Impérialisme et anti-impérialisme (VI)

Afrique

Lors du vingt-cinquième sommet des pays membres de l’Organisation de l’Unité africaine, le 26 juillet 1987, le président du Conseil national révolutionnaire du Burkina Faso dénonce le nouvel asservissement de l’Afrique : «Les origines de la dette remontent aux origines du colonialisme». Après la course aux armements et la déstabilisation de l’Ukraine, c’est sur le terrain syrien que Washington a entrepris de contrecarrer Moscou. Le projet de déstabilisation du Moyen-Orient remonte en réalité au début des années 2000. Ancien commandant en chef des forces américaines en Europe, le général Wesley Clark a révélé le contenu d’un mémo classifié du Pentagone provenant du bureau du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld : « Il disait que nous allions attaquer et détruire les gouvernements de sept pays en cinq ans : nous allions commencer par l’Irak, puis ensuite nous irions en Syrie, au Liban, en Libye, en Somalie, au Soudan et enfin en Iran. Ils voulaient que nous déstabilisions le Moyen-Orient, pour le retourner sens dessus dessous, afin de le voir finalement tomber sous notre contrôle »3. Cette stratégie secrète a un objectif déterminé : l’éclatement du Moyen-Orient en une myriade d’entités ethno-religieuses rivales et manipulables. Autrement dit, le démembrement des États souverains de la région, surtout s’ils persistent dans leur refus de s’aligner sur l’axe Washington-Tel Aviv. La tentative d’anéantissement de l’État séculier syrien, principal allié arabe de l’URSS, puis de la Russie, est alors le dernier avatar de cette stratégie, dont l’Afghanistan, l’Irak, le Soudan, la Libye et le Yémen ont déjà fait les frais. Afin d’y parvenir, l’impérialisme orchestre une violence généralisée destinée à déstabiliser les États récalcitrants, tout en fournissant le prétexte d’une intervention militaire prétendument vouée à éradiquer le terrorisme. Véritable stratégie du « chaos constructif », qui entretient la terreur tout en faisant semblant de la combattre, Washington tirant profit de la situation sur les deux tableaux : toute avancée du terrorisme justifie la présence armée des États-Unis, et toute défaite infligée au terrorisme se trouve portée au crédit de leur fermeté à l’encontre de ces forces maléfiques. Cet extraordinaire tour de passe-passe a son origine dans l’organisation du « djihad » antisoviétique en Afghanistan dès la fin des années soixante-dix. Issu de l’aristocratie polonaise, le conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski, est obsédé par l’Union soviétique. Il imagine alors la stratégie consistant à déstabiliser la « ceinture verte » (musulmane) bordant le flanc sud de la Russie. A cette fin, il organise le recrutement de djihadistes issus du monde entier afin de créer « un Vietnam soviétique » en Afghanistan. A ses yeux, les djihadistes rebaptisés « combattants de la liberté » constituent des recrues de choix pour une « guerre sainte » contre le communisme athée. Une politique interventionniste qui incite l’URSS à intervenir, à son tour, au profit du gouvernement pro-communiste de Kaboul. Ce faisant, Moscou tombe dans le piège tendu par Washington, et cette erreur lui coûtera très cher. Pour mener à bien la déstabilisation du gouvernement afghan, les stratèges de la CIA s’appuient sur la puissance financière saoudienne, qui arrose les mouvements extrémistes de pétrodollars. Quant à la logistique, elle est assurée par Oussama Ben Laden, dont l’organisation fournit un canal de recrutement de combattants qui affluent du monde musulman. Dès le début des années quatre-vingt, le dispositif terroriste qu’on désignera sous l’appellation d’Al-Qaida est en place, coordonné et sponsorisé par l’axe Washington-Riyad.

De manière significative, la même stratégie impérialiste est employée contre la Chine. Comme la Russie soviétique, puis post-soviétique, le pays du milieu fait l’objet d’une sévère politique de containment qui rallume les feux de la guerre froide. De même que le gouvernement des États-Unis a suscité le « djihad » contre l’Union soviétique en Afghanistan, puis armé ses « proxys » du Moyen-Orient contre la Syrie, il instrumentalise la cause ouïghoure pour déstabiliser la Chine sur son flanc occidental. « Génocide », «camps de concentration», « trafics d’organes » : une propagande hallucinante jette un écran de fumée sur la réalité du Xinjiang. Les détracteurs de la Chine affirment que les Han (90% de la population) sont dominateurs. Mais s’ils avaient voulu dominer les nationalités minoritaires, Pékin ne les aurait pas exemptées de la politique de l’enfant unique infligée à l’ethnie han de 1978 à 2015. Ce traitement de faveur a stimulé l’essor démographique des minorités, et notamment des Ouïghours. Utiliser le langage servant à décoder les pratiques coloniales pour expliquer la situation des nationalités en Chine n’a aucun sens. Depuis Mao, aucune discrimination ne frappe les minorités. Malgré son éloignement et son aridité, le Xinjiang se développe au bénéfice d’une population multiethnique. Le séparatisme ouïghour est une folie que vient redoubler une autre folie : celle du djihadisme planétaire parrainé par Washington depuis quarante ans. Ceux qui soutiennent les séparatistes ouïghours et accusent Pékin de persécuter les musulmans calomnient un pays qui n’a aucun contentieux avec le monde musulman. Ils prennent parti pour des extrémistes affiliés à une organisation criminelle (Al-Qaida) dont la majorité des victimes sont de confession musulmane. Ils croient défendre les musulmans alors qu’ils servent les intérêts de Washington, qui est leur pire ennemi. L’origine des troubles qui agitent cette partie du territoire chinois n’est pas religieuse, mais géopolitique : c’est l’instrumentalisation du religieux par des organisations sectaires qui doivent l’essentiel de leur nocivité à des complicités étrangères.
Mais ce n’est pas tout. Cette Chine accusée d’opprimer ses minorités serait aussi coupable d’impérialisme hors de ses frontières. Avec la nouvelle guerre froide initiée par Washington, accuser la Chine d’être « impérialiste » présente deux avantages discursifs : on lui impute frauduleusement les travers de la politique occidentale, et on retourne contre un grand pays socialiste le tranchant du vocabulaire léniniste et maoïste. Le premier procédé relève de l’inversion maligne, qui consiste à créditer l’adversaire de ses propres turpitudes. Tactique éprouvée du voleur qui crie à l’assassin, par laquelle un Occident capitaliste passé maître dans l’art de violer les règles accuse la Chine de ne pas les respecter. Le deuxième procédé, qui consiste à utiliser contre Pékin le signifiant révolutionnaire d’origine léniniste  « impérialisme », permet d’enrôler sous la bannière de Washington un gauchisme occidental inculte qui dissout ses illusions perdues dans le droit-de-l’hommisme. A l’examen des faits, on mesure toutefois l’extrême faiblesse de l’argumentaire. Si la Chine est « impérialiste », comment se fait-il que 143 pays aient accepté de coopérer avec elle dans le cadre des « Nouvelles Routes de la soie » ? Nul doute que la Chine est une puissance montante dont l’influence économique s’accroît irrésistiblement, mais l’impérialisme est tout autre chose. Ce grand pays qui ne fait aucune guerre depuis quarante ans, visiblement, utilise d’autres moyens pour convaincre ses partenaires de travailler en commun.
(A suivre …)
Bruno Guigue