Un roman «intimiste» et «violent»

«Aimer Maria» de Nassira Belloula

A travers cette nouvelle traduction qui vient enrichir son large catalogue, l’éditrice, Donata Kinzelbach, qui s’est spécialisée dans la traduction d’auteurs maghrébins, offre au lectorat allemand une œuvre romanesque de très haute facture, un roman où l’écrivaine Algéro-canadienne dévoile un nouveau pan de son grand talent de narratrice.
L’auteure qui se trouve actuellement à Swchandorf en Bavière (Allemagne) dans le cadre d’une résidence d’auteure au Oberpfälzer Künstlerhaus, rencontrera son nouveau lectorat aujourd’hui mardi 12 octobre à 19h30. La rencontre, organisée au café siège de la Fit-Horsch, sera marquée par la lecture d’extraits du texte lus par l’actrice allemande Kirstin Rokita.
Paru en 2018 aux éditions Chihab, «Aimer Maria» de Nassira Belloula raconte l’histoire d’une jeune adolescente rebelle de 16 ans, fille de la mer, follement éprise de son cousin, Ali. Tous deux s’aiment depuis l’enfance et rêvent de se marier un jour. Pourtant, leur rêve ne se réalisera pas car en raison d’une vieille dette, le père de Maria donne la main de sa fille à un inconnu. Le monde de la jeune fille s’écroule.
Cet époux qu’elle va dès lors appeler « l’autre » la privera de tout : « Dès les premiers jours de notre mariage, il me pousse à douter et perdre toute confiance en moi. Il déconstruit tout ce que je représente, me prive de parole, de désirs, de rêves, m’ôte toute perspective afin que je ne puisse voir qu’à travers ses yeux », écrit-elle en page 30. L’homme qui lui aussi déteste sa femme va lui faire vivre désillusion sur désillusion. «Il déteste tout de moi, tout ce que je suis, ce que je fais (…). Ainsi mon quotidien se ponctue de crises, d’insultes et de comportements sadiques (…)». Durant trente ans de mariage, rien ne sera épargné par l’époux pour détruire son épouse.
Maria accuse les coups pour ses enfants, surtout ses filles. «Ce qui sanglote en moi n’est que l’écho de ce qui me reste, cette infime émotion que mon autre s’obstine à garder comme une lumière même faible, que les brimades, les dénigrements, les blessures, les coups et les privations n’arrivent pas à éteindre. Parfois un petit sursaut de conscience, vite étouffé par un mot, un regard, un geste de l’autre. Il improvise toujours une riposte dès qu’il sent une tentative de rébellion chez moi. J’avoue que je manque de courage, alors je m’écrase et me rapetisse devant ce regard noir, dur, décidé que je ne pourrai jamais affronter(…). J’étais anéantie» (p.47).
Au fil du temps, elle devient l’ombre d’elle-même, un être sans âme qui se meut comme dans un vase clos. Elle finit par se créer un monde à elle, une sorte de bulle dans laquelle elle s’évade et où elle se maintient dans un semblant de vie, jusqu’au jour où se produit le déclic, en regardant une émission télévisée où un imam déclare que : «l’épouse pieuse, dévouée et croyante sera récompensée par Allah, qu’elle entrera au paradis et y retrouvera son mari pour l’éternité» (p. 49) Pour Maria, supporter plus et subir davantage cette vie est au-dessus de ses forces. Elle décide de partir, de tout laisser derrière elle : maison, enfants, mari pour retrouver sa vie d’avant ou, du moins, revenir dans la maison familiale, espérant y retrouver ce qu’elle a laissé il y a trente : sa candeur, sa joie de vivre, son amour de jeunesse.
Ses filles Nora, Lynda, Zora et Alia n’ont jamais rien su du mal-être que vivait leur mère car elle a consenti moult sacrifices pour les préserver. Après ce qui vient de se passer, Alia, va tenter de comprendre.
Ce roman est construit autour d’un double «je» narratif. Maria et Alia prennent la parole, à tour de rôle pour dire toute la douleur portée par cette femme frêle, timide et effacée jusqu’au jour où elle décide de s’affranchir de cette vie de servitude et d’humiliation. Un roman à lire pour la force du sujet et pour la beauté de l’écriture.
A noter qu’«Aimer Maria» n’est pas le dernier roman de Nassira Belloula. L’auteure aussi prolixe que talentueuse a publié deux autres romans : «J’ai oublié d’être Sagan» en 2019 chez Hashtag éditions et «Il ne fallait pas s’en prendre à nous», sorti cette année chez Chihab éditions. Une fois de plus, une femme forte est au centre de la trame romanesque : «Entre les oueds et les gueltas de l’Aurès, une jeune femme marche avec détermination en empoignant le fusil de chasse de son père. Elle s’enfonce dans les forêts et les vallons sans savoir ce qui l’attend, mais sait ce qu’elle veut ; retrouver sa petite soeur et la délivrer des mains d’une horde d’abominables. Elle se lance sur la trace des assaillants qui ont décimé son village en jurant de ramener saines et sauves les sept captives qu’ils traînent derrière eux.
Commence alors une traque impitoyable où cette jeune femme fragile devient chasseuse, traqueuse impitoyable, apprenant l’art de la guerre sur le tas. Elle se réapproprie la montagne avec courage pour rendre justice à son village comme l’avait fait autrefois sa mère en se battant contre l’armée française dans ces mêmes lieux. C’est donc au coeur de l’Aurès, qu’elle va livrer une ultime bataille pour sa survie et la survie des siennes».
Hassina A.