 juin 1934 dans la ville d’Oran. Il est très connu, que ce soit en Algérie ou en France, pour avoir fait ses débuts à El Bahia et pour avoir joué pour le club du Vieux Rocher, celui de l’AS Monaco, un club de football idolâtré par la grande famille royale du Prince Rainier et de la Princesse Grace Kelly.
Lors d’une rencontre de football avec le stade de Reims, ce fut une totale réussite pour Bekhloufi Kaddour qui a été l’auteur de l’unique but de la partie. Un but d’anthologie qui avait charmé la famille royale. Le Prince Rainier et la Princesse Grace Kelly avaient tenu à descendre en personne pour féliciter Bekhloufi Kaddour. Une chose est sûre, durant son parcours de footballeur, il était l’animateur, le rigolo aux grandes blagues, le réconciliateur au sein du groupe et c’est ce qui fait dire à un de nos confrères de la ville d’Oran «à l’instar de tous les enfants de son âge, Kaddour a été attiré très tôt par le football, et la proximité de la «plaine» de Sidi Hasni ne pouvait qu’affirmer son talent. Plus fort que ses camarades de jeu, il ne pouvait passer inaperçu, surtout à cette époque où les entraîneurs et dirigeants allaient dénicher les oiseaux rares.
En fait, le CALO et l’AS Marine n’ont constitué que des étapes du long parcours de Bekhloufi. La première proposition est venue d’Espagne, de Valence plus précisément. «Contacté par un ancien footballeur espagnol qui avait exercé son talent à Oran, Kaddour allait rejoindre la péninsule ibérique lorsqu’il reçut une lettre expédiée par Freedman de l’AS Monaco». «Entre Spania Khalia et la Côte d’Azur, il n’y avait pas photo. Et pourtant, j’ai pris conseil auprès de Ahmed Firoud qui connaît bien cette région, et également auprès de Boudjellal qui avait effectué deux tentatives à Monaco et à Cannes», précisera Bekhloufi. Les tests sont concluants et Kaddour effectue deux tournées, une en Corse et une en Allemagne, où il confirme sa classe. «En rencontres officielles, j’ai eu le tract. Figurez-vous que j’ai joué ailier droit à la place de Michel Hidalgo pour mon premier match ! Contre l’OL à Lyon. On me titularise au poste d’ailier gauche et je marque le but de la victoire. Ensuite, à Monaco, contre le grand Stade de Reims, ce fut une grande réussite avec un but applaudi par le Prince Rainier et la Princesse Grâce Kelly qui ont tenu à me voir. Ce sont des moments inoubliables», narre-t-il. Et pourtant, son destin allait changer avant la constitution de l’équipe du FLN. Après quatre années de gloire en Tunisie, au Moyen-Orient, en Europe de l’Est, au Vietnam et en Chine, Kaddour reprend du service à l’USM Bel-Abbès, avant de rentrer à Oran où il opte pour l’ASM. Ensuite, ce sera l’USM Sétif. Comme entraîneur, il a pris en charge de nombreuses équipes, de la nationale Une jusqu’aux clubs de paliers inférieurs. Le plus important pour lui, c’était de rester dans le monde du football, celui qu’il connaît le mieux, et qui est finalement sa seconde famille.
Le débat… Et puisqu’il le faut, ouvrons le débat. En 1958, notre confrère Bessol Ahmed, qui évoluait comme poussin à l’ASMO (Marine oranaise, club des bas quartiers du port) et qui, avant d’embrasser une carrière de journaliste, a réalisé un reportage sur Bekhloufi Kaddour qui était l’entraîneur du NARA. Il avait alors narré une anecdote très significative : «J’ai eu comme éducateur Louis Dossat qui s’occupait également de l’équipe fanion où évoluait notre idole Kaddour. Dossat nous a dit à peu près ceci : ‘N’imitez pas Kaddour, sinon vous abandonneriez très tôt ce sport, car Kaddour est l’homme des exploits individuels, c’est trop difficile à votre âge’. Sachant que Dossat était certainement un très grand entraîneur, il y a lieu de comprendre la portée de ce jugement».
En effet, Bekhloufi a été un remarquable technicien, spécialiste de la feinte et du petit pont. Il n’était pas professionnel à Monaco, mais il aurait embrassé sans problème cette carrière s’il n’avait pas rallié Tunis le 13 avril 1958 avec les Bentifour, Zitouni, Boubekeur et Rouaï. D’ailleurs, au poste d’inter gauche, il a mis à son actif à l’AS Monaco, des exploits qui ont fait lever le Prince Rainier et la Princesse Grâce Kelly de leurs sièges. Certains chroniqueurs de l’époque l’ont comparé au Brésilien Yeso Amalfi, un grand artiste du ballon dont les sportifs se souviennent. Bekhloufi n’a jamais fait autre chose que jouer et entraîner dans tous les clubs où il est passé, soit soixante années de bons et loyaux services. Alors que les férus de faux procès se font une raison : Bekhloufi Kaddour a été un très grand joueur qui a su s’adapter aux circonstances. D’attaquant à Monaco, il est passé au poste d’arrière gauche au sein de l’équipe du FLN, avant d’évoluer de nouveau en attaque, comme ce fut le cas à Belgrade, avec une éclatante victoire à la clé. A l’ASM comme défenseur latéral, il faisait le spectacle en ridiculisant les ailiers qui osaient s’aventurer de son côté. Sa force ? Ses dons bien évidemment, mais également son amour du football où il s’est extériorisé pleinement. En jouant, il prenait du plaisir, ce qui n’est pas le cas de tous les footballeurs, les féroces tacleurs et les besogneux par exemple. Sa devise aurait pu être celle de certains esprits éclairés du football : «Jouez, prenez du plaisir, les résultats viendront d’eux-mêmes». Pour avoir respecté cette ligne de conduite, Bekhloufi a réalisé un remarquable parcours. Cette locution s’adapte parfaitement au parcours de Kaddour Bekhloufi. Il pensait faire carrière à l’AS Marine. On lui propose Valence et l’Espagne, il atterrit à Monaco où ses débuts sont prometteurs. Etre le coéquipier de stars comme Zitouni, Boubekeur, Bentifour, Hidalgo et Kaebel a dépassé ses espérances. A Paris, Bentifour le met au parfum. L’histoire est en marche et rien ne l’arrêtera. San Remo, Rome, Tunis en deux jours. Un basculement inattendu qui fixe de nouvelles règles. Quatre années de tournées triomphales. Beaucoup de joies et d’inoubliables souvenirs avec l’équipe du FLN. Lorsqu’ils se sont séparés au mois de juin 1962, ils étaient 32 et très unis. Chacun a pris une direction. Hélas, nul n’est immortel. Inexorablement, la Faucheuse obéit à la loi divine. A une certaine époque, Bekhloufi a flirté avec une phobie du temps moderne, celle du téléphone. A chaque sonnerie, l’angoisse le saisit. Généralement, c’est Maouche le communicateur. Kaddour doit se rendre à l’évidence : untel n’est plus. Des larmes coulent sur son visage. C’est dur, très dur. La moitié de cette extraordinaire et inoubliable phalange n’est plus parmi nous. Seuls restent les souvenirs, les articles de presse et les photos jaunies par le temps. La vie continue pourtant. Kaddour est un grand-père heureux car il a marié ses sept enfants. Pendant trois heures, nous l’avons laissé parler. Malgré tous les honneurs, il est resté un homme simple, avec le cœur sur la main. Il estime avoir eu une vie intense grâce au football et grâce aux hommes qu’il a connus. Il croit dur comme fer au renouveau du football national, «pour peu qu’on s’organise car la pâte existe», dira-t-il. Pourquoi un tel optimisme ? Sans doute en raison d’une profonde «complicité» entre l’enfant de St Antoine et le sport roi. C’est que soixante ans de vie commune, ça compte. Il est en paix avec lui-même. Si c’était à refaire, ce serait la même disponibilité, pour l’Algérie et pour le football, ce vieux et fidèle compagnon de route. Repose en paix Kaddour, il s’en va heureux avec la consécration de son pays en Coupe d’Afrique des nations. Les Algériens ne t’oublieront jamais.
Kouider Djouab