Face aux nouvelles mutations gazières mondiales, les enjeux géostratégiques du gazoduc Nigeria-Algérie

Energie

Depuis la déclaration du ministre de l’Energie du Nigeria et récemment de l’ambassadeur à Alger, nous assistons à des déclarations sans analyses sérieuses sur le fameux gazoduc Algérie-Nigeria. Pour ne pas renouveler les erreurs du passé de déclarations sans lendemain, il s’agit d’analyser ce dossier très complexe, sans passion devant privilégier uniquement les intérêts de l’Algérie, objet de cette présente contribution.La faisabilité du projet du gazoduc Nigeria-Europe doit tenir compte des nouvelles mutations gazières mondiales pour évaluer sa rentabilité car les lettres d’intention ne sont pas des contrats définitifs. Comme le démontre une importante étude de l’IRIS du 19 août 2021, le gazoduc reliant le Nigeria à l’Europe principal client qui doit se prononcer également sur ce projet, est l’objet d’enjeux géostratégiques importants pour la région. D’où l’importance d’avoir une vision économique froide sans sentiments pour sa rentabilité, surtout en ces moments de graves tensions financières.

1.-Le secteur de l’Energie au Nigeria est marqué par le poids dominant de l’industrie pétrolière et gazière, procurant 75% des recettes du budget national et 95% des revenus d’exportation et les réserves prouvées de gaz naturel sont estimées à 5 300 milliards de mètres cubes gazeux. Les autorités nigériennes doivent éclairer définitivement leurs positions concernant le projet du gazoduc soit l’Algérie ou le Maroc, assistant à des déclarations contradictoires. Le gazoduc Maroc-Nigeria dont le coût est estimé par l’IRIS entre 25/30 milliards de dollars, entre 5 et 10 milliards de dollars de plus que celui passant par l’Algérie avec des avantages des canalisations existantes reliant l’Europe via Transmed via Italie et Medgaz via Espagne, dont la durée de réalisation entre 8/10 ans devrait mesurer environ 5 660 kilomètres de long. Il longerait la côte Ouest Africaine en traversant ainsi 14 pays : Nigeria, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone, les trois Guinée, la Gambie, le Sénégal, la Mauritanie et le Maroc. Ce projet a été annoncé en décembre 2016, lors de la visite d’État du souverain marocain au Nigeria. En Mai 2017, des accords de coopération ont été signés à Rabat pour engager les deux parties à parrainer une étude de faisabilité (terminée en juillet 2018) ainsi qu’une pré-étude des détails (FEED) réalisée au 1er trimestre 2019. Dans la phase de pré-études, il s’agit pour les États traversés et la Cedeao de signer des accords relatifs à sa construction mais aussi de valider les volumes de gaz disponibles pour l’Europe et d’entamer les discussions avec les opérateurs du champ «Tortue» (ressources gazières) au large du Sénégal et de la Mauritanie (ces deux pays ont signé un accord en décembre 2018) afin d’exploiter en commun le champ gazier Tortue-Ahmeyim et approcher des clients européens. Ce projet a pour but de connecter les ressources gazières nigérianes à différents pays africains, existant déjà deux gazoducs dans la zone Afrique du Nord-Ouest, le «West African Gas Pipeline», qui relie le Nigeria au Ghana, en passant par le Bénin et le Togo, et le gazoduc Maghreb-Europe (également nommé «Pedro Duran Farell») qui relie l’Algérie à l’Europe via l’Espagne (Cordoue) en passant par le Détroit de Gibraltar et le Maroc. Concernant le gazoduc Nigeria Algérie de 4 128 km, d’un coût estimé par la commission européenne qui est passé de 5 milliards de dollars au début de l’entente à 19/20 milliards de dollars pour une durée de réalisation minimum 5 années après le début du lancement, d’une capacité annuelle de trente milliards de mètres cubes devant partir de Warri au Nigeria pour aboutir à Hassi R’Mel, en passant par le Niger dont l’idée a germé dans les années 1980, l’accord d’entente ayant été signé le 3 juillet 2009. Le 21 septembre 2021, le ministre nigérian de l’Énergie a déclaré dans une interview accordée à la chaîne de télévision CNBC Arabia en marge de la conférence Gastech que son pays a commencé à mettre en œuvre la construction d’un gazoduc pour transporter du gaz vers l’Algérie. Rappelons qu’actuellement, les exportations de l’Algérie se font grâce au GNL qui permet une souplesse dans les approvisionnements des marchés régionaux pour 30% et par canalisation pour 70%. L’Algérie possède trois canalisations. Le Transmed, la plus grande canalisation d’un looping GO3 qui permet d’augmenter la capacité de 7 milliards de mètres cubes auxquels s’ajouteront aux 26,5 pour les GO1/GO2 permet une capacité de 33,5 milliards de mètres cubes gazeux. Il est d’une longueur de 550 km sur le territoire algérien et 370 km sur le territoire tunisien, vers l’Italie. Nous avons le Medgaz directement vers l’Espagne à partir de Beni Saf au départ d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux qui après extension prévu courant 2021, la capacité sera portée à 10 milliards de mètres cubes gazeux. Nous avons le GME via le Maroc dont l’Algérie a décidé d’abandonner, dont le contrat s’étant achevé le 31 octobre 2021, d’une longueur de 1 300 km, 520 km de tronçon marocain, la capacité initiale étant de 8,5 milliards de mètres cubes ayant été porté en 2005 à 13,5 de milliards de mètres cubes gazeux. Ce projet est stratégique pour l’Algérie selon différents rapports du ministère de l’Energie afin de pouvoir honorer ses engagements internationaux en matière d’exportation de gaz, les réserves de gaz traditionnel pour l’Algérie, pour une population dépassant 44 millions d’habitants (pour le gaz de schiste troisième réservoir mondial 19 800 milliards de mètres cubes gazeux, selon un rapport US), mais pas pour demain pour différentes raisons techniques, financières et politiques, les banque internationales étant de plus en plus réticentes à financer ce genre de projets. Aussi, pour les équilibres financiers avec la forte consommation intérieure et le désinvestissement dans ce secteur quelle politique mener pour pouvoir exporter encore horizon 2030 où la consommation intérieure dépassera les exportations actuelles expliquant la décision récente du président de la République du 21 novembre 2021 d’axer sur les énergies renouvelables pour subvenir à la consommation intérieure où nous assistons à une décroissance de la production et des exportations en volume physique du pétrole/gaz traditionnel. Les réserves de pétrole sont évaluées, selon la déclaration du ministre algérien de l’Energie début 2020 à 10 milliards de barils et entre 2 200 et 2 500 milliards de mètres cubes gazeux pour le gaz traditionnel, la consommation intérieure dépassant les exportations actuelles horion 2030, expliquant d’ailleurs que l’Algérie profite peu des remontées exceptionnelles des prix en 2021 puisque selon le rapport de l’Opep, la production est passée de plus de 1,2-1,5 millions de barils/j entre 2007/2008 à environ 950 000 barils/j, les exportations se situant à environ à 500 000 barils/j et pour le gaz les exportations étaient de 65 milliards de mètres cubes gazeux à seulement 40 dollars le MBTU en 2020, espérant 43/44 pour 2021, du fait de la forte la consommation intérieure, près de 40/50% de la production pour le pétrole et le gaz entre 2019/2020 et devant s’accélérer entre 2021/2030, laissant peu pour les exportations.

2.-La rentabilité du projet Nigeria-Europe, suppose cinq conditions. Premièrement, la mobilisation du financement, alors que les réserves de change sont à un niveau relativement faible au 1er janvier 2021, pour l’Algérie de 48 milliards de dollars pour 44 millions d’habitants, le Maroc 36 milliards de dollars pour 37 millions d’habitants et le Nigeria 33 milliards de dollars pour 210 millions d’habitants. Le Nigeria et l’Algérie traversant une crise de financement, devant impliquer des groupes financiers internationaux, l’Europe principal client et sans son accord et son apport financier il sera difficile, voire impossible de lancer ce projet.
Deuxièmement, l’évolution du prix de cession du gaz car comme le souligne le PDG de Sonatrach, intervenant lors du Forum de la Chaîne I de la Radio nationale, le 12 septembre 2021, a précisé que la faisabilité est liée à l’étude du marché au vu de la baisse du prix du gaz, ce qui pourrait, selon Sonatrach, «influer sur la prise de décision de lancer un tel investissement», d’où la démarche de lancer une étude du marché pour déterminer la demande sur le gaz avant de trancher sur l’opportunité de s’engager dans ce projet. Cette faisabilité implique la détermination du seuil de rentabilité en fonction, du coût et de l’évolution du prix du gaz. Troisièmement, la sécurité et des accords avec certains pays, le projet traverse plusieurs zones alors instables et qui mettent en péril sa fiabilité avec les groupes de militants armés du Delta du Niger qui arrivent à déstabiliser la fourniture et l’approvisionnement en gaz, les conséquences d’une telle action, si elle se reproduit, pourraient être remettre en cause la rentabilité de ce projet. Il faudra impliquer les États traversés où il faudra négocier pour le droit de passage (paiement de royalties) donc évaluer les risques d’ordre économique, politique, juridique et sécuritaire. Quatrièmement, pour la faisabilité du projet Nigal la demande future sera déterminante, la production mondiale de gaz naturel s’étant élevée à 3 890 milliards de m3 (Gm3) en 2020 selon Cedigaz, soit 115 Gm3 de moins qu’en 2019 (-2,9%), environ 22% du Mix énergétique et surtout la demande européenne où sa dépendance pourrait atteindre, près de 70% de la consommation totale d’énergie, soit 70% pour le gaz naturel, 80% pour le charbon et 90% pour le pétrole, selon les estimations de la Commission européenne. Cinquièmement, la concurrence internationale qui influe sur la rentabilité de ce projet. Les réserves avec de bas coûts, sont de 45 000 pour la Russie, 30 000 pour l’Iran et plus de 15 000 pour le Qatar sans compter l’entrée du Mozambique en Afrique (4500 de réserves). Ne pouvant contourner toute la corniche de l’Afrique, outre le coût élevé par rapport à ses concurrents, le fameux gazoduc Sibérie-Chine, le Qatar et l’Iran, proches de l’Asie, avec des contrats avantageux pour la Chine et l’Inde, le gazoduc Israël-Europe en activité vers 2025, les importants gisements de gaz en Méditerranée (20 000 milliards de mètres cubes gazeux) expliquant les tensions entre la Grèce et la Turquie. Et l’Algérie est concurrencée même en Afrique, avec l’entrée en Libye, réserves d’environ 2 000 milliards de mètres cubes non exploitées, et les grands gisements au Mozambique (plus de 4 500 milliards de mètres cubes gazeux), sans compter le Nigeria avec ses GNL. Outre les USA, premier producteur mondial avec le pétrole/gaz de schiste, avec de grands terminaux, ayant déjà commencé à exporter vers l’Europe, nous avons la concurrence en provenance de la mer Caspienne dont gazoduc Trans Adriatic Pipeline (818 km ) concurrent direct de Transmed, qui achemine le gaz à partir de l’Azerbaïdjan qui traverse le nord de la Grèce, l’Albanie et la mer Adriatique avant de rallier, sur 8 km, la plage de Melendugno au sud-est de l’Italie, opérationnel pouvant transférer l’équivalent de 10 milliards de mètres cubes par an. Mais le plus grand concurrent de l’Algérie sera la Russie, avec des coûts bas où la capacité du South Stream de 63 milliards de mètres cubes gazeux, du North Stream1 de 55 et du North Stream2 de 55 milliards de mètres cubes gazeux, soit au total 173 milliards de mètres cubes gazeux en direction de l’Europe (Conférence/débats du Pr Abderrahmane Mebtoul, à l’invitation de la Fondation allemande Friedrich Ebert et de l’Union européenne 31 mars 2021). Ne pouvant contourner toute la corniche de l’Afrique, outre le coût élevé par rapport à ses concurrents, le fameux gazoduc Sibérie Chine, le Qatar et l’Iran proche de l’Asie avec des contrats avantageux pour la Chine et l’Inde, le marché naturel de l’Algérie, en termes de rentabilité, étant l’Europe où la part de marché de l’Algérie face à de nombreux concurrents, en Europe est en baisse où selon le site «Usine Nouvelle», la Russie fournit 36% du gaz importé par l’Europe, la Norvège (23%), les autres fournisseurs de GNL (10%) et l’Algérie environ 8%.
(A suivre)
rofesseur des universités
Expert international
Abderrahmane Mebtoul