Noms de lieux évoquant l’eau

Toponymes

C’est au fil des siècles que les noms de lieux ont été inventés et anonymement, en fonction des conditions naturelles ou de la configuration de l’espace choisi pour y fonder une ville ou un village.

Il existe chez nous une diversité d’appellations choisies pour donner un nom à une cité habitée par des hommes et des femmes pour mieux se faire connaître. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il existe chez nous des milliers de bidonvilles accolés les uns aux autres, avec des parois mitoyennes, mais dont l’ensemble n’a pas de nom. On ignore jusqu’à l’identité de ceux qui y habitent depuis des décennies, pour ne pas dire des générations.

Comment est-on arrivé à nommer des lieux ?
Quelquefois, c’est par rapport à la situation géographique qu’un nom de lieu s’impose de lui-même. C’est le cas de Mésopotamie, appelé ainsi sous le prétexte qu’il s’agit d’une région située entre deux fleuves : le Tigre et l’Euphrate. La rivière sur les bords de laquelle on construit des bâtiments donne son nom à la ville créée.
Les fondateurs de la cité urbaine, qui devient au bout de quelques siècles une conurbation avec des cités tentaculaires immenses, choisissent un endroit en fonction de ses conditions favorables. Rio de Janeiro en est un exemple. Et que de lacs, de rivières, sinon de proximité avec la mer sont à l’origine des toponymes du genre Reghaïa El Bahri, Boudouaou El Bahri, Zemmouri El Bahri, Oued Fodda, Oued Rhiou. Il arrive que des noms d’oueds servant à désigner un lieu habité, qu’il soit à sec, ou qu’il ait été asséché depuis longtemps, comme Oued Ouchaïah. A partir de la construction d’un château fort, on peut bâtir une ville dont le nom est composé tout en évoquant l’eau. Fort-de- l’eau en fait partie et correspondrait pour sa forme composée à Bordj El Bahri (ex-Cap Matifou). Tigzirt sur mer rappelle d’autres noms de villes construites sur des sites maritimes pour être appelées à devenir des villes portuaires. Ce qui n’est pas le cas de Azzefoun, sa voisine, et qui signifie langouste, animal marin et toujours en rapport avec l’eau. Peut-être le port d’Azzefoun a-t-il servi de lieu de départ aux bateaux spécialisés dans la pêche à la langouste ?

Des noms de villes évoquant l’eau et l’histoire
Tlemcen en est la parfaite illustration en tant que ville historique, la plus ancienne et dont le nom est le pluriel de Tilmas en tamazight, et qui signifie «source», à la manière de Aïn Taya, Aïn Bessem, Aïn Berd, joli nom de ville anciennement appelée Oued Imber. Et que de toponymes en Algérie choisis pour la source qui s’y trouve depuis des temps immémoriaux. Aïn El Hammam s’appelait à l’origine Tala El Hammame. On se demande maintenant comment des lieux évoquant l’eau aient été gardés pendant la colonisation française sous leur nom d’origine, comme par exemple El Biar, conservé comme tel même si par le temps, les habitants ne cherchaient pas à faire creuser des puits dans leur jardin, l’endroit étant situé sur le flanc d’une colline et devant receler des nappes phréatiques abondamment alimentées. L’administration coloniale a bien francisé Tidjelabine en l’appelant «Belle Fontaine», en référence à des sources abondantes qui alimentent des fontaines d’eau potable. On est allé il y a de cela deux décennies chercher de l’eau près de Tidjelabine, une eau jaillissant de terre, la source se trouvant sur une immense plate-forme. Quant à Hydra et Corso, ils évoquent, dans leur acception étrangère, non pas seulement l’eau mais des marques d’une longue histoire. Hydra vient du grec et signifie eau ; il est dérivé de hydraulique, hydrologie.
Personne ne peut dire à quel siècle remonte ce toponyme à caractère historique, ni quel en est l’auteur étranger au pays. Corso en est un autre, qui viendrait de l’espagnol et qui signifierait cours d’eau. Ce nom a survécu à des siècles de colonisation et à des décennies d’indépendance. Personne n’a pu avancer la moindre explication sur ses origines, même sous sa forme arabisée. Ce genre de noms propres commençant par rivière et d’origine espagnole est courant. Saguia El Hamra, au Sahara occidental, et d’où sont originaires les familles maraboutiques de chez nous, s’appelait du temps de la colonisation espagnole : Rio de Oro, rappelant quelque peu Rio de Janeiro de même origine. Restons dans ce genre de toponymes atypiques pour évoquer, Aïn Sefra que tout le monde comprend. Par rapport à quoi lui a-t-on donné la couleur «Sefra», alors que la source en question se situe en région semi-désertique, du côté de l’extrême sud-ouest, pas loin de Béchar.
Cette région sèche peut connaître, à la suite d’orages violents, des inondations. C’est là que vers 1903 ou 1908 – cela reste à vérifier – l’écrivaine Isabelle Eberarht,a trouvé la mort en se laissant emporter par les eaux d’un oued qui avait considérablement grossi sous un grand orage inattendu. Triste sort, mais histoire fantastique.
Abed Boumediene