Une autre gouvernance en Algérie pour éviter les transferts illicites de capitaux

Sécurité nationale et lutte contre la corruption

N’ayant pas attendu les récentes déclarations, comme je le rappelais déjà lors d’audits au niveau de la Cour des comptes entre 1980/1983 et sur Sonatrach entre 1974/1995, et dans des interviews notamment à l’Agence France Presse – AFP – 4 août 2013 et à la Radio France Internationale 6 août 2013 sur «L’Algérie et les transferts illicites de capitaux», il reste beaucoup à faire pour que nos responsables s’adaptent aux arcanes de la nouvelle économie où se dessinent d’importants bouleversements géostratégiques mondiaux, croyant que l’on combat la fuite des capitaux à partir de commissions et de circulaires, ignorant tant les mutations mondiales que la morphologie sociale interne, en perpétuelle évolution.Dans son programme, et récemment en ce mois de novembre 2021, par la voix du ministre de la Justice, le gouvernement dans l’axe de la moralisation de la vie publique s’est engagé, à travers la réforme des services de l’État de poursuivre la lutte contre la corruption, le favoritisme et le népotisme. Pour cela, il prévoit le renforcement du dispositif mis en place pour la gestion des biens saisis, avec l’introduction de mesures particulières pour la gestion des sociétés, objet de poursuites judiciaires, passant par la traçabilité dans la gestion des finances publiques, la révision de la réglementation des changes et des mouvements de capitaux vers l’étranger, et de favoriser le règlement à l’amiable au traitement pénal, que les accords à l’amiable concernent les personnes morales et non les individus mais sans aucune précision de cette délimitation extrêmement difficile. Ne devant pas confondre acte de gestion dont la dépénalisation est nécessaire, et corruption, le contrôle, sur le plan politique passe par la démocratisation de la société. C’est dans ce cadre que le président de la République dans son récent interview à un quotidien allemand a précisé la réhabilitation de la Cour des comptes, consacrée par la Constitution, organe suprême contre la dilapidation des deniers publics, en berne pour des raisons politiques, depuis de longues années, devant jouer non comme rôle de coercition mais de prévention, comme dans tous les pays à Etat de droit, au moyen de recommandations opérationnelles pour les plus hautes autorités du pays. Mais ces déclarations ne sont pas nouvelles.
Dans plusieurs rapports, la Banque d’Algérie faisait état de dizaines de milliards de dinars d’infractions de change (pénalités) constatées par les services des douanes et les officiers de la police judiciaire. Précisons que la gestion des transferts et du contrôle des changes dépend de la Banque d’Algérie, et que le gouverneur de la Banque d’Algérie est directement sous l’autorité du président de la République et non du ministre des Finances. Donc, ces problèmes ne sont pas nouveaux, et ont été déjà soulevés par le passé, puisque les conditions de transfert de capitaux en Algérie pour financer des activités économiques et rapatriement de ces capitaux et de leurs revenus ont été prévus dans le Règlement de la Banque d’Algérie n°90-3 du 8 septembre 1990 (loi sur la monnaie et le crédit) puis par le Règlement n°95-07 du 23 décembre 1995 modifiant et remplaçant le règlement n°92-04 du 22 mars 1992 relatif au contrôle des changes et l’article 10 de l’Ordonnance 96-22 du 9 juillet 1996 relative à la répression des infractions à la législation des changes et des mouvements de capitaux vers l’étranger. Rappelons également que le 11 août 2012, le ministère des Finances, par un tapage médiatique, annonçait un décret exécutif numéro 12/279 portant institution d’un fichier national des fraudeurs ou contrevenants à la réglementation de change et mouvement de capitaux a été publié au Journal officiel. Ce décret exécutif fixait pourtant les modalités d’organisation et de fonctionnement du fichier national des contrevenants en matière d’infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux et vers l’étranger. Devait être instituée auprès du ministère des Finances et de la Banque d’Algérie, une banque de données dans laquelle serait enregistrée toute personne, physique ou morale, résidente ou non-résidente, ayant fait l’objet d’un procès-verbal de constat d’infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux vers l’étranger.
Le Comité national et local des transactions, l’Inspection générale des finances, les directions générales des changes de la Banque d’Algérie, des douanes, des impôts, de la comptabilité, l’agence judiciaire du Trésor, la cellule de traitement du renseignement financier et le ministère du Commerce étaient les structures et institutions qui peuvent accéder au fichier. Qu’en est-il de l’application de toutes ces ordonnances et décrets ?
L’Algérie a été destinataire de plusieurs rapports internationaux concernant la fuite des capitaux qui constitue une atteinte à la sécurité nationale. Ces sommes sont issues de diverses opérations liées à la corruption, l’évasion fiscale et aux opérations délictuelles réalisées en Algérie. Mais ces transferts illicites ne tiennent pas compte des différentes commissions versées à l’étranger par des groupes internationaux en échange de contrats publics ou de surfacturation de produits et services pour les opérateurs privés/publics, ni des sommes transférées légalement par les multinationales implantées en Algérie pour contourner les lois économiques et souvent placées dans des paradis fiscaux ou par l’achat immobilier à travers le monde sous des prêtes noms. Bien que la présomption d’innocence soit reconnue par la Loi, pourtant image désolante de l’Algérie avec tous ces noms d’Algériens, souvent mis en index dans la presse internationale pour malversation ou de biens détenus à l’étranger. Comme conséquence, une véritable crise de confiance entre l’Etat et le citoyen à qui on demande des sacrifices avec l’actuelle rigueur budgétaire. La lutte contre ce fléau qui menace la sécurité nationale passe forcément par plus de moralité, le renouveau du système d’information au temps réel, une coordination sans faille de toutes les institutions de contrôle dont certains dépendent de l’exécutif étant juge et partie, donc non crédibles, un véritable management stratégique lié à un véritable Etat de droit.
Le problème qui se pose pour l’Algérie est donc beaucoup plus profond et interpelle toute la politique socio-économique de l’Algérie et son adaptation au nouveau monde, étant, par ailleurs, liée à bon nombre d’accords internationaux, afin de se prémunir de litiges inutiles et coûteux, tout en préservant ses intérêts propres. Les montants des surfacturations se répercutent normalement sur les prix intérieurs (les taxes des douanes se calculant sur la valeur du dinar au port surfacturé) donc supportés par les consommateurs algériens. Les transferts de devises via les marchandises sont également encouragés par les subventions généralisées mal ciblées, bien que servant de tampon social, source de gaspillage étant à l’origine des fuites des produits hors des frontières que l’on ne combat par des mesures bureaucratiques. D’une manière générale, la gestion administrative (flottement administré) du taux de change du dinar a intensifié les pratiques spéculatives.
Les surfacturations dues à l’utilisation de la distorsion du taux de change entre l’officiel et le marché parallèle est difficile à combattre et ne constitue pas un acte de corruption pour la majorité des ménages algériens, face à une allocation de devises dérisoires, moins de 150 euros se portent demandeur sur le marché parallèle, soit pour se soigner ou acheter face à la restriction des importations des matières premières pour certaines entreprises privées. Comme j’ai eu à le souligner dans maintes contributions depuis des années, malgré l’importance de la dépense publique entre 2000/2021, nous avons assisté à la faiblesse du suivi et de contrôle des projets avec la multiplicité des ministères qui se télescopent alors que s’imposent un grand ministère de l’Economie. Nous assistons à la désorganisation du commerce intérieur et extérieur , avec la dominance de la sphère informelle qui contrôlent des pans entiers de l’économie et entre 6 000 à 10 000 milliards de dollars hors banques, tissant des relations dialectiques avec la logique rentière avec des structures oligopolistiques, quelques centaines de personnes contrôlant une grande partie de cette masse monétaire où tout se traite en cash ont accentué la mauvaise gestion et les surfacturations.
Les assainissements répétés aux entreprises publiques et les réévaluations montrant la non-maîtrise de la gestion des projets où selon les données officielles du Premier ministère (source APS), l’assainissement du secteur public marchand durant les 25 dernières années a coûté au Trésor l’équivalent de 250 milliards de dollars et le coût des réévaluations entre 2005/2020, 8 900 milliards de dinars, environ 66 milliards de dollars dont plus de 80% sont revenus à la case départ. Je réitère la proposition que j’ai faite en 1983 lorsque je dirigeais les départements des études économiques et des contrats, en tant que haut magistrat, premier conseiller à la Cour des comptes, chargé du dossier surestaries, pour la présidence de l’époque, (programme anti-pénurie) d’une structure, chargé d’un tableau de la valeur en temps réel, qui n’a jamais vu le jour car dérangeant les forces rentières.
Les transferts illicites de capitaux ne peuvent se faire sans la complicité extérieure. Les importations de biens et services (rubrique souvent oubliée 10/11 milliards de dollars par an entre 2010/2019 où les délits sont plus faciles) sont évaluées à environ 980 milliards de dollars. Si on applique un taux de surfacturation entre 10 et 15%, les transferts illicites de capitaux se situeraient entre 98 et 147 milliards de dollars, soit entre deux et plus de trois fois les réserves de change estimées à mai 2021 à 44 milliards de dollars. Les transferts illicites de capitaux concernent également la fuite de produit subventionné en dehors des frontières. Concernant les importations, du fait de la distorsion du taux de change, la procédure est simple : vous me facturez 120 alors que le prix réel est de 100, et moins en jouant également sur la qualité et on partage avec la complicité car s’il y a des corrompus, il y a forcément des corrupteurs.
La récupération de ces transferts de capitaux illicites, ayant consulté des experts juridiques au niveau international, c’est presque un exercice difficile, pour ne pas dire une impossibilité.
(A suivre)
Professeur des universités
Abderrahmane Mebtoul