Impérialisme et anti-impérialisme (II)

Afrique

Lors du vingt-cinquième sommet des pays membres de l’Organisation de l’Unité africaine, le 26 juillet 1987, le président du Conseil national révolutionnaire du Burkina Faso dénonce le nouvel asservissement de l’Afrique : «Les origines de la dette remontent aux origines du colonialisme». Ces derniers échappent de peu à l’apocalypse nucléaire rêvée par Mac Arthur, mais ils subissent les effets dévastateurs d’une arme nouvelle : le napalm. Pendant la guerre de Corée (1950-1953), l’US Air Force fait un usage massif de cet explosif incendiaire. « La ville industrielle de Hungnam fut la cible d’une attaque majeure le 31 juillet 1950, au cours de laquelle 500 tonnes de bombes furent lâchées à travers les nuages. Les flammes s’élevèrent jusqu’à une centaine de mètres ». À l’armistice, «l’évaluation des dégâts provoqués par les bombardements révéla que sur les 22 principales villes du pays, 18 avaient été détruites au moins à 50%. Les grandes villes industrielles de Hamhung et de Hungnam avaient été détruites à 85%, Sariwon à 95%, Sinanju à 100%, le port de Chinnamp’o à 80% et Pyongyang à 75%».
Imagine-t-on une guerre qui anéantirait 60 millions d’Américains en les carbonisant avec des bombes incendiaires ? C’est ce que la Corée du Nord a subi entre 1950 et 1953. Utilisant des armes de destruction massive, les généraux du Pentagone ont méthodiquement massacré 3 millions de personnes, soit 20% de la population de ce petit pays qui osait leur résister. Évidemment, de telles broutilles n’entacheront jamais le prestige inégalé dont jouit l’Oncle Sam dans nos contrées. Mais à la lumière de cette histoire, on comprend mieux, en revanche, la hargne anti-impérialiste des Nord-Coréens. Il n’y a pas que le passé, au demeurant, qui incite à relativiser la passion de Washington pour la paix dans le monde. Lorsque les États-Unis jouent la vertu outragée et brandissent l’épouvantail nord-coréen, on finirait presque par oublier qu’ils détiennent 4.018 têtes nucléaires, alors que la République populaire démocratique de Corée en possède une dizaine. Les cinq essais nucléaires nord-coréens ont provoqué des torrents d’indignation en Occident, mais les États-Unis en ont réalisé plus d’un millier. Enfin, ce n’est pas la Corée du Nord qui a pris l’initiative de nucléariser la péninsule, mais les États-Unis en 1958. Lorsqu’on demande ce que viennent faire les porte-avions de l’US Navy ans la région, la propagande répond que la Corée du Nord est un État voyou qui a violé le traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Cette accusation est absurde. Un État souverain est libre de dénoncer un traité international, et Pyongyang a annoncé la couleur en se retirant du TNP. De ce point de vue, sa situation est beaucoup moins scandaleuse que celle d’Israël. Car cet État non signataire du TNP détient 300 têtes nucléaires avec la bénédiction des puissances occidentales, alors qu’il bombarde régulièrement ses voisins et pratique l’épuration ethnique dans des territoires qui ne lui appartiennent pas. Les dirigeants nord-coréens ont beau user d’une rhétorique grandiloquente, ce petit pays de 25 millions d’habitants a conscience des rapports de force. La puissance militaire nord-coréenne représente 2% de celle des États-Unis, et sa seule ambition est de prévenir une agression extérieure dont la perspective n’a rien de fantasmatique. Farouchement attachée à sa souveraineté, fidèle à l’idéologie du «juché» (indépendance) héritée de Kim Il-sung, la Corée du Nord n’agresse personne. Contrairement aux États-Unis dont la doctrine prévoit la possibilité d’une attaque préventive, le programme nucléaire de la Corée du Nord indique à ceux qui voudraient l’attaquer qu’ils s’exposent à des représailles. Décidée à résister à toutes les pressions, la République populaire démocratique de Corée est un «domino» que Washington n’est pas près de faire tomber. Mais s’il est contenu en Asie orientale par la puissance chinoise et l’indépendance nord-coréenne, l’impérialisme contemporain se déchaîne au Proche-Orient. En Syrie, les milliers de vies fauchées par la guerre sont les stigmates du martyr infligé à un peuple qui ne demandait qu’à vivre en paix. Gigantesque tribut payé à une folie orchestrée de l’étranger, qui a vu des mercenaires de 120 nationalités affluer au Pays de Cham pour y instaurer un nouvel « émirat ». Guerre sans pitié, où l’État syrien menacé d’anéantissement s’est battu bec et ongles, défendant l’intégrité territoriale et la souveraineté de la nation. Il fallait être naïf pour ne pas voir, dès le printemps 2011, la duplicité des gouvernements occidentaux versant des larmes sur les victimes de l’armée syrienne tout en absolvant les exactions de la rébellion armée. Difficile d’ignorer, non plus, que les combattants de la nébuleuse insurrectionnelle disposaient d’un soutien financier massif de la part des pétromonarchies du Golfe. Mais si les Occidentaux et leurs alliés régionaux voulaient en découdre avec Damas, ce n’était pas pour faire la promotion des droits de l’homme. C’était pour défendre leurs intérêts au cœur d’une région cruciale pour l’avenir énergétique de la planète. C’était surtout pour garantir la sécurité d’Israël en neutralisant l’un des derniers bastions du nationalisme arabe. Car la Syrie est au centre d’une alliance réunissant les forces qui s’opposent à la domination israélo-américaine dans la région. Elle demeure le seul État arabe debout, refusant de plier devant la puissance occupante. Elle est le pivot d’un arc de la résistance qui va de Damas à Téhéran en passant par le Hezbollah libanais et les mouvements palestiniens. Le drame, mais aussi la fierté de la Syrie, c’est qu’elle est l’enfant terrible du nationalisme arabe, le dernier vestige d’une époque où Nasser et le parti Baath inspiraient la lutte contre l’impérialisme et le sionisme. S’imaginant qu’ils allaient provoquer sa chute à la faveur des «printemps arabes», les dirigeants occidentaux ont ignoré la légitimité dont jouissait le gouvernement syrien. Ils pensaient que l’armée régulière se déliterait sous l’effet de désertions en masse qui n’eurent jamais lieu. Aveuglés par leur lecture orientaliste de la société syrienne, ils la croyaient dominée par la minorité alaouite alors même que les principaux cadres de cet État laïc, le seul du monde arabe, étaient sunnites. Ils faisaient mine de croire à la légende d’un peuple héroïque dressé contre un despote aux abois, alors que la légitimité du président Assad se trouvait confortée, au contraire, par sa détermination à lutter contre les ennemis de la Syrie. Les médias occidentaux ont braqué leurs caméras vers des attroupements de barbus en les faisant passer pour un soulèvement populaire, mais ils ont occulté les immenses rassemblements en faveur du gouvernement et des réformes, à Damas, Alep et Tartous, entre juin et novembre 2011. Il suffisait pourtant d’analyser de tels événements pour mesurer le véritable rapport de forces au sein du pays. Mais la myopie volontaire du regard occidental sur la Syrie a pulvérisé tous les records. L’imagination propagandiste a réduit au silence le simple bon sens, et les atrocités commises par les extrémistes, dès le printemps 2011, n’ont pas passé la rampe d’une couverture médiatique faisant le tri entre les bonnes et les mauvaises victimes. Indice infaillible de son importance stratégique pour Washington et ses séides, la guerre de Syrie aura suscité une avalanche de mensonges sans précédent. La fable grotesque des attaques chimiques attribuées à l’armée syrienne mérite une mention spéciale du jury : elle restera à jamais dans les annales de la désinformation, à côté de la fiole de Colin Powell et des couveuses de Koweit-City. L’écran de fumée d’une «opposition syrienne démocratique» s’étant vite dissipé, il a fallu inventer un cortège d’horreurs imaginaires pour inverser la charge de la preuve. Afin de détourner l’attention de ces coupeurs de tête venus de partout et de nulle part pour exterminer les hérétiques, on s’est mis à accabler l’État syrien. On a alors monté de toutes pièces des accusations invraisemblables dont seule la crédulité d’une opinion occidentale soumise à un intense lavage de cerveau pouvait garantir l’efficacité.
Bruno Guigue
A suivre …