Les racines orientales de la civilisation occidentale (I)

Apports des cultures et des civilisations

Comme il est toujours connu, l’historiographie de l’humanité est pleine d’injustices. Mais la plus grande injustice a été d’effacer l’apport historique des civilisations égyptiennes et phéniciennes dans la genèse de l’Occident.

Le premier qui a jeté un pavé dans la marre et qui a dénoncé l’arrogance historique de l’Occident qui s’accroche au mythe hellénique a été Martin Bernal qui dans un livre très polémique « Athéna noire : les racines afro-asiatiques de la civilisation asiatique » a démontré que les anciens Égyptiens et les Phéniciens ont colonisé la Grèce antique durant l’âge de bronze et que les anciens Grecs reconnaissaient leur dette envers l’Egypte ancienne à travers leur propre perception, leur culture, leur art et que la remise en cause de cet acquis a été réalisée au 18 ème siècle lorsque les historiens occidentaux ont renié l’apport de l’Egypte et de la Phénicie à la Grèce antique.
Bernal va plus loin en évoquant une colonisation par l’Egypte et la Phénicie de la Grèce en réfutant la thèse aryenne qui stipule que des indo-européens sont venus en Grèce d’Europe centrale.
Je dois à ce stade dire qu’il y a beaucoup de mythes sur les indo-européens dès qu’on cherche des éléments civilisationnels ou cultuels qui permettent de les distinguer des autres races. George Dumézil a trouvé quelque chose qui est la tripartition et son corollaire dans la religion antique, la triade divine. Chez les Romains par exemple la triade formée par Jupiter, Mars et Quirinus a été la norme religieuse. Or, les triades divines ont existé même chez des peuples sémitiques donc non indo-européens. Dans le Coran, il est fait mention d’une triade dans la cité de Taïf que le Prophète Muhammad a tenté de convertir les sujets à l’Islam. La triade des idolâtres de Taïf est composée de Al-‘Uzzâ, Allât et Manât. Le verset du Coran qui relate leur existence est celui-ci : « Que pensez-vous d’al-Lat et al-‘Uzzâ et de l’autre, Manât, la troisième Aurez-vous le garçon et Dieu la fille Quel inique partage ! » Ainsi, la théorie de Dumézil ne repose sur rien. Même la tripartition en classes qui lui est si chère n’est pas convaincante. Quand on pense au clergé d’Amon en Egypte, on ne peut qu’être convaincu que dans toutes les civilisations, il y avait un clergé. Rien de surprenant à cela.
Par conséquent, la thèse de Bernal n’est pas incongrue. Les tribus qui ont colonisé la Grèce antique ne pouvaient pas être uniquement indo-européennes, à supposer que ces dernières existent réellement comme race.

La véritable influence de l’Orient sur la Grèce antique : position du problème
L’influence de l’Orient a été beaucoup plus importante que cela même si les critiques mettent l’accent sur son caractère peu visible. La véritable influence de l’Orient à la Grèce s’articule autour de quatre vecteurs historiques:
Le premier n’est autre que l’origine de l’écriture grecque qui a été marquée par l’apport des Égyptiens, des Mésopotamiens et des Cananéens. Bernal date l’entrée de l’alphabet phénicien en Grèce entre -1 400 et -1 800 alors que les études les plus reconnues aujourd’hui situent la date de cette révolution vers – 600 à Cumes, dans le Sud de l’Italie, à l’époque des Etrusques. Nous allons nous appuyer sur des recherches encore plus sérieuses qui parlent d’une influence orientale (égyptienne et cannanéenne) dans la formation de l’Alphabet dit phénicien. Les Phéniciens ont transmis aux Grecs et aux Italiens un alphabet qui s’est déjà formée lentement grâce à une sysnthèse égypto-sémitique. Nous allons raconter cette histoire très importante. Le second élément ou vecteur est l’influence orientale sur la Grèce dans les domaines de la philosophie et de la science qui a débuté avec l’école milésienne, Pythagore et Thalès. La géométrie et les mathématiques ainsi que la philosophie des Grecs proviennent essentiellement de l’Orient. Cette vérité a été tellement dissimulée. Il convient d’en retracer l’évolution. Le troisième vecteur historique n’est autre l’héllenisme qui n’est qu’une fusion entre la culture grecque et la civilisation orientale (Egypte et Babylonie) et qui est un héritage des conquêtes d’Alexandre le Grand en Orient. A la mort d’Alexandre en – 323, plusieurs écoles de pensée sont apparues. L’école d’Alexandrie, ville fondée par Alexandre le Grand en Egypte, a produit des scientifiques et des philosophes qui ont contribué de manière décisive au progrès de la pensée. Il suffit juste de citer Plotin qui est un Egyptien dont la philosophie se nourrit de la pensée égyptienne et qui est devenu le philosphe héllenique qui a le plus influencé le christianisme.
Le dernier vecteur a été matérialisé durant le Moyen Âge. La survivance des sanctuaires de la pensée héllenique en Syrie et à Alexandrie a permis l’apparition de la pensée islamique qui a transmis ses plus belles réalisations à l’Occident au moment où ce dernier avait perdu le contact avec l’Orient à l’époque de l’empire romain qui vivait dans une grande indigence intellectuelle comme l’a justement rappelé Alexandre Koyré dans ses Etudes d’histoire de la pensée scientifique.
Dans l’empire romain, il n’y avait ni philosophie, ni science mais seulement des traités de morale et une sagesse pragmatique comme celle de Marc Aurèle.
Les Romains ne connaissaient aucun système philosophique ou un savoir scientifique comme celui d’Archimède qui a vécu à la fin de l’épopée héllénique. C’est un soldat romain qui a tué le savant Archimède alors qu’il était plongé dans ses recherches scientifiques pendant la prise de Syracuse, sa patrie, lors d’une dernière péripétie de la seconde guerre punique qui scella le destin de la Méditerranée héllénique et qui deviendra un «lac romain». Depuis cette date, l’Europe est entrée dans les ténèbres parce que le contact avec l’Orient a été rompu. Les Romains ne pouvaient plus se nourrir des foyers culturels et intellectuels de l’Orient et de l’Extrême-Orient. C’est l’Islam qui ne connaissait pas la langue grecque qui a appris la philosophie héllenique et qui en a été le principal vecteur vers l’Occident. Avec ces quatre vecteurs, la civilisation occidentale possède des racines éminemment orientales.

Origine de l’écriture moderne et de l’alphabet : l’Orient
Il semble qu’il y a une racine commune à l’écriture et elle est d’origine orientale. Les plus anciennes écritures proviennent bien entendu du Proche-Orient: l’écriture hiéroglyphique en Egypte et l’écriture cunéiforme en Babylonie. Elles sont des écritures figuratives. Ce type ancestral d’écriture a pris naissance à partir du moment où les hommes ont éprouvé le besoin de graver des signes, des symboles et des images sur les parois des cavernes. Des vases ont été trouvées en Egypte datant du néolithique et sur lesquels des images stylisées en été gravées. Des carrés, des réctangles et des zigzags qui symbolisaient le Nil, les terres irrigables et le pays d’Egypte4. Ce sont les premières figures dans la longue route de la genèse de l’écriture. Ensuite, l’écriture criptographique cunéiforme a permis, non seulement, de désigner des nombres et des choses concrètes mais aussi des sons. Ce fut la même chose en Egypte avec les hiéroglyphes. Par exemple, la figure du canard plus celle du pain est prononcée «saw-th» et qui désigne le mot «soeur». Saw est le cris du canard. Cette découverte stupéfiante a été faite en Egypte où le son du language a été représenté dans des figures.
La seconde révolution dans l’histoire de l’écriture a été l’invention de l’alphabet. L’alphabet a été inventé à Sarabit al-Khadim, une région située dans le Sinaï, où les anciens Egyptiens faisaient l’extraction de la turquoise.
Non loin de là, dans la vallée Ouadi-el-Mukattab, de nombreux signes gravés ont été trouvés dans les parois rocheuses, C’est ce qu’on appelle l’alphabet protosinaïtique dont l’alphabet phénicien est un dérivé tardif. Ils sont le résultat d’une association entre les signes hiérogliphyphiques égyptiens et la langue sémitique. Ce sont des travailleurs sémitiques, probablement des cananéens qui aidaient les Egyptiens dans l’extraction et le transport de la turquoise. Ces derniers se sont appropriés l’écriture hiéroglyphique égyptienne en l’adaptant à leur langue sémitique. Ils ont adapté les signes égyptiens en leur attachant le premier son dans leur langage sémitique du mot désigné par le hiéroglyphe égyptien.

Donnons maintenant des exemples concrets afin de clarifier les choses :
Ce signe désigne en hiéroglyphe une maison ou la construction. Les Sémites ont prononcé pour ce signe hiéroglyphique le signe béît. Ce signe a été utilisé pour désigner la lettre elle-même dans le nouvel alphabet. C’est l’ancêtre du béta grec et du B en Latin. Ce qui est extraordinaire, c’est que les Sémites (cananéens) ont utilisé la lettre béit pour désigner une maison. Dès qu’ils voient ce signe il prononce béit. Un autre signe désigne en hiéroglyphe un bœuf et en sémitique alef, c’est-à-dire un animal. C’est l’ancêtre de l’alpha des Grecs et du A en Latin. Ce fut la même chose pour ce signe emprunté des hiéroglyphes auquel les Sémites ont donné la première lettre de Ma’a qui signifie eau en sémitique et qui est l’ancêtre du M du Grec et du Latin. Prenant un dernier exemple : le signe hiéroglyphique qui désigne une tête a été utilisé par les Sémites en lui donnant la première lettre du mot rosh (pour tête) qui est devenu R. On peut dire phonème à la place de signe.
Il y a eu donc une concordance entre les signes hiéroglyphiques et les phonèmes sémitiques. De cette manière, l’écriture qui a été en Egypte une affaire de scribes très spécialisés et érudits puisqu’il y avait une centaine de figures hiéroglyphique s’est démocratisée et elle est devenue accessible au plus grand nombre puisque les Sémites ont utilisé une dizaine de sons identifiés à des lettres alphabétiques pour écrire tout ce qu’ils voulaient en – 1 800. Ils ont ainsi transformé les hiéroglyphes égyptiens en alphabet. Cet alphabet proto-sinaïque a été transmis à tout le Proche-Orient et a donné naissance à l’alphabet phénicien qui a été transmis à Cumes (Sud de l’Italie) en – 600. Il se peut que cette transmission date de plus loin (-1000). Il y a donc une racine commune à l’écriture de l’Occident et de toute l’humanité qui est égypto-sémitique.
(A suivre…)
Rafik Hiahemzizou