«L’artiste-footballeur»

Hommage à Abdelaziz Bentifour

Abdelaziz Bentifour est né le 27 juillet 1927 à Hussein-Dey, banlieue d’Alger. Dès son jeune âge, il tape dans les ballons de chiffons que les enfants de l’époque confectionnaient pour jouer au football. Après un passage dans les petites catégories de l’Olympic d’Hussein-Dey (OHD), il émigre en Tunisie en compagnie de son frère aîné et signe à l’Espérance Sportive de Tunis.Après une année à l’EST où le talent des frères Bentifour éclot, le club rival de Hammam Lif les enrôle après leur avoir déroulé une généreuse offre. Les Bentifour, comme on les appelle, glanent des coupes de Tunisie consécutivement en 1947 et 1948. Ils sont repérés et supervisés par des recruteurs français qui alimentent un réseau de spécialistes établis en Tunisie.
Abdelaziz Bentifour quitte ce pays voisin pour la France à la fin de l’été 1948 pour s’installer sur la Côte d’Azur en signant à l’OGC Nice.
Il avait un énorme talent fait de dribbles déroutants et doté d’un pied gauche unique dans le Championnat de France de l’époque. Il devient la Coqueluche et la vedette du club niçois avec lequel il remporte le Championnat de France en 1951.
En 1952, il réalise le doublé, Coupe et Championnat, avec l’OGCN et s’illustre notamment en finale de la Coupe de France contre les Girondins de Bordeaux où ses dribbles, sa technique firent merveille. Il marqua un but qui fit lever, pendant un moment d’éternité, le vieux stade de Nice. Après six longues années passées à Nice, il est transféré à Troyes.
Bentifour a fait partie de l’équipe de France en 1954. Il a été retenu pour faire partie du voyage en Suisse dans la composante officielle pour le Championnat du monde avec les meilleurs footballeurs de l’époque à l’image des Raymond Kopa, Jean Vincent, Michel Leblond, Abderahmane Mahjoub, Robert Jonquet et autres pour défendre les couleurs tricolores de la France (l’Algérie était sous colonisation française).
Abdelaziz Bentifour est pour les Algériens le pionnier du football de l’Equipe de la liberté, celle que l’on surnomme le Onze de l’Indépendance. C’est un footballeur à caractère offensif qui a su imposer sa science du jeu et son penchant pour le but adverse là où il est passé. C’est un joueur de football très combattif nourri au mamelon du nationalisme dès ses premières heures avec le Milaha d’Hussein-Dey. Il a su gérer sa carrière professionnelle car ses bons résultats à Nice et son parcours à l’EST ainsi qu’à Troyes le font appeler en équipe de France où il fête sa première sélection le 22 mai 1952 contre la Belgique. Abdelaziz est sélectionné pour la Coupe du monde de 1954 (Suisse). Il joue le second match face au Mexique et offre une passe décisive à Jean Vincent et la France s’impose 3-2. Malheureusement, le nul entre le Brésil et la Yougoslavie met fin aux espoirs de qualification au second tour.
En 1956, Troyes est relégué en Ligue 2 et Abdelaziz Bentifour signe à l’AS Monaco. Ce sera son dernier club européen où il a marque 56 buts en 246 matches en première Ligue puisqu’il quitte la principauté de Monaco pour rejoindre l’équipe du Front de libération nationale en 1958 pour rejoindre Tunis, lieu de ralliement. Abdelaziz Bentifour est le pionnier et l’une des figures les plus importantes de la noble cause.
En 1958, à son arrivée à Tunis, il est accueilli par les officiels du FLN qui ne croyaient pas en l’Equipe, pensant qu’elle serait battue par les grandes sélections du monde, mais des joueurs tels que Abdelaziz Bentifour, Rachid Mekhloufi, Mustapha Zitouni leur prouvent le contraire en battant la Yougoslavie et en tenant en échec la Hongrie et la Tchécoslovaquie.
En l’espace de quatre ans, Abdelaziz Bentifour se verra attribuer le rôle de capitaine d’équipe, puis celui d’entraîneur lors des tournois en extrême Orient et en Europe orientale.
Quand l’Algérie acquiert son indépendance, Abdelaziz Bentifour, contrairement à Rachid Mekhloufi et Oudjani qui retourneront en Europe, lui devient entraîneur-joueur de l’Union sportive médinat Alger (USMA) avec qui il gagne le premier championnat d’Algérie postindépendance en 1962. Il devient, en 1967, sélectionneur adjoint de l’équipe d’Algérie, poste qu’il occupera jusqu’en 1969. Abdelaziz Bentifour a fait partie donc des tricolores de France de 1952 à 1957 et également de l’équipe combattante d’Algérie du FLN de 1958 à 1962.
Jamais un footballeur algérien ne s’était tellement investi pour le bien de la balle ronde algérienne comme l’a si bien fait Abdelaziz Bentifour. C’est un vrai nationaliste, un authentique patriote, un amoureux de son pays.
Au Mondial-54, Abdelaziz Bentifour est du voyage, ce qui fait de lui le premier joueur de football d’origine algérienne à jouer à une phase finale de la Coupe du monde, bien avant Zinedine Zidane.
L’équipe de France conduite par l’entraîneur Pierre Pibarot est constellée d’étoiles tels que Kopa, Vincent, Glovacky, Kaebel, Panverne, Roger Marche mais la grande vedette de cette pléiade est sans conteste Abdelaziz Bentifour. Son nom se répand dans Prude Suisse où il fait l’objet de toutes attentions : reporters, journalistes, photographes sont à l’affût de ses moindres gestes techniques. Blessé à l’entraînement Abdelaziz rate le premier match face à la Yougoslavie, le match se termine par une défaite des Bleus (1-0). Il joue le second match face au Mexique où il fait étalage de sa technique et de son art du dribble. Il offre une passe décisive au Rémois Jean Vincent.
En 1956, il retrouve les Mustapha Zitouni, Abderahmane Boubekeur, Hassan Chabri, Kaddour Bekhloufi, Michel Hidalgo et Raymon Kaebel à Monaco. Bentifour devient la vedette adulée du Prince Rainier qui en fait un ami et le convie à assister à son mariage avec Grace Kelly en 1956.
A trente et un an, le premier mondialiste algérien est au parfum des événements qui se passent dans son pays. Le destin de l’Algérie hameçonne Bentifour qui est contacté par feu Boumezrag pour une mission qui allait bouleverser le monde du football avec toute une génération de footballeurs évoluant dans le Championnat européen : l’Appel de la patrie.
C’est Abdelaziz qui contacte, organise, trace l’itinéraire de la future Equipe du FLN en route vers son destin, le 13 avril 1958. Il répond avec ses frères footeux à l’appel du Front de libération nationale et rejoint la Tunisie via Rome à quelques semaines de la Coupe du monde de 1958 où il était présélectionné avec l’équipe de France. Les crampons de la liberté fouleront d’autres pelouses que celle de la France et de la Navarre et in extension celle de la Suède.
Il est surnommé «l’artiste-footballeur» et comme bon sang ne saurait mentir, Abdelaziz Bentifour était un danseur hors-pair. Bentifour à l’instar des trente deux Ambassadeurs du football algérien représentant le Front de libération nationale ont tous abandonné (carrière, gloire, fortune, vie cossue) pour rejoindre l’appel du pays : jamais au grand jamais un pays n’a eu l’initiative de créer une équipe de football pour le combat libérateur d’une nation alors à quand des stades aux noms de tous les footballeurs de l’indépendance dans toutes les villes d’Algérie.
Kouider Djouab