Les racines orientales de la civilisation occidentale (II)

Comme il est toujours connu, l’historiographie de l’humanité est pleine d’injustices. Mais la plus grande injustice a été d’effacer l’apport historique des civilisations égyptiennes et phéniciennes dans la genèse de l’Occident.

La genèse des mathématiques en Orient :
la Grèce a été en retard de 2 000 ans sur l’Egypte et la Mésopotamie
Durant cette période antique, il n’y avait pas que l’écriture qui est de source orientale et qui suffit en elle-même pour déterminer l’apport de cette région ancestrale à l’Occident au-delà des thèses de Bernal qui sont utiles sur le plan de la reconnaissance cultuelle et intellectuelle des Grecs vis-à-vis de l’Egypte (comme l’atteste les mythes sur Hermès Trismégiste et les poèmes d’Eschyle). Il y a aussi des concepts mathématiques comme les grandeurs (centimètre et mètre). Là, c’est un sujet délicat parce que la connaissance des Egyptiens dans le domaine des grandeurs et des mesures semble être bien enracinée dans l’égyptologie qui nous fait savoir que ce peuple antique utilisait des grandeurs comme le doigt, le pouce, la paume, la main, le poing. Or, le savoir des Egyptiens a été plus important. Il est connu que Pythagore a étudié en Egypte pendant des années et il a ramené en Grèce ce que les Egyptiens ont découvert. Les incertitudes nourries autour du Papyrus de Rhind ont été levées. Depuis l’époque des Pyramides, le théorème du triangle rectangle de Pythagore était connu de ce peuple antique. La preuve en est la Pyramide de Khephren qui a été bâtie en se servant de la règle 3 4 5 (sa demi base vaut 3 (107,9), sa hauteur vaut 4 (143,87) et son apothème vaut 5 (179.84)). Ceci rappelle le théorème de Pythagore basé sur la règle 3, 4, 5 dont les carrés vérifient ce théorème.
Il n’est pas inutile de rappeler que cette découverte stupéfiante des Egyptiens provient de leur propension à construire à l’aube de leur glorieuse histoire des pyramides car la règle 3, 4, 5 permet d’obtenir des angles droits ce qui est reflété dans le théorème du triangle rectangle de Pythagore. Les Egyptiens connaissaient également le nombre Pi (3,14). Dans un film documentaire intitulé K19 sur l’histoire des Pyramides, il a été révélé que ce peuple oriental ingénieux a inventé le centimètre en s’inspirant de la taille des goutes d’eau qui ont le même diamètre (un centimètre précisément). Ils ont également inventé le mètre. La preuve archéologique en est le pyramidion qui se trouvait à côté de la grande pyramide de Chéops15. La hauteur de ce pyramidion est précisément d’un mètre. Ces affirmations n’ont pas été publiquement réfutées alors que les documentaires qui portent sur ces découvertes sont accessibles et diffusés sur youtube depuis un certain temps. Les critiques prétendent que c’est le hasard qui explique ces faits, ce qui est ridicule. Non loin de la terre du Nil, il y avait presque à la même époque antique une grande civilisation orientale, la Babylonie. Une célèbre tablette d’argile « Plimpton 322 » conservée à l’université de Columbia et datant de -1800 montre que les Babyloniens connaissaient parfaitement le théorème de Pythagore dans une version plus compliquée16. Ce peuple peu connu avait tendance à utiliser les grands nombres. Non seulement ils avaient une base de calcul articulée sur 60 chiffres au lieu de 10 que nous connaissons tous, mais ils ont également utilisé des séries de nombres comme 119, 120, 169 et 4961, 6480, 8161 qui vérifient bien le théorème exactement comme la série 3, 4,5.17 Je ne parlerai pas des techniques égyptiennes basées sur l’utilisation de la corde pour calculer les aires et les surfaces, ce qui était la norme pour une civilisation basée sur l’irrigation des terres par le Nil. Ces techniques sont connues eu égard aux problèmes géométriques citées dans plusieurs papyrus égyptiens comme le papyrus de Moscou. Il est également connu que Thalès (mort en – 545 à Milet), le savant fondateur de l’école milésienne a fait un séjour en Egypte. De ce pays, il ramena à Milet les principales idées qui font de lui le premier philosophe grec18. D’abord, il a compris comment mesurer la hauteur d’une pyramide par rapport à son ombre. Ensuite, il a appris à prévoir l’éclipse solaire. Enfin, il a considéré que l’eau est l’origine du monde. Les Egyptiens ont développé la même idée depuis – 2300 en évoquant dans leur mythologie, l’Océan primordial appelé Noun ou Nouou (Nwn) qui entoure le monde et qui est l’origine de la vie.A partir de la mythologie égyptienne, Thalès a lancé l’idée que l’eau est le fondement de l’existence. Cette idée a été reprise par Anaximandre.Héraclite (mort en -480) a changé le fusil d’épaule. Il remplace l’eau par le feu qui devient le principe de toutes choses et l’état premier et l’état final du cosmos19. Cette idée a été importée d’Egypte encore une fois. Il séjourne à Héliopolis, ville du grand Dieu Râ, où il comprendra ce que les Egyptiens entendaient par feu divinisé permettant la renaissance perpétuelle des choses à l’image de ce Dieu qui devient Kéhpri et Atoum. Même Platon a séjourné en Egypte et a appris beaucoup de choses qui lui ont permis de développer sa philosophie. Par consequent, les penseurs de la Grèce antique ont repris ce que les Egyptiens ont découvert des siècles avant la naissance de la civilisation classique. Un héritage qu’il faudrait reconnaitre aujourd’hui.

Les grands penseurs héllènes, soit qu’ils orientaux, soit que leur travail puise dans le savoir oriental
Tandis que les premiers penseurs grecs ont été des Grecs qui ont rapporté beaucoup d’idées et de concepts d’Egypte, les philosophes et les scientifiques de la période héllenique, c’est-à-dire de la période qui s’étend de la mort d’Alexandre le Grand en – 323 à la mort de Cléopatre, reine ptolémaique d’Egypte en -31, ont été pratiquement tous des Egyptiens héllenisés. Comme il a été rappelé au début de cet article, cette dernière date marque l’apogée de la domination romaine et le début du déclin de la pensée grecque. Les conquêtes par Alexandre le Grand de territoires immenses s’étendant de la Grèce à l’Inde et le partage de son empire par ses généraux à partir de -323 a permis la création d’une nouvelle et grande civilisation en Syrie, en Irak et en Égypte. C’est à partir de ces territoires que la science, la philosophie et la littérature vont se développer et se préserver jusqu’à la conquête musulmane. Les courants philosophiques qui sont apparus durant cette période réalisent un murrissement des idées professées en Egypte et en Mésopotamie depuis des millénaires d’où la nature esotérique, mythologique et naturaliste de ces philosophies. Il suffit de citer l’épicurisme (fondé en – 306) et le stoicisme (fondé en – 301) qui réunissent des traits de la mentalité orientale faite d’ironie, de sagesse et de curiosité. Comme le rappelle Emile Brehier la philosophie héllenestique préconise l’assimilation d’une vérité déjà trouvée. C’est exactement ce qui s’est passé durant cette époque. Les Egyptiens héllenisés ont repris les vieilles idées de leurs ancêtres dans de nouveaux courants philosophiques qui reflètent bien cette diversité et cette vitalité de la pensée des anciens Egyptiens et Mésopotamiens. La philosophie est néée précisément en raison de cette vitalité de la pensée orientale et ce n’est pas une création grecque par excellence. L’héritage héllenestique contient également l’astronomie qui avec Eudoxe, Callipe et Erathostène, connait un nouvel essor. L’astronomie est une science très connue en Egypte et en Babylonie depuis des siècles (prévision des éclipses, déterminbation de la position des étoiles errantes et fixes, etc). Il est donc normal que les astronomes héllènes hissent leurs connaissance à un tel niveau en puisant du savoir antique oriental. Erathostène par exemple (mort à Alexandrie en -194) a mesuré la circonférence de la Terre en comparant les angles des ombres formées par des rayons du Soleil à deux lieux différents espacés d’une distance déterminée. Comme les Egyptiens connaissaient le mètre qui est intrinsèquement lié à la circonférence de la Terre, il est probable qu’Erathostène a repris les calculs égyptiens. L’un des deniers philosophes héllène fonda une école philosophique, les néoplatoniciens. C’est Plotin (mort en 270). Il influenca les premiers penseurs chrétiens comme Saint-Augustin. Le cœur de la pensée plotinienne est ce triptyque de l’Un, de l’intellect et de l’Âme. Le destin de l’homme est de retrouver l’Un qui est, selon Plotin, le principe suprême en tant que cause de tout ce qui existe sans avoir une cause et qui est assimilé au bien à partir de l’intelligence qui dérive de l’Un et qui recèle les idées, qui sont les formes « platoniciennes » et les vérités. La troisième entité plotinienne est l’Âme du monde qui est en fait le monde sensible qui se multiplie à mesure qu’il s’éloigne de l’Un. Selon Plotin, l’Un produit l’intelligence en tant que principe d’unité puis celle-ci engendre l’Âme du monde selon un processus appelé « procession ». Ce qui est intéressant dans cette philosophie est qu’elle relate l’origine du mal en tant qu’absence d’intelligence et comme matière. Le mal n’est pas lié au bien de l’Un mais il n’est autre que le résultat de la séparation de l’Un par l’intellect. Comme le dit Plotin, le mal est un défaut de bien et l’homme doit agir en s’orientant vers le bien et en se rapprochant autant que faire se peut de l’Intelligence qui garde en mémoire l’Un qui l’a engendrée. C’est cela, selon lui, la source du bonheur22. Là aussi, on voit que le néoplatonisme reprend les vieilles idées sur la conduite humaine de la pensée orientale, en considérant comme important le libre arbitre de l’homme. À Alexandrie, il y avait également une école théologique chrétienne qui a joué un grand rôle au tout début du christianisme. Elle fut créée par Pantène d’Alexandrie en 180 et elle forma les premiers fondateurs de l’Église. Mais son membre le plus important est Origène. Ce dernier a élaboré une théologie qui s’inspire des hypostases de Plotin : selon lui, Dieu a créé en premier lieu le Logos qu’on peut rapprocher de l’Un de Plotin puis les logikoï qui sont des êtres rationnels et invisibles aux humains. Ces êtres sont peut-être l’incarnation des vérités de l’intelligence plotinienne. Il n’évoque pas cependant l’Âme du monde, prévue par Plotin. À moins que l’existence du monde sensible qu’elle incarne soit une évidence.

Le dernier vecteur du savoir oriental vers l’Occident, l’Islam
Le dernier vecteur de l’héritage hellénique vers l’Occident est l’Islam. La fusion entre la culture grecque et les cultures de ces antiques territoires a entraîné la constitution d’un grand patrimoine culturel universel qui a été ensuite transmis par les Musulmans à l’Occident. Ce patrimoine a été sauvegardé et développé dans trois centres intellectuels situés dans ces régions de haute culture : l’Académie de Jundê-Shâpur en Iran, Harran dans le nord de l’Irak et Alexandrie en Égypte. Ce sont les centres intellectuels de transmission de la culture hellénique à la civilisation islamique. Jundê-Shâpur a accueilli des philosophes grecs qui y sont venus après la fermeture par l’empereur Justinien de l’Académie d’Athènes en 529 ainsi que des intellectuels nestoriens de langue syriaque. C’est dans cette langue que les plus importants ouvrages en philosophie, en théologie et en science ont été traduits. En 529, plusieurs philosophes néoplatoniciens s’installèrent à Harran dans le Nord de l’Irak après la fermeture par les Byzantins de l’école d’Athènes23. Ils ont traduit directement du grec vers l’arabe pour le compte des Abbassides, les ouvrages grecs ramenés par les néoplatoniciens de l’Empire byzantin (Grèce).Maintenant en quoi ce vecteur islamique a apporté des concepts et des idées qui ont fait le bonheur de l’Occident ? Nous rappelons qu’Alexandre Koyré considère les Arabo-musulmans non pas seulement et simplement comme des vecteurs de la philosophie grecque mais comme véritablement les « éducateurs » de l’Occident. Pourquoi les Romains, les Chrétiens du Moyen Âge et les Byzantins qui connaissaient parfaitement la langue grecque n’ont pas pu faire de la philosophie ? C’est simplement parce que ces derniers ont perdu, depuis la naissance de l’empire romain, le contact avec l’Orient et l’Extrême-Orient, un contact récupéré et valorisé par les Musulmans. Par ailleurs, la révolution scientifique de l’Europe au XVIe siècle n’a été possible que grâce à la première révolution scientifique de l’Islam durant le Moyen Âge. Par exemple, la méthode scientifique et la physique en Occident doivent beaucoup aux travaux d’Ibn Al-Haytham. Ce dernier a jeté les bases de la méthode scientifique moderne dans sa dimension expérimentale. Grâce à sa méthode expérimentale, il a découvert la loi de réfraction de la lumière. Il a également étudié les propriétés de la luminance et sa dispersion à travers des prismes. Ibn al-Haytham a développé également une critique de Ptolémée. Dans un livre intitulé « Al-Shukûk ‘alâ Batlamyûs » (Doutes sur Ptolémée), Ibn al-Haytham évoque des anomalies géométriques (comme aurait dit Thomas Kuhn) au sein du système de Ptolémée (orientation à partir du centre du monde, problème de l’équant, mouvement de la latitude). Dans le domaine de la médecine, al-Zahrawi (Albucassis) (936-1013) qui fut le grand chirurgien de son époque, a écrit une encyclopédie de 1.500 pages et 30 tomes, « Al-Tasrif liman Aegiza an al-Ta’lif », sans protéger ses inventions qui comprenaient les instruments de chirurgie dans les modèles existent aujourd’hui malgré le progrès technologique. Cette encyclopédie a été traduite en latin par Gérard de Crémone et a été éditée plus de vingt fois dans toute l’Europe. Elle est restée la référence en médecine et en chirurgie jusqu’au dix-huitième siècle.
N’oubliant pas bien entendu les mathématiques. Le travail de Muhammad Ibn Mûsâ al-Khuwârizmî (mort vers 850 à Bagdad) a été vraiment décisif pour le développement de l’algèbre. Il emprunte aux Indiens les chiffres décimaux mais aussi le zéro qui permet de définir les chiffres négatifs des Indiens, inventé par Bramagupta et cités dans son ouvrage le Brahmasphutasddhana (rédigé en 628). Les chiffres indo-arabes sont diffusés à Cordoue en Espagne et en Afrique du Nord. Puis ils ont été découverts par des occidentaux qui les diffuseront dans le monde chrétien sous le nom de chiffres arabes et qui sont passés en Occident à travers l’Espagne islamique. Ils sont progressivement utilisés dans les pays occidentaux et ce n’est pas un hasard que l’un des premiers pays où vont circuler ces chiffres soit le pays de la Renaissance et de la seconde révolution scientifique mondiale, l’Italie.

Conclusion
Voilà, on a parcouru une odyssée historique. Il me semble que le dernier vecteur oriental d’un savoir incommensurable destiné à l’humanité entière n’est autre que la pyramide de Chéops, chef d’œuvre de l’Egypte ancienne. La pyramide garde des secrets géométriques et physiques comme le nombre Pi et le nombre d’or qui ressortent des mesures géométriques de la pyramide. Ces nombres sont partout présents dans l’univers et dans les plus importantes équations mathématiques qui décrivent le monde physique. Il parait même qu’on y retrouve des constantes universelles comme la vitesse de la lumière. Tout est dans les mesures de la pyramide qui est un symbole du savoir humain et un temple pour la science pour les siècles passés et avenirs. En fait, la région du Moyen-Orient est l’origine du monde, avec sa science antique, sa philosophie, ses énigmes et ses symboles. Elle a transmis tout ce que l’Occident avait besoin pour bâtir sa civilisation et sa culture scientifique et technique. Comme le dit Bernal, l’Occident a jadis gardé le souvenir de ce qu’il doit à l’Orient. Mais il a renié cet héritage en raison d’un regain d’intérêt pour le racisme et la supériorité de l’homme blanc et de l’Occident. Nous voulons simplement dire que Bernal n’a pas tout dit. L’Occident doit sa civilisation à l’Orient parce que ce qui compte vraiment ce n’est pas que les Egyptiens par exemple aient colonisé la Grèce ou que les dieux grecs soient des emprunts des mythes et des panthéons de l’Egypte mais c’est plutôt la transmission à l’Occident de l’écriture alphabétique qui est d’origine sémitique et proto-sinaïque et les concepts scientifiques et philosophiques. Ce sont les idées qui font le monde et celles-ci proviennent de l’Orient. L’Occident n’a fait que l’oublier.
Rafik Hiahemzizou