«Fatima, la fille du fleuve», une BD contre l’oubli

Massacres du 17 octobre 1961

Le bédéiste Abbas Kébir Benyoucef, auteur de la bande dessinée (BD) 17 octobre 1961, 17 bulles : tragédie sur Seine », réalisée en 2011, s’apprête à publier une autre intitulée «Fatima, la fille du fleuve »» en hommage à la martyre Fatima Bedar, à l’occasion de la commémoration du 60ème anniversaire des massacres commis par la police française contre des Algériens sortis dans une manifestation pacifique
à Paris.«A l’instar de la première bande dessinée réalisée en 2011, celle que je m’apprête à faire sortir d’ici à une semaine se veut une œuvre contre l’oubli, visant à mettre en évidence les atrocités commises par l’armée (et les autorités) coloniale(s) contre les Algériens tout au long de sa présence sur le sol algérien», a expliqué le bédéiste.
A la faveur de ce second ouvrage, l’auteur affirme être revenu, encore une fois, sur cette triste soirée du mardi 17 octobre 1961 durant laquelle des milliers d’Algériens, sortis manifester pacifiquement dans les rues de la capitale française contre le couvre-feu raciste qui leur a été imposé, 12 jours plus tôt, par le préfet de police, Maurice Papon en l’occurrence, ont vu s’abattre sur eux une répression d’une barbarie inégalable.
Parqués dans des stades, emmenés dans des sous-sols, affamés, battus et torturés, nombre d’entre eux sont assassinés puis jetés dans la Seine.

Fatima, une héroïne hors-pair
La première BD parue en 2011 était focalisée sur Mouloud, un fonctionnaire algérien assassiné par la police française alors qu’il manifestait pacifiquement avec des milliers de camarades pour réclamer l’indépendance de l’Algérie, mais aussi pour crier leur opposition au couvre-feu, imposé par le préfet de police de Paris. Celle qui sortira ces jours-ci a pour personnage principal Fatima Bedar, une adolescente de 15 ans assassinée lors des massacres du 17 octobre 1961.
«A 15 ans, Fatima Bedar avait deux rêves, voir son pays recouvrer son indépendance, et vivre comme toutes les adolescentes de son âge, épanouie, instruite et libre», a assuré Kébir Benyoucef, observant qu’en bravant l’«interdit» (prendre part à la manifestation), elle a payé de sa personne sa témérité juvénile.
Il a noté que même le visage innocent de Fatima n’a pu avoir grâces aux yeux de ses bourreaux, qui n’ont pas hésité à la jeter dans les eaux froides de la Seine en application des directives d’un préfet de police zélé.
«Restée deux semaines dans les eaux glaciales du fleuve parisien, son corps, en état de décomposition avancée, a été repêché, ses parents n’ont pu l’identifier que grâce à ses nattes singulières, tissées à la manière des jeunes paysannes kabyles», a relevé l’auteur.
Pour cet ancien directeur du Musée Emir Abdelkader de Miliana (Aïn Defla), également archéologue, designer, illustrateur, musicien et auteur de plusieurs livres traitant principalement de l’histoire de l’Algérie, le fait que la mairie de Saint-Denis (Paris) ait baptisé un jardin public au nom de la jeune martyre atteste, en filigrane, de l’atrocité du crime commis et de son caractère abominable.
«Le crime commis sur la personne de la jeune Fatima est d’autant plus déplorable que son père a, durant la Seconde Guerre mondiale, combattu aux côtés du 3e Régiment de tirailleurs algériens», regrette-t-il.

La BD, un médium à encourager pour la pérennisation de l’histoire
Affirmant que la bande dessinée est en mesure d’acquérir le statut de document historique pour témoigner de l’imaginaire collectif de l’époque dans laquelle elle s’inscrit, M. Abbas Kébir a appelé à encourager ce médium au sein de la frange des apprenants.
«L’intérêt de la BD consiste, essentiellement, à éveiller l’imaginaire et la curiosité des jeunes élèves pour l’Histoire, d’où la nécessité d’encourager ce créneau pour la pérennisation de l’histoire de notre pays», a-t-il recommandé, appelant à en tirer les conséquences didactiques pour un autre usage (de la bande dessinée) en cours d’Histoire.
Cet intellectuel de 65 ans a noté que «60 ans après les massacres d’octobre 1961, les combats anticoloniaux et antiracistes sont toujours d’actualité».
Il a soutenu qu’à l’heure de l’internet, le rôle de la BD n’a pas changé d’un iota, d’où, a-t-il fait remarquer, la nécessité d’encourager cette forme d’expression artistique notamment parmi les jeunes.
R.C.