Les leçons à tirer de la montée de l’extrême-droite (I)

Politique

«Lorsque j’ai vu les résultats du sondage qui montre que l’extrême-droite (FN et Zemmour) détient 33% des voix, je me suis souvenu de la thématique du déclin des civilisations. Après avoir lu la plupart des livres sur ce sujet, j’ai développé une approche qui me semble tenir compte d’une causalité principale au déclin des civilisations qui tourne autour de la lutte entre deux groupes civilisationnels : un groupe d’éclairés, de progressistes, de scientifiques, de philosophes et un groupe de réactionnaires, culturalistes, essentialistes, nationalistes et idéologues».

Le premier groupe est le moteur d’une civilisation alors que le second tue la civilisation à petit feu jusqu’à son anéantissement. L’extrême-droite représente le nec plus ultra du groupe idéologique réactionnaire. Il y a eu d’autres types de groupes culturalistes dans l’histoire qu’ils soient religieux ou idéologiques et qui ont été responsables de la mort des civilisations. Par conséquent, la civilisation meurt de l’intérieur mais cette mort n’a pas été provoquée comme le dit Michel Onfray par la perte de la mémoire et des références historiques. C’est plutôt la lutte à mort que se livrent les deux groupes de la civilisation et c’est l’issue finale de cette lutte qui détermine si celle-ci va survivre ou au contraire décliner et mourir. L’extrême-droite est un groupe réactionnaire qui va certainement mettre à mort la civilisation française s’il parvient au pouvoir comme le nazisme a failli faire périr la civilisation allemande durant la seconde guerre mondiale, si ce n’est la victoire des alliés, l’occupation de l’Allemagne puis sa relève réalisée grâce aux Américains dans un dessein géostratégique pour faire face aux soviétiques. Ceci est la principale leçon à tirer de l’histoire des civilisations. Toutefois, il y a un réel paradoxe : lorsque le groupe nationaliste réactionnaire en France réclame la défense de la civilisation française comme le fait sans cesse le polémiste Zemmour, il a sa propre définition de la civilisation qui est souvent dépeinte comme mono-culturelle avec une vision de grandeur qui est un mythe qui fédère les membres de ce groupe d’extrême-droite (qui devient le groupe destructeur de la civilisation). Or, en réalité, la civilisation n’existe en fait qu’à travers l’action de ces deux groupes rivaux : le groupe culturaliste réactionnaire (parce qu’il se réfère au passé prétendument glorieux) et le groupe progressiste (tourné vers l’avenir et le progrès). Ce dernier ne définit pas la civilisation et il est la civilisation elle-même alors que le second groupe réactionnaire cherche désespérément à définir la civilisation parce qu’il n’est pas la civilisation. Il est la mort de la civilisation. A cet égard, Onfrey se trompe lorsqu’il considère le post-modernisme comme une menace à la civilisation. Le post-modernisme est le fruit du travail du groupe moderniste et progressiste. Il y a peut-être des erreurs dans ce processus mais celui-ci est sans limites et il est généralement bienfaiteur pour l’humanité. En revanche, la plus grande menace à la civilisation n’est autre que le groupe culturaliste réactionnaire comme l’extrême-droite.

Les mythes et l’illusion sur la civilisation
Les groupes culturalistes et idéologiques (dans le cas de la France, c’est l’extrême-droite)définit la civilisation comme suit : c’est un peuple ou un ensemble de peuples (ou de tribus) unis par une culture et une religion unique peu importe le développement de leurs moyens matériels ou de leurs monuments. Une civilisation possède une culture qui ne disparaît pas facilement à l’issue d’invasions ou de cataclysmes. Par exemple, les civilisations persane et chinoise ont absorbé leurs envahisseurs mongols et turcs et peuvent donc être considérées comme de grandes civilisations. Zemmour a, par exemple, affirmé que l’acte fondateur de l’histoire n’est pas la révolution française mais la bataille de Poitiers, c’est-à-dire une opposition à l’Islam. D’ailleurs, une civilisation peut être multi-ethnique mais elle ne doit avoir qu’une seule culture. Les anciennes civilisations étaient caractérisées par des cultures bien identifiées, homogènes comme la civilisation grecque ou la civilisation égyptienne. Mais tout cela, ne suffit pas à définir une civilisation : celle-ci doit posséder encore une vision du monde universelle. C’est cela qui différencie une civilisation est une culture primitive. Les membres d’une civilisation se considèrent comme le «centre du monde». Les grecs avaient une vision du monde propre à eux et se voyaient comme différents des autres peuples. Les autres peuples étaient appelés des barbares. Les romains ont fait de même et ont adopté la même vision que celle des grecs. La civilisation romaine aurait disparue (mais son déclin a commencé bien avant) à partir du moment où la citoyenneté romaine à été donnée à tous les peuples de l’empire, y compris à ceux que les romains ont appelé jadis les « barbares ». Sur ce registre, Zemmour affirme que si les musulmans ne sont pas assimilés à la culture française s’est fini de la civilisation française. Il est juste d’appeler ce message universel ou cette culture dominante, un mythe.
C’est en fait un élément culturel qui crée un sentiment unique de grandeur et de prestige chez les membres de la civilisation concernée. Lorsque cet élément disparait, les membres de la civilisation perdent leurs références. Mais ceci n’est pas la cause de son déclin. Celui-ci commence à surgir lorsque la sphère scientifique, technique, philosophique, rationaliste, cosmopolite et universaliste commence à s’affaiblir jusqu’à disparaître.
C’est là qu’intervient notre nouvelle approche. Celle-ci traite de la survie des civilisations à l’intérieur même de ces civilisations. Cette approche explique comment les civilisations commencent à perdre l’élan de la grandeur et le développement des sciences et des techniques à partir du moment où un « groupe culturel dominant » qu’il soit mythologique, nationaliste ou idéologique commence à prendre le haut du pavé et à monopoliser la vision du monde. N’imaginons pas qu’il est facile pour des scientifiques de combattre un tel système ni au nom du scientisme, ni au nom de la logique et surtout pas au nom du rationalisme. Il suffit de regarder ce qui se passe aujourd’hui en France : des millions de gens sont attirés par une idéologie d’extrême-droite sans s’interroger si ses allégations sont véridiques et rationnelles. Le polémiste Zemmour acclamé par de nombreux supporters dit souvent des choses qui sont fausses sur le plan scientifique. Mais peu importe. Les gens sont attirés par un aimant idéologique qui excite leur curiosité, leur culture, leur désir d’exister et de s’exprimer. Or, cette idéologie est loin d’être rationnelle et occulte les véritables causes des problèmes vécus par les français. C’est ce qui s’est passé avec Hitler par le passé. Les allemands ont été attirés par les discours enflammés de ce dictateur sans s’interroger sur la rationalité de ses propos. Rendre les juifs responsables des problèmes quotidiens de l’Allemagne d’après-guerre et de sa défaite durant la première guerre mondiale comme il a affirmé est dénué de vérité scientifique et de rationalité.La fuite des penseurs allemands d’origine juive et des démocrates a affaibli l’Allemagne avant même le début de la guerre en 1939. Pourtant les Allemands ont marché avec cette idéologie. Il se passe la même chose avec ce polémiste français. Il accuse les musulmans d’être responsables des déboires des français et de leur malaise.

Quelle similitude ?
Notre théorie est donc juste. Le groupe réactionnaire (extrême droite dans le cas de la France) va certainement nuire à la civilisation française parce que les musulmans vont se retrouver dans la défensive et les acteurs éclairés (philosophes et scientifiques) vont quitter la France.
Ensuite, en voulant rétablir la puissance française, l’extrême-droite va faire face à une opposition économique et politique des démocraties.
Puis le déclin va commencer jusqu’à anéantir la civilisation française.

Recours à la philosophie de l’histoire : justification de notre approche
Chaque historien développe une vision qui lui est propre sur le déclin de la civilisation. Mais il est très difficile de « falsifier » de telles approches. Nous avons besoin plutôt d’une théorie qui est basée sur la philosophie de l’histoire dans le sens où elle nous permet de comprendre la genèse et le déclin de n’importe quelle civilisation et pas seulement d’une civilisation particulière. Des civilisations ont émergé et sont mortes. De nouvelles civilisations sont nées et ont survécu.
Il faudrait donc une théorie qui explique ces processus indépendamment de tout déterminisme. Une civilisation peut survivre et peut mourir et elle n’est pas condamnée à mourir. Il se passe des choses qui expliquent le déclin d’une civilisation qui auraient pu être évitées. C’est pour cette raison qu’Arnold Toynbee parle de suicide de la civilisation.
Celle-ci choisit de mourir. A partir de ce constat objectif et logique, il faudrait avoir une théorie qui explique pourquoi une civilisation meurt en sachant que cette mort est provoquée par un processus qui n’est pas inévitable, fataliste et déterministe. Arnold Toynbee possède une telle théorie. Il explique la naissance d’une civilisation par des défis et des réponses qui deviennent créatives.
La civilisation, selon Toynbee, dépend de la créativité d’une minorité qui réussit à mobiliser un prolétariat non créatif. Mais ce succès se retourne contre cette minorité qui a pris le leadership lorsque sa créativité décline.
L’échec de la créativité est provoqué par une démoralisation spirituelle et là Toynbee fait vaguement référence à la religion.
C’est alors qu’un processus de désintégration commence. Les masses du prolétariat se démarquent des leaders de la minorité et ces derniers tentent de maintenir leur position en usant de la force au lieu de l’attractivité créative.
Une désintégration de la civilisation concerne trois groupes : une minorité dominante, un prolétariat interne et un prolétariat externe représentant les barbares qui guettent aux frontières.
Cette désintégration donne libre court à des tendances sociales et à des divisions spirituelles difficiles à prévoir et à expliquer.
Lors de ce processus de désintégration, la minorité dominante va créer un état universel impérial qui va unifier tous les territoires appartenant à une civilisation donnée.
Mais lorsque Toynbee aborde la religion sous l’intitulé « église universelle », il la dissocie de la civilisation en la considérant comme une société à part entière distincte de la civilisation et dont le rôle très spirituel mais aussi très métaphysique est de définir une relation directe et personnelle entre l’individu et une réalité transcendantale.
Toynbee reconnaît cependant que la religion peut être institutionalisée sous la forme d’un groupe rigide et intolérant.
Toynbee termine son investigation en rappelant que les civilisations qui sont dans un stade avancé de désintégration sont menacées par les barbares aux frontières de l’état universel crée par la minorité dominante.
Ces barbares finissent par envahir ces civilisations déclinantes.
Toutefois, lorsque Toynbee parle de la mort des civilisations, le processus mis en lumière est très complexe, très idéologique et ne reflète pas de manière claire le déroulement d’une chaîne causale.
(A suivre)
Rafik Hiahemzizou