Vivian Maier : une vie au fil de la pellicule

Photographie

Vivian Maier allait bientôt mourir quand son travail sortait d’un entrepôt où il dormait depuis des décennies.Depuis, les milliers de clichés pris par l’étonnante femme ne cessent de surprendre et fasciner les amateurs de photographie de rue qui voient en Vivian Maier une précurseuse. Anne Marks a obtenu un accès privilégié et unique aux archives de la photographe pour rédiger son enquête sur une femme libre. En grattant la surface des clichés d’une vie, Vivian Maier se révèle.
Assise sur un banc à Chicago, Vivian Maier n’a plus que quelques jours à vivre quand l’ensemble de ses photos, entreposées dans un espace de stockage non loin de là, se retrouve vendu au plus offrant – elle a omis de renouveler les paiements pour son box. Au crépuscule de sa vie, a-t-elle pour autant oublié ses regards portés, armée de son Rolleiflex, sur le monde qui l’entoure ?
L’histoire de l’œuvre de Vivian Maier est symptomatique d’une époque, de la mise à jour d’une vie unique en son genre. John Maloof, l’heureux acquéreur, lors de cette vente aux enchères ne savait pas ce qu’il y avait dans les cartons.
Développant une des nombreuses pellicules, il publie sur un blog spécialisé quelques clichés qui lui plaisent. Instantanément, ils sont reconnus comme excellents, voire dignes des meilleurs photographes et le reflet précis d’une époque. Des photographies de Vivian Maier, on en dénombre environ 140 000 ! C’est vers cette montagne qu’Anne Marks s’est aventurée pour décrire en chemin les méandres photographiques de la vie de Vivian Maier, née à New York et Française de cœur. «J’ai regardé le documentaire Finding Vivian Maier à propos de cette étonnante gouvernante photographe et j’ai été captivée, alors j’ai fait mes propres recherches.» Anne Marks, de passage à Paris pour présenter son livre Vivian Maier révélée, publié aux éditions Delpire, explique : «J’y travaille depuis sept années et j’ai consacré deux ans à son écriture.»

« J’ai été la seule à avoir accès à ses archives, plus de 140 000 photographies ! »
Pourquoi ? « J’ai voulu rétablir certaines vérités sur la vie de Vivian Maier que beaucoup ont fantasmée, trop souvent d’une façon négative qui dépréciait son travail. C’est devenu mon objectif. J’ai appris beaucoup de choses surprenantes, comme le fait que Vivian voulait vraiment être photographe. Personne ne connaissait ces cinq années passées à New York. J’ai été la seule à avoir accès à ses archives, plus de 140 000 photographies ! Elle travaillait tous les genres. Elle était aussi engagée dans la communauté des photographes. Mais quand elle est arrivée à Chicago, quelque chose a changé. »

Vivian Maier dans les reflets des miroirs de la vie qu’elle traverse
Au fil des négatifs de Vivian Maier, Anne Marks a pu reconstruire la vie d’une femme aux réflexes et coups d’œil remarquables. Étonnant travail que celui d’observer une vie « en sens inverse » sans la protagoniste qui s’est toujours cachée derrière son Rolleiflex, s’affichant parfois sur la pellicule lors de délicats autoportraits. Loin de l’égoïste et vain selfie, Vivian Maier se révèle dans les reflets des miroirs de la vie qu’elle traverse, tout autant surprise qu’amusée. Cette soudaine vérité capturée dans sa boite noire expose également une femme en doutes avec ses troubles mentaux.

« Ne nous trompons pas : Vivian Maier était indépendante, heureuse et constamment curieuse »
Anne Marks n’a pas esquivé le malaise qui réside dans cette abondance de photographies : « Vivian, son enfance… Oui, il apparaît qu’elle a eu une enfance dramatique, qui l’a définitivement endommagée. Elle stockait les choses, les journaux, plutôt que d’avoir des relations sociales. Elle collectionnait, possédait les moments de sa vie par le biais de ses photographies. Cette maladie – la syllogomanie – est progressive. Au fur et à mesure, le mal s’est aggravé en elle. Mais ne nous trompons pas : Vivian Maier était indépendante, heureuse et constamment curieuse. Elle allait au cinéma, sortait… » La photographie, mettre en boîte le monde qui nous entoure, n’a-t-elle pas été son remède ?

« Il y a 450 photos dans mon livre, dont le sens est profond, pas juste esthétique »
La découverte d’une archive inédite a bouleversé le travail d’Anne Marks : «Au début je pensais avoir peur de Vivian, elle est décrite comme robuste, femme d’opinion et aussi «dérangée». Ma façon de penser a changé quand j’ai trouvé des enregistrements de sa voix. Plus de 10 heures d’enregistrement ! Des interviews qu’elle menait comme une journaliste. Elle voulait savoir ce que les gens pensent et aussi capter ses interactions avec les enfants. C’est touchant et elle est si drôle, avec tellement d’esprit, et particulièrement informée. Cela m’a donné envie de passer encore plus de temps avec elle.» L’histoire que raconte Ann Marks est loin de celle d’une femme impétueuse, une douceur naturelle émane de Vivian Maier : « Dans mon livre, il y a 450 photos pleines de sens, pas juste esthétiques. »
Photographies, sons, films… Anne Marks a aussi retrouvé des vêtements dans les cartons de Vivian Maier : « Là encore, j’ai eu de la chance en découvrant ses vêtements. Car elle a été décrite comme s’habillant mal, mais c’est faux ! Elle portait des vêtements de designers, de grandes marques et avec beaucoup de goût. Même ces chapeaux sont couture ! Une de ces anciennes amies qui a 80 ans maintenant, m’a tout raconté de sa façon d’être avec un luxe de détails. C’est merveilleux ! » Un style, une garde-robe, des intentions, mais aussi une dissimulation. Être autre ; effacer l’avant, le trauma.

Rien ne l’arrête armée de son Rolleiflex
«Elle avait 78 ans quand elle est morte. Elle avait cessé de faire des photos et ne parlait plus qu’en français. Elle a eu une très belle vie pour une femme de son époque ! Riche ! Comme peu de femmes ont vécu.» Pétrie d’humour et en marge, est-elle comme ses photos dont émane une juste critique sociale avant l’heure. Anne Marks dans son livre dévoile la vie d’une femme engagée, féministe, du côté des plus faibles, des délaissés, et déterminée à regarder vers l’avant constamment. Sans doute grâce aux joies partagées avec les enfants qu’elle gardait, a-t-elle pu oublier la sienne d’enfance, rude, voire abusive. Son regard malicieux semble défier constamment l’autorité. Rien ne l’arrête armée de son Rolleiflex. Ni les policiers, ni les barrières glamour du show-business ou les coups durs de la vie de tous les jours. Une évidente liberté se dégage des clichés vitaux pris par Vivian Maier. Une liberté contagieuse.
T. B.