Quelle politique industrielle face au nouveau pouvoir économique mondial ?

Économie

Le ministère de l’Industrie organise une conférence nationale sur la relance industrielle du 4 au 6 décembre 2021 au Centre international des conférences (Alger), sous le thème «Ensemble pour relever le défi» Si je comptabilise les neuf rencontres avec différents gouvernements depuis 1995, avec la rencontre programmée le 4 décembre 2021, c’est la 10e rencontre sur la stratégie industrielle, sans compter des centaines de séminaires organisés tant par les universités que certaines institutions étatiques. Outre le fameux modèle économique de sortie de crise, ayant réuni le gouvernement dans le cadre de la tripartite le 5 juin 2016, les thématiques annoncées sont presque identiques à la conférence qu’avait organisée le ministère de l’Industrie le 4 décembre 2012, propositions lors des ateliers qui n’ont jamais vu le jour, comme d’ailleurs les différents codes d’investissement. Dans ce cadre ci- jointe une synthèse réactualisée, toujours d’actualité, de ma conférence devant le Premier ministre, les membres du gouvernement, les walis, les organisations syndicales et patronales – à Alger Club des Pins le 4 novembre 2012 , dont d’ailleurs a assisté le président de la République M. Abdelmadjid Tebboune alors ministre de l’Habitat sur le thème «Face à la baisse du cours des hydrocarbures pour une nouvelle politique industrielle». Cette intervention faisait suite au débat à Radio France Internationale RFI, le 24 octobre 2012, Paris, que j’ai tenu avec le Pr Antoine Halff de Harvard, économiste en chef du gouvernement Barak Obama et qui était directeur de la prospective à l’AIE.
1.- Ce n’est plus le temps où la richesse d’une Nation s’identifie aux grandes firmes des Nations, les grandes firmes ayant été calquées sur l’organisation militaire et ayant été décrites dans les mêmes termes : chaîne de commandement, classification des emplois, portée du contrôle avec leurs chefs, procédures opératoires et standards pour guider tous les dossiers. Tous les emplois étaient définis à l’avance par des règles et des responsabilités pré-établies. Comme dans la hiérarchie militaire les organigrammes déterminent les hiérarchies internes et une grande importance était accordée à la permanence du contrôle, la discipline et l’obéissance. Cette rigueur était indispensable afin de mettre en œuvre les plans avec exactitude pour bénéficier des économies d’échelle dans la production de masse et pour assurer un contrôle strict des prix sur le marché. Comme dans le fonctionnement de l’armée, la planification stratégique demandait une décision sur l’endroit où vous voulez aller, un suivi par un plan pour mobiliser les ressources et les troupes pour y arriver. A l’ère mécanique totalement dépassée, la production était guidée par des objectifs préétablis et les ventes par des quotas déterminés à l’avance. Les innovations n’étaient pas introduites par petits progrès, mais par des sauts technologiques du fait de la rigidité de l’organisation. Au sommet de vastes bureaucraties occupaient le rectangle de l’organigramme, au milieu des cadres moyens et en bas les ouvriers. L’enseignement, du primaire au supérieur en passant par le secondaire, n’était que le reflet de ce processus, les ordres étant transmis par la hiérarchie, les écoles et universités de grandes tailles pour favoriser également les économies d’échelle. Actuellement, une nouvelle organisation est en train de s’opérer montrant les limites de l’ancienne organisation avec l’émergence d’une dynamique nouvelle des secteurs afin de s’adapter à la nouvelle configuration mondiale. Nous assistons au passage successif de l’organisation dite tayloriste marquée par une intégration poussée, à l’organisation divisionnelle, puis matricielle qui sont des organisations intermédiaires et enfin à l’organisation récente en réseaux où la firme concentre son management stratégique sur trois segments : la recherche développement (cœur de la valeur ajoutée), le marketing et la communication et sous traite l’ensemble des autres composants. Et ce avec des organisations de plus en plus oligopolistiques, quelques firmes contrôlant la production, la finance et la commercialisation tissant des réseaux comme une toile d’araignée. Les firmes ne sont plus nationales, même celles dites petites et moyennes entreprises reliées par des réseaux de sous traitants aux grandes. Ainsi, les grandes firmes n’exportent plus seulement leurs produits mais leur méthode de marketing, leur savoir-faire sous forme d’usines, de points de vente et de publicité. Parallèlement à mesure de l’insertion dans la division internationale du travail, la manipulation de symboles dans les domaines juridiques et financiers s’accroît proportionnellement à cette production personnalisée. Indépendamment du classement officiel de l’emploi, la position compétitive réelle dans l’économie mondiale dépend de la fonction que l’on exerce. Au fur et à mesure que les coûts de transport baissent, les produits standards et de l’information qui les concernent, la marge de profit sur la production se rétrécit en raison de l’absence de barrières à l’entrée. En ce XXIe siècle, la production standardisée se dirige inéluctablement là où le travail, moins cher le plus accessible et surtout bien formé. La qualification devient un facteur déterminant. L’éclatement des vieilles bureaucraties industrielles en réseaux mondiaux leur a fait perdre leur pouvoir de négociation expliquant également la crise de l’Etat providence. Ce qui explique que certains pays du tiers monde qui tirent la locomotive de l’économie mondiale se spécialisent de plus en plus dans ces segments nouveaux, préfigurant horizon 2020/2030 de profonds bouleversements géostratégiques dont un nouveau modèle de consommation énergétique reposant sur un Mix énergétique devant éviter l’erreur stratégique de l’actuel ministère de l’Energie algérien de raisonner sur un modèle de consommation libertaire. Il s’ensuivra inévitablement une recomposition du pouvoir économique mondial avec la percée de la Chine, de l’Inde, du Brésil, de la Russie et de certains pays émergents. Les emplois dans la production courante tendent à disparaître comme les agents de maîtrise et d’encadrement impliquant une mobilité des travailleurs, la généralisation de l’emploi temporaire, et donc une flexibilité permanente du marché du travail avec des recyclages de formation permanents étant appelés à l’avenir à changer plusieurs fois d’emplois dans notre vie. Ainsi, apparaissent en force d’autres emplois dont la percée des producteurs de symboles dont la valeur conceptuelle est plus élevée par rapport à la valeur ajoutée tirée des économies d’échelle classiques, remettant en cause les anciennes théories et politiques économiques héritées de l’époque de l’ère mécanique. Avec la prédominance des services qui ont un caractère de plus en plus marchand contribuant à l’accroissement de la valeur ajoutée, la firme se transforme en réseau mondial, étant impossible de distinguer les individus concernés par leurs activités, qui deviennent un groupe diffus, répartis dans ce village mondial, dominé par des réseaux croisés consommateurs/producteurs, transformant le système d’organisation à tous les niveaux, politique, économique et social.
2.- Les choix techniques d’aujourd’hui engagent la société sur le long terme. Les changements économiques survenus depuis quelques années dans le monde ainsi que ceux qui sont appelés à se produire dans un proche avenir, doivent nécessairement trouver leur traduction dans des changements d’ordre systémique destinés à les prendre en charge et à organiser leur insertion dans un ordre social qui est lui-même en devenir. Pour des raisons de sécurité nationale, l’Algérie n’a pas d’autres choix que de réussir les réformes dont celle de la numérique et transition énergétique, qui seront douloureuses à court terme mais porteuses d’espoir à moyen et long terme pour les générations présentes et futures. L’Algérie a besoin d’une autre vision évitant ces slogans dépassés que le moteur du développement quand le bâtiment va, tout va ou les matières premières, les industries mécaniques classiques, dont celle des voitures en grande partie des montages de très faibles capacités, fortement capitalistiques où l’Algérie supporte tous les surcoûts avec la règle des 49/51% dont la révision s’impose. Sans une réorientation de la politique économique, se fondant sur la bonne gouvernance et la valorisation de la connaissance, l’Algérie risque de se retrouver dans une impasse horizon 2022/2024 avec le risque de l’épuisement des réserves de change. Donc, il s’agit d’éviter la vision bureaucratique, de croire que l’élaboration de lois sont la seule solution alors que la solution durable est de s’attaquer au fonctionnement de la société avec des actions concrètes sur le terrain loin des discours et promesses utopiques. Combien d’organisations et de codes d’investissement depuis l’indépendance politique sans impacts réels. Tirons six leçons pour l’Algérie. Premièrement, la politique industrielle doit tenir compte des engagements internationaux de l’Algérie et évaluer sans passion, les impacts des accords de libre échange avec l’Europe, avec le monde arabe avec le continent Afrique, ainsi que les déséquilibres de la balance commerciale avec d’autres pays comme la Chine et la Russie , accords qui nécessitent des dégrèvemnts tarifaires progressifs ne pouvant pénétrer les marchés mondiaux où règne une concurrence acerbe qu’avec des entreprises publiques et privées performantes, innovantes. Sans compter l’assainissement des entreprises publiques qui ont coûté selon le Premier ministère plus de 250 milliards de dollars au Trésor durant ces 30 dernières années, plus de 80% étant revenues à la case de départ, les réévaluations incessantes du fait de la non maîtrise des coûts, durant les 10 dernières années plus de 65 milliards de dollars, l’annonce de 4 milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures pour 2021 doit tenir compte non seulement de la valeur – car certaines produits, comme les engrais et autres ont vu leurs prix augmenter au niveau du marché international de 30 % à 50% – mais aussi en volume. C’est la seule référence pour voir s’il y a eu réellement augmentation des exportations et performances des entreprises algériennes, et pour la balance nette pour l’Algérie soustraire les matières premières importées en devises et des exonérations fiscales. Or, les recettes en devises des dérivées d’hydrocarbures ont été avec plus 2 milliards de dollars en 2020 (rapport officiel de Sonatrach) et environ de 2,5 milliards de dollars pour 2021 et en ajoutant les semi produits à faible valeur ajoutée plus de 3,5 milliards de dollars, représentant entre 97/98% du total. Deuxièmement, la forte croissance peut revenir en Algérie. Mais elle suppose la conjugaison de différents facteurs : une population active dynamique, un savoir, le goût du risque et des innovations technologiques sans cesse actualisés, le combat contre toute forme de monopole néfaste, une concurrence efficace, un système financier rénové capable d’attirer du capital et une ouverture à l’étranger. Ces réformes passent fondamentalement par une démocratie vivante, une stabilité des règles juridiques et l’équité, les politiques parleront de justice sociale.
A. Mebtoul