Le baroudeur de l’équipe de la Liberté 

Oudjani Salah 

Avec un ballon, il savait tout faire, précision, justesse, c’est lui qui dirigeait la balle ronde et non le contraire. Oudjani Salah était une force de la nature, c’était un avant-centre d’une stature puissante. Il est natif de la ville de Skikda, une ville reconnue comme école de formation de talents très doués dans le domaine footballistique : Salah évoluait sous les couleurs de Lens en occupant le poste de numéro neuf mais cela ne l’empêchait pas grâce à sa maitrise technique de devenir un support appréciable pour ses coéquipiers dans le compartiment de l’attaque. Oudjani Salah savait viser et mettre le ballon dans la lucarne, il aurait pu devenir un excellent sniper avec une arme à la main, mais à défaut d’une arme, il a combattu l’oppresseur avec comme seule arme, un ballon de football ! Le personnage était un nationaliste, il avait toujours les oreilles et les yeux braquait sur tout ce qui se passait dans son pays colonisé.
Oudjani Salah avait un tempérament de gagneur. Il influençait ses coéquipiers qui le tenaient en haute estime, un footballeur très respecté dans et en dehors des terrains, respecté et respectueux, un véritable gentleman dans un terrain de football, et un homme hors du commun dans la vie de tous les jours, jamais un mot déplacé, Salah aimait la vie et le football, il ne savait pas faire autre chose que de jouer au football, il a commencé à taper au ballon dans les terrains vagues de Skikda avant de partir en France. Skikda est une localité où l’on respire le football, à l’image des frères Bouchache, Naim, Draoui. Il ne faut pas oublier le carnage des milliers de personnes assassinées par la soldatesque française dans le stade de Skikda (autrefois Philippeville). Oudjani Salah est né le 19 mars 1937 à Skikda, et voyant qu’il pouvait réussir en Outre-mer, il tenta l’aventure pour devenir un professionnel. Il avait beaucoup de qualités techniques, et au lieu d’attendre comme tant d’autres avants-centres la dernière passe, il préférait aller chercher lui-même la balle et la transformer en but. Il avait en lui quelque chose comme une force de la nature. Ses incursions en force lui avaient valu une solide réputation d’attaquant de choc. Oudjani Salah était un buteur né malgré une très mauvaise vue, il ne voyait pas très bien, il a essayé de porter des lunettes spéciales mais malgré cela, ses tirs, semble-t-il, n’avaient pas leur pareil en marquant dans des conditions bien souvent difficiles. Dans les années post-indépendance, le trio Ibrir, El Kamal et Firoud, trois merveilleux coachs algériens, lui donnent le numéro 9 chez les Verts, alors qu’il était joueur professionnel à Lens, un club de première division française, le personnage ne pouvait refuser cette opportunité de faire partie de la composante de l’équipe nationale d’Algérie, d’une nation libre et indépendante, souveraine. Il avait beaucoup donné dans la formation de l’équipe de la Liberté, du Onze de l’indépendance.
En cette période, Salah avait le vent en poupe et plusieurs clubs étrangers voulaient se l’arracher. Il devenait par le temps la coqueluche du football français lensois et algérien. Cette consécration était méritée tant l’attaquant s’était montré tout au long de sa carrière d’un sérieux exemplaire sur le terrain et dans sa vie de tous les jours. Il était régulièrement convoqué en Equipe nationale jusqu’à l’âge de 29 ans.
La génération d’avant ne comprenait pas comment qu’un joueur de football de la classe de Oudjani Salah, qui souffrait d’une myopie arrivait à récupérer le cuir en plein mouvement et d’une reprise de volet, ajustait son tir admirablement pour le mettre au fond des filets. Sa carrière professionnelle terminée après un court séjour au Racing de Paris puis à Sedan, il revient au pays comme tant d’autres comme entraineur-joueur au sein de la JSM Béjaïa, mais il ne restera pas longtemps. Le Paris Saint-Germain voulait se l’accaparer mais il préféra retourner au Lens football Club.
Son premier match fut à l’âge de 25 ans à Alger, en date du 26 février 1963 contre la Tchécoslovaquie avec comme entraineurs le trio Ibrir, El Kamel et Firoud, cependant il a participé à divers matchs amicaux. Il a porté le maillot national plus de 9 fois et a marqué un seul but en match officiel international. Sa dernière sortie avec les Verts s’est déroulée à Constantine, le 31 mars 1966 contre la formation brésilienne du Vasco de Gama à l’âge de 29 ans.
Oudjani Salah était doué dans les feintes de corps, des dribbles déroutants et déconcertants ainsi que dans les balles brossées. Son habileté et son aisance technique des deux pieds lui permettaient certains trucs qui enthousiasmaient le public. Il se servait de son pied gauche ou de son pied droit avec sensibilité. C’était un avant-centre rapide, adroit et entreprenant qui savait jouer juste et intelligemment. En plus de sa technique, Salah se servait de force de pénétration et de son sens aigu du but pour déséquilibrer les défenses adverses.
Ibrir qui voulait d’un avant-centre aux qualités intrinsèques et doté d’une bonne expérience lui fait appel maintes fois. Son apport était précieux et bien exploité par ses coéquipiers.
Cependant, pour Oudjani Salah, voir son pays colonisé, meurtrie dans sa chair lui a provoqué des blessures à l’âme, il était à l’écoute de la plus petite à la grande injustice du colonisateur pendant les années de feu. Il disait toujours qu’après la pluie viendra le beau temps et c’est pour cela qu’il se disait très honoré d’avoir fait partie de la composante du Onze de l’indépendance qui avait participé au combat libérateur du pays avec comme seul arme un ballon de football, du jamais vu dans les annales de l’histoire, une idée originale et unique que feu Boumezrag et le FLN avaient concocté.
Son fils Oudjani Cherif l’a remplacé au sein du Racing club de Lens, puis à Laval ou il s’est montré très efficace, et comme on dit dans un vieux jargon, «tel père, tel fils», à la différence que Chérif a été champion d’Afrique des Nations dans les années 1990.
Oudjani Salah a toujours été un joueur exemplaire, compétitif sur le plan international ou il apporta assurance et sérénité à ses coéquipiers. Les dernières années lors de la coupe d’Afrique 1990, il se déplaçait souvent avec son fils pour lui donner des conseils et par la force des choses, il était le premier supporter de son fils et des Verts. Oudjani Salah ne fait plus partie de ce monde, mais il est dans les cœurs de chaque Algérien, nous aurions souhaité que les trente-deux joueurs de l’équipe de la liberté puisse porter le nom et prénom de chaque stade d’Algérie à l’image de celui de Chleff qui a été baptisé au nom de Boumezrag.

Kouider Djouab