Entre tradition et modernité

La symbolique du coin du feu

Quiconque n’a personne à ses côtés en ces jours de mauvais temps ressent beaucoup ce sentiment de solitude accentué par le froid des intempéries et les revers de la vie. Le coin du feu communément appelé le coin de la cheminée est le symbole de milieu sécurisant, de l’unité familiale, de la joie de vivre.

La cheminée d’antan
Nos aînés en ont gardé de vifs souvenirs. Ils s’en souviennent bien parce que c’est le coin de la maison qui procure non pas seulement une température convenable pour se sentir bien dans sa peau, mais aussi la chaleur familiale.
Jadis, la cheminée était allumée tous les jours de l’année, hiver comme été. A l’exception des temps chauds au cours desquels on y venait pour la cuisson des aliments, la cheminée avait une double fonction en temps de froideur climatique : servir de cuisine et de chauffage pour le jour et la nuit.
Dans tous les pays à longues traditions familiales la cheminée a symbolisé la transmission entre les vieux et les jeunes de tout ce qui est héritage culturel et langagier. On l’a appelée «école du coin du feu» qui connote la sauvegarde des valeurs ancestrales essentielles à la conservation de l’identité. Les vieux étaient là pour enseigner les principes de moralité, les bonnes manières de parler, les affinités du langage, les sentiments. Par exemple, il n’est pas facile de posséder de manière innée l’esprit altruiste, l’amour des parents et tout ce qui est sentiment filial.
Les grands-parents étaient chargés de la transmission, aussi sous peine de le voir se perdre toute la littérature populaire : poèmes anciens, contes, légendes, fables qui véhiculent toute la sagesse populaire. C’est par les histoires de grand-mère et de grand-père qu’on apprend à se forger une personnalité, compte tenu du fait que les éléments du 3e âge dans une famille communiquent leur expérience des relations sociales et du travail, bonne ou mauvaise mais formatrice.

Aujourd’hui, que de changements en mal !
On assiste dans l’indifférence générale à l’éparpillement des familles. Cette dislocation est provoquée par les conditions nouvelles de vie. D’abord, avec la scolarisation, il n’y a plus de jonction entre les générations.
On peut même dire qu’il n’y a plus de respect entre les enfants et leurs parents dans la majorité des familles. Un responsable de l’éducation nous a rapporté que devant un proviseur, un adolescent indiscipliné s’est permis de dire à son père convoqué : «Tais-toi» au moment où celui-ci avait commencé à répondre pour les reproches faits.
C’est du chacun pour soi. Et l’évolution des mentalités est telle que le déphasage de la jeunesse par rapport aux traditions ancestrales fait craindre le pire.
Les intérieurs de maisons sont chauffés au gaz moyennant des appareils que des plombiers viennent installer. Ils dégagent de la chaleur, mon on feint de les ignorer. Quant aux temps des loisirs, ils sont totalement consacrés aux émissions télévisées, sinon à l’Internet, au portable ou à la rue qui expose à toutes sortes de tentations malsaines.
Aujourd’hui, mis à part les filles qui continuent de se soumettre aux principes de bonne conduite et qui ont de meilleurs résultats scolaires, du primaire à l’université, les garçons dans leur écrasante majorité font semblant d’étudier. Trouvez un garçon, dans n’importe quel lieu public, avec un livre à la main ! Lorsque, dans une famille, plusieurs générations cohabitent, les plus vieux rentrent au lit de bonne heure avec le sentiment d’inutilité qui les ronge durement et ils se lèvent tôt pour aller s’asseoir sur les bancs publics pour attendre on ne sait quoi, broyer du noir.
Les jeunes quant à eux veillent et font la grasse matinée, ils ont fort à faire devant les écrans ou dans la rue. Qu’on s’estime heureux s’ils ne deviennent toxicomanes ou agresseurs ! Mais, dans tous les cas de figure, ils gâchent leur vie alors qu’ils sont normalement l’avenir du pays. Lorsqu’on a connu les générations passées, on se rend compte que les jeunes d’aujourd’hui n’apprennent rien sur les coutumes, traditions, langue et rites sociaux qui font l’identité.
Et pour qui a des souvenirs de la cuisine au bois, il n’y a rien de comparable avec l’actualité. Dommage ! L’idéal ne serait pas de rester conservateur, mais de concilier modernisme et traditionalisme pour garder toutes les spécificités du vrai Algérien fier de l’être et jaloux d’un patrimoine prestigieux.
Abed Boumediene