Permettra-t-elle de redynamiser l’économie nationale sans une autre gouvernance ?

La rencontre les 4 et 5 décembre 2021 sur la politique industrielle

Le ministère de l’Industrie organise une conférence nationale sur la relance industrielle du 4 au 6 décembre 2021 au Centre international des conférences (Alger), sous le thème «Ensemble pour relever le défi». Si je comptabilise les neuf rencontres avec différents gouvernements depuis 1995, avec la rencontre programmée le 4 décembre 2021 c’est la 10e rencontre sur la stratégie industrielle, sans compter des centaines de séminaires organisés tant par les universités que certaines institutions étatiques.Outre le fameux modèle économique de sortie de crise, ayant réuni le gouvernement dans le cadre de la Tripartite le 5 juin 2016, les thématiques annoncées sont presque identiques à la conférence qu’avait organisée le ministère de l’Industrie le 4 décembre 2012, propositions lors des ateliers qui n’ont jamais vu le jour, comme d’ailleurs les différents codes d’investissement. Or, en ce mois de décembre 2021 les recettes en devises l’Algérie avec plus 2 milliards de dollars en 2020 (rapport officiel de Sonatrach) et environ de 2,5 milliards de dollars pour 2021 de dérivées d’hydrocarbures représentent entre 97/98% des recettes en devises. Ci-joint, l’intégralité sans aucune modification, afin que le lecteur puisse juger, devant le Premier ministre, les membres du gouvernement, les organisations syndicales et patronales – à Alger Club des Pins le 4 novembre 2014 sur le thème face à la baisse du cours des hydrocarbures pour une nouvelle politique industrielle». Cette intervention faisait suite au débat à Radio France Internationale RFI, le 12 novembre 2012, Paris, que j’ai tenu avec le Pr Antoine HALFF de Harvard, économiste en chef du gouvernement Barak Obama et qui était directeur de la prospective à l’AIE .

1.- L’Algérie a besoin d’une autre vision évitant ces slogans dépassés que le moteur du développement quand le bâtiment va tout va ou les matières premières, les industries mécaniques classiques, dont celle des voitures en grande partie des montages de très faibles capacités, fortement capitalistiques où l’Algérie supporte tous les surcoûts avec la règle des 49/51% dont la révision s’impose. Sans une réorientation de la politique économique, se fondant sur la bonne gouvernance et la valorisation de la connaissance, l’Algérie risque de se retrouver dans une impasse horizon 2020 avec le risque de l’épuisement des réserves de change où les opérateurs étrangers, ne pouvant être payés, risquent de nous abandonner à notre propre sort. C’est que l’émergence d’une économie et d’une société mondialisée produit du développement du capitalisme, processus non encore achevé, et la fin de la guerre froide depuis la désintégration de l’empire soviétique, remettent en cause d’une part la capacité des Etats-nations à faire face à ces bouleversements et d’autre part les institutions internationales héritées de l’après-guerre. Ce n’est plus le temps où la richesse d’une Nation s’identifie aux grandes firmes des Nations, les grandes firmes ayant été calquées sur l’organisation militaire et ayant été décrites dans les mêmes termes : chaîne de commandement, classification des emplois, portée du contrôle avec leurs chefs, procédures opératoires et standards pour guider tous les dossiers. Tous les emplois étaient définis à l’avance par des règles et des responsabilités pré-établies. Comme dans la hiérarchie militaire les organigrammes déterminent les hiérarchies internes et une grande importance était accordée à la permanence du contrôle, la discipline et l’obéissance. Cette rigueur était indispensable afin de mettre en œuvre les plans avec exactitude pour bénéficier des économies d’échelle dans la production de masse et pour assurer un contrôle strict des prix sur le marché. Comme dans le fonctionnement de l’armée, la planification stratégique demandait une décision sur l’endroit où vous voulez aller, un suivi par un plan pour mobiliser les ressources et les troupes pour y arriver. A l’ère mécanique totalement dépassée, la production était guidée par des objectifs préétablis et les ventes par des quotas déterminés à l’avance. Les innovations n’étaient pas introduites par petits progrès, mais par des sauts technologiques du fait de la rigidité de l’organisation. Au sommet de vastes bureaucraties occupaient le rectangle de l’organigramme, au milieu des cadres moyens et en bas les ouvriers. L’enseignement, du primaire au supérieur en passant par le secondaire, n’était que le reflet de ce processus, les ordres étant transmis par la hiérarchie, les écoles et universités de grandes tailles pour favoriser également les économies d’échelle.

.2.-Actuellement une nouvelle organisation est en train de s’opérer montrant les limites de l’ancienne organisation avec l’émergence d’une dynamique nouvelle des secteurs afin de s’adapter à la nouvelle configuration mondiale. Nous assistons au passage successif de l’organisation dite tayloriste marquée par une intégration poussée, à l’organisation divisionnelle, puis matricielle qui sont des organisations intermédiaires et enfin à l’organisation récente en réseaux où la firme concentre son management stratégique sur trois segments : la recherche développement (cœur de la valeur ajoutée), le marketing et la communication et sous traite l’ensemble des autres composants. Et ce avec des organisations de plus en plus oligopolistiques, quelques firmes contrôlant la production, la finance et la commercialisation tissant des réseaux comme une toile d’araignée. Les firmes ne sont plus nationales, même celles dites petites et moyennes entreprises reliées par des réseaux de sous traitants aux grandes. Les firmes prospères sont passées de la production de masse à la production personnalisée (Pr Reich ex secrétaire d’Etat US). Ainsi, les grandes firmes n’exportent plus seulement leurs produits mais leur méthode de marketing, leur savoir-faire sous formes d’usines, de points de vente et de publicité. Parallèlement à mesure de l’insertion dans la division internationale du travail, la manipulation de symboles dans les domaines juridiques et financiers s’accroît proportionnellement à cette production personnalisée. Indépendamment du classement officiel de l’emploi, la position compétitive réelle dans l’économie mondiale dépend de la fonction que l’on exerce. Au fur et à mesure que les coûts de transport baissent, les produits standards et de l’information qui les concernent, la marge de profit sur la production se rétrécit en raison de l’absence de barrières à l’entrée. En ce XXIe siècle, la production standardisée se dirige inéluctablement là où le travail, moins cher, le plus accessible et surtout bien formé.
La qualification devient un facteur déterminant. L’éclatement des vieilles bureaucraties industrielles en réseaux mondiaux leur a fait perdre leur pouvoir de négociation expliquant également la crise de l’Etat providence (avec le surendettement des Etats) et de l’ancien modèle social démocrate qui se trouve confronté à la dure réalité de la gestion gouvernementale. Ce qui explique que certains pays du Tiers Monde qui tirent la locomotive de l’économie mondiale se spécialisent de plus en plus dans ces segments nouveaux, préfigurant horizon 2020/2030 de profonds bouleversements géostratégiques dont un nouveau modèle de consommation énergétique reposant sur un MIX énergétique devant éviter l’erreur stratégique de l’actuel ministère de l’énergie algérien de raisonner sur un modèle de consommation libertaire. Il s’ensuivra inévitablement une recomposition du pouvoir économique mondial avec la percée de la Chine, de l’Inde, du Brésil, de la Russie et de certains pays émergents expliquant le passage d’ailleurs du G8 au 20 dans les grandes réunions économiques internationales. L’essoufflement actuel de certains pays émergents à travers les nouvelles stratégiques mondiales tant dans le domaine de la sphère réelle que monétaire n’est que le reflet de cette recomposition.

3-Les emplois dans la production courante tendent à disparaître comme les agents de maîtrise et d’encadrement impliquant une mobilité des travailleurs, la généralisation de l’emploi temporaire, et donc une flexibilité permanente du marché du travail avec des recyclages de formation permanents étant appelés à l’avenir à changer plusieurs fois d’emplois dans notre vie. Ainsi, apparaissent en force d’autres emplois dont la percée des producteurs de symboles dont la valeur conceptuelle est plus élevée par rapport à la valeur ajoutée tirée des économies d’échelle classiques, remettant en cause les anciennes théories et politiques économiques héritées de l’époque de l’ère mécanique comme l’ancienne politique des industries industrialisantes calquée sur le modèle de l’ancien empire soviétique alors que le XXIe siècle est caractérisée par la dynamisme des grandes firmes mais surtout les PMI/PME consacrant un budget à la recherche développement, reliés en réseaux à ces grandes firmes. Les expériences allemandes et japonaises, chacune tenant compte de son anthropologie culturelle, est intéressante à étudier, se fondant sur un partenariat, grandes firmes/PME/PME. Avec la prédominance des services qui ont un caractère de plus en plus marchand contribuant à l’accroissement de la valeur ajoutée, la firme se transforme en réseau mondial, étant impossible de distinguer les individus concernés par leurs activités, qui deviennent un groupe diffus, répartis dans ce village mondial, dominé par des réseaux croisés consommateurs/producteurs, transformant le système d’organisation à tous les niveaux, politique, économique et social.

4.- Dans le cadre de la politique industrielle, j’attire l’attention du gouvernement sur l’impasse que pourrait conduire le montage des voitures, afin d’éviter des pertes pour le pays qui se pourraient se chiffrer en dizaines de milliards de dollars, sans une vision stratégique tenant compte des nouvelles mutations mondiales de cette filière, un cahier de charges précis, d’établir le taux d’intégration progressif fonction des avantages financiers et fiscaux accordés, la balance devises, et que du fait des nouvelles technologies (tours numériques), ces unités requièrent un niveau de qualification élevé et étaient peu créatrices d’emplois. Je constate que la majorité des constructeurs proposent des unités à fables capacités (donc des coûts croissants) reposant sur le technologies des années 2000, il serait impossible de pénétrer le marché international en pleine mutation et si toutes ces unités se réalisaient avec le faible taux d’intégration, les sorties de devises horizon se chiffrerait à plus de 5/6 milliards de dollars /an. Les contraintes internationales sont là et face aux mutations mondiales, la filière automobile connaît des restructurations, des fusions et des délocalisations des grands groupes, avec des capacités de production élevées.
Le marché mondial de voitures en perpétuel mutation est un marché oligopolistique où quelques firmes contrôlent les circuits internationaux. Il semble bien que certains responsables algériens oublient que la mondialisation est bien là avec des incidences politiques et économiques, voulant perpétuer un modèle de politique industrielle dépassé des années 1970 qui ne peut que conduire le pays à une grande dépendance et à l’endettement à terme. Selon une vision cohérente de la politique industrielle tenant compte de la forte concurrence internationale et des nouvelles mutations technologiques dans ce domaine, ne fallait-il pas par commencer de sélectionner deux ou trois constructeurs algériens avec un partenariat étranger gagnant/gagnant maîtrisant les circuits internationaux avec un cahier de charges précis leur donnant des avantages fiscaux et financiers en fonctions de leur capacité.
(A suivre)
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul