Les barons de la devise et cambistes de la rue Gambetta dictent leur loi

Annaba

C’est le même son de cloche, les mêmes prix et la même transaction chez tous les cambistes de Annaba, de Oum Theboul et d’El Kala. Les opérations d’achat et de vente sont dictées par les barons de la jungle du marché informel des devises.

Le marché informel des devises est toujours très florissant au chef-lieu de la wilaya d’Annaba, Constantine, Alger et Oran, l’activité prend de l’ampleur pour ce marché parallèle notamment, et s’enflamme au fil des mois de l’année, surtout à l’approche des fêtes de fin d’année avec les affairistes qui visent uniquement le gain facile, rapide et colossal. La hausse de l’euro face au dinar s’élève à 13,5% pour se stabiliser à 132 DA en banque, contrairement à notre monnaie qui ne cesse de se dévaluer. Malgré les descentes policières de la brigade économique de la Sûreté de wilaya le marché parallèle reste plus florissant que jamais, sachant qu’en fin août 2019, les policiers ont arrêté un cambiste en possession de 19.000 euros,104 dollars, 2.575 dinars tunisiens et 520 dinars libyens. C’est plus d’une cinquantaine d’agents de change qui sont quotidiennement présents debout près de leurs voitures stationnées à la rue Ibn Khaldoun au centre-ville de Annaba. On les reconnaît facilement avec les liasses de billets de banque à la main, un téléphone portable et une machine à calculer. En cette période, le marché de la devise est florissant pour ces cambistes, et leur profession s’est considérablement renforcée durant ces derniers mois, un certain retour de nombreuses personnes vers les petits voyages à l’étranger et surtout pour passer les fêtes de Noëls et de Nouvel An. Cet état de fait constitue donc l’une des principales causes d’une spectaculaire montée de la monnaie européenne qui a franchi dernièrement la barre de 209 DA pour lequel le business du change parallèle est hautement lucratif et l’argent, devises et dinars confondus coule à flots. Le dollar américain et l’euro ont rapidement grimpé dans les marchés informels des devises en Algérie.
A Annaba, dans la grande rue commerciale et mouvementée de Gambetta, les cambistes des réseaux monétaires qui notamment contrôlent la masse monétaire ramassée dans les rues algériennes se sont enrichis dans un laps de temps tout en conservant leur activité au noir non discrète, a-t-on constaté de visu. Or, les 100 euros sont achetés à 21.100 DA et vendu pour la somme de 21.600 DA chez ces commerçants ambulants, soit 1 euro se vend aux «Beznassa» à 220 DA, alors qu’il était les mois passés à 200 DA, tandis que le dinar tunisien vaut 100 DT pour 6.600 DA, alors que les 100 dollars s’achètent à 18.100 DA pour se vendre à 18.600. Outre le fait qu’on les reconnaît aisément, c’est lors des transactions qui se font à toute heure de la journée au vu et su de tout le monde. A notre arrivée sur les lieux, une scène a retenu notre attention : un client est abordé par quatre cambistes. Chacun lui propose son service, la bourse de change d’Annaba fonctionnant en dehors du circuit bancaire s’est forgée la réputation d’une véritable institution non officielle. « Ici on peut effectuer le change sur place de plusieurs millions de centimes sans jamais craindre l’intervention d’aucune autorité ni aussi de la brigade financière», nous dira un citoyen rencontré sur les lieux. Une formidable masse monétaire incontournable dans cette jungle boursière, certains trabendistes exhibent des liasses de billets de 50 euros afin d’attirer les clients ne pouvant obtenir des devises auprès des banques.
Si l’acheteur veut acquérir une grosse somme en euros ou en dollars, le vendeur peut lui consentir une ristourne estimée à 60 DA et parfois plus sur les 100 euros. Il faut dire que le gain est énorme.

Spéculation des devises :
le gain est certain
Certains spéculateurs ont stocké leurs devises pour les vendre lorsque l’euro prendra encore des ailes, indique une source proche de ses cambistes. Notons que le dollars américain est aussi demandé sur ce marché, la masse monétaire en devises principalement s’est envolé ces derniers jours. Selon la banque d’Algérie, il est de 42% plus cher que le cours officiel qui tourne autour des 118 DA le dollar et 134,5 DA l’euro pour 2019. Or, cette hausse subite est due aux importateurs qui achètent des produits de consommation en prévision des fêtes annuelles. En effet, les cambistes effectuent en premier lieu la conversion sur leurs calculatrices dans la main avant d’acheter ou de vendre les billets, a-t-on constaté sur les lieux. Du côté de certains cambistes qui avancent plusieurs avis pour tenter d’expliquer cette envolée de l’euro. « Il y a des moments comme la période du Hadj ou de la Omra où les devises coûtent chères», nous ont-ils déclaré. Le manque de l’euro est causé aussi par la baisse de l’épargne des immigrés en raison de la crise mondiale. Ils avaient l’habitude d’alimenter le marché des devises à Annaba. Certains indicateurs nous ont révélé que les devises entrent au pays par ruse dissimulées dans les marchandises importées, vêtement, faïences et autres objets. De toute évidence, les quantités échangées sont considérables, compte tenu du nombre important de personnes impliquées dans ce créneau juteux. Par ailleurs, d’après un revendeur, beaucoup de clients possèdent des devises à la maison et préfèrent les vendre du fait qu’ils ne peuvent ouvrir des comptes. Notre interlocuteur ajoute que les petits monnayeurs ne représentent rien pour les gros bonnets du trafic de devises. Ces gros bonnets du marché parallèle aux costumes neufs, aux voitures luxueuses tenant deux portables de part et d’autre pour des coups de fil urgents sont à chaque instant connectés à leurs acolytes dans les zones névralgiques du commerce des devises comme, à titre d’exemple, Tizi-Ouzou, qui reste apparemment le premier fournisseur, Alger, Oran, Sétif et Constantine. Le revendeur nous affirme à ce titre que «ces patrons du marché informel sont renseignés de très près sur l’activité douanière qui peut à tout moment influencer le cours des changes». «Cette flambée de l’euro tient-il à préciser est provoquée volontairement, avant c’était de Deutschemark, le Franc suisse, la Livre Sterling, le Yen japonais et la Couronne suédoise qu’on achetait». Alors qu’on discute avec notre interlocuteur, trois hommes arrivent avec des sacs à la main, ils sont à la recherche de quelqu’un pouvant leur échanger une forte somme d’euros.
Deux cambistes se présentent illico presto et leur demandent : « Avez-vous une petite ou grosse somme ? » De grosses liasses de billets de 1.000 DA font alors leur apparition sous nos yeux. La transaction est effectuée sans aucun appareil de détection de fausse monnaie, car il faut savoir que le marché n’échappe pas à l’arnaque, les réseaux de faux monnayeurs existent dans les différentes régions du pays. Ce sont généralement les importateurs des produits étrangers et les fournisseurs retraités qui effectuent ces transactions. Le gain est considérable, il peut se chiffrer à plusieurs millions de centimes par jour, en termes de chiffre d’affaires au vu du nombre important de clients qui les sollicitent quotidiennement. Ils sont commerçants, trabendistes, retraités pensionnaires en France ou pèlerins. A ce sujet, il est fort probable que des opérations «coup de poing» soient déclenchées par les services de police et de la Gendarmerie nationale. Ainsi, la préoccupation majeure des cambistes informels reste la crainte d’une descente inattendue de la police économique, informe-t-on.
Oki Faouzi