« Essai d’interprétation prospective du risque majeur climatique »

Climat

Lorsque les géographes définissent le risque majeur, ils font spontanément appel à trois notions : l’aléa, les enjeux, la vulnérabilité, autant de termes qui renvoient aux mathématiques, aux probabilités, aux statistiques …aux supercalculateurs dont on sait la supériorité sur les capacités humaines depuis que Deep Blue d’IBM a battu Garry Kasparov aux échecs en 1997.

La définition la plus largement retenue comprend le risque majeur comme un évènement d’origine naturel ou anthropique (lié à l’activité humaine) dont la survenance est incertaine mais qui peut provoquer des conséquences importantes sur des enjeux socio-économiques. Dès que la définition du risque majeur climatique est ainsi posée, on comprend immédiatement la difficulté à la cerner tant ce concept s’impose à l’Etat en même temps qu’il lui échappe en provoquant des questionnements quasi métaphysiques sur le sens de l’aventure humaine et les évolutions lointaines du devenir de notre espèce. Les travaux du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) n’abordent plus la notion du risque majeur sous l’angle de l’aléa mais sous celui de la certitude des évolutions climatiques défavorables introduites par l’élévation continue du monoxyde de carbone issu de la libération brutale de la combustion de l’ensemble des énergies fossiles dans l’atmosphère, en raison des activités humaines intensives diverses et variées. Du coup on se trouve mis devant une réalité ou tous les Etats-Nations sont explicitement tenus pour responsables des aléas qui surviennent sur leurs territoires alors que la climatologie comme la survenance du Covid-19 nous apprennent de manière certaine que la récurrence des épidémies, des inondations, des sècheresses, de la montée du niveau des mers relèvent de la responsabilité environnementale première des Etats les plus développés de la Planète.
Si la définition du risque majeur a été historiquement posée par le géographe, sa théorisation est subtilisée par le météorologue et subrepticement par le…supercalculateur chargé de le prévoir. Parce que la discussion se concentre désormais sur les transferts thermiques à l’échelle planétaire, sur les capacités de calculs et la validité des modèles algorithmiques, elle rentre partiellement dans une sphère en survenance progressive, celle d’un monde numérique en construction d’une intelligence artificielle localisée puis globalisée comme l’est l’organisation météorologique mondiale (OMM). Le glissement du risque majeur comme phénomène de survenance physique dans un ici et maintenant peu prévisible – au vu de la technologie d’aujourd’hui, incapable d’anticiper suffisamment à l’avance les tsunamis, les tremblements de terre ou les éruptions volcaniques – vers celui du modèle du calcul numérique du risque majeur climatique nous interroge sur le sens profond de la prévention du risque majeur climatique dans les politiques publics des Etats et de sa relation au supercalculateur.

Le XXIème siècle, une période charnière
Si nous considérons les changements climatiques comme le risque majeur suprême, la définition de ce dernier se transforme en un risque d’origine anthropique dont la survenance est certaine et permanente avec des conséquences importantes sur la capacité de survie de l’espèce humaine même en dehors de tout enjeu de type socio-économique immédiat. Le risque majeur n’est plus, au sens du GIEC, une évaluation et une prévention de la catastrophe naturelle en irruption limitée dans le temps mais bien plus un questionnement invasif et lancinant sur la nature de la catastrophe pour en découvrir des ressorts strictement humains depuis que l’homme préhistorique a domestiqué le feu comme la première énergie au service de ses activités multiformes. Cette inversion de la problématique pose fondamentalement le rapport de l’homme à la nature, mis en lumière de manière caricaturale par les partisans de la terra formation cherchant à intervenir sur l’atmosphère et les conditions environnementales au sens global. Dans son ethnocentrisme l’homme (occidental ? capitaliste ?) se perçoit en différentiation de la nature qui l’entoure, cherchant à la « domestiquer ». Il a du mal à se concevoir comme partie intégrante d’un écosystème dont il est partie prenante, à tel point que certains se posent légitimement la question de savoir si « la conquête spatiale » relève moins de la découverte de nouveaux univers que d’une tentative irrépressible de très long cours de quitter un Monde qui sera rendu invivable par des activités de moins en moins en adéquation avec les limites bioclimatiques objectives de notre Planète.
Quoi qu’il en soit, nous sommes frappés de constater que l’approche du développement humain, influencée par les interrogations de rupture du GIEC sur les risques majeurs climatiques, emprunte finalement beaucoup à l’histoire de la sécurité industrielle qui a largement contribué à l’évolution voire au dépassement des procédés industriels eux-mêmes en introduisant massivement automatisme, électronique et informatique, déconnectant l’homme de la machine jusqu’à la conduite progressive de cette dernière par des programmes intelligents, se rapprochant de plus en plus de la pensée humaine prise dans la rationalité de systèmes strictement logiques. L’automobile est désormais construite par des….robots aujourd’hui asservis, bientôt autonomes, ce qui ne manque pas de nous interroger sur la validité des investissements consacrés à cette industrie dans notre pays pour des raisons…d’encouragement de l’emploi !
Projeté à l’échelon des Nations et des Peuples, cette nouvelle culture de mitigation des risques majeurs à l’aune des changements climatiques (comme hier, celle visant à diminuer drastiquement les risques industriels et technologiques) n’est en réalité qu’un seul mouvement menant à une profonde révolution culturelle préparant un rapport différent de l’homme à la machine et conséquemment du glissement du travail à l’activité. L’homme ne façonnera plus la machine à son image comme ce fut le cas jusqu’à maintenant (on le voit déjà dans l’aviation militaire ou le pilote n’est plus en capacité de se trouver dans le cockpit en raison de ses propres limitations physiques et cognitives) mais se verra contraint en raison de conditions climatiques en évolutions tendancielles négatives à accepter que la machine artificiellement intelligente contribue à construire une nouvelle identité humaine, comme le pilote militaire est déjà obligé de renoncer à sa passion de voler. Un homme culturellement nouveau en devenir, différent de tous ceux qui l’ont précédé se trouve en gestation. Cette rupture unique dans la civilisation humaine depuis l’homme préhistorique, est consubstantielle des technologies de l’immatériel, du numérique, des langages précurseurs de l’intelligence artificielle avancée y compris dans ses dimensions d’encadrement politique de la gouvernance des Etats soumis aux évolutions supérieures liées aux bouleversements bioclimatiques à l’œuvre. Depuis la découverte du trou dans la couche d’ozone de l’atmosphère censée nous protéger des effets nocifs des ultraviolets, la réaction de la communauté internationale de stricte règlementation des halocarbures (en particulier le brome et le chlore) sanctionnée par le Protocole de Montréal de 1987, a permis la résorption progressive du trou d’ozone à un rythme de 1% à 3% par an. Sa fermeture totale prévue pour 2050-2060 démontre magistralement que seule une action collective de dimension mondiale est capable d’inverser des risques majeurs issus de l’activité humaine qui remettent en cause jusqu’à la survie de l’humanité elle-même.

Mr Zitouni Brahim Journaliste, Expert en systèmes oasiens
A Suivre …

La « conscience publique mondiale » prend corps en même temps que le trou d’ozone se referme et cette didactique planétaire pousse à rendre systémique cette approche globale de la prévention des risques majeurs, par des mécanismes institutionnels du développement humain et de bonne gouvernance… climatique. Le monde de l’immatériel est ainsi en passe d’annuler l’aliénation de l’homme au travail mécanisé (et donc à l’industrie classique tel que comprise depuis l’invention de la machine à vapeur au XVIIIème siècle) pour lui substituer de nouveaux assujettissements, corrélés au monde numérisé et aux technologies nouvelles en cours de nouaison dont les briques infrastructurelles de base sont les supercalculateurs, les algorithmes novateurs, les technologies en 3D, la fibre optique et ses évolutions, les satellites météorologiques, les nanotechnologies pour répondre aux défis climatiques de demain. Il y aura donc des Peuples de la rupture numérique et climatique et d’autres qui seront irrémédiablement dominés par la nouvelle approche carbone du GIEC. Il n’est donc pas loin le temps ou la compensation carbone sera non seulement un enjeu financier international considérable (le carbone ne constitue-t-il pas un excellent candidat à l’unité monétaire universelle dont le bitcoin n’est que l’avant-garde de la dématérialisation définitive de la monnaie ?) mais aussi une mesure – non plus du « risque industriel » – mais du « risque climatique pays », classant les Nations dans un système d’assurances climatique mondialisé. Il sera fait une jonction contraignante au sens du marché carbone, entre la mise en œuvre effective des politiques publiques visant à faire prendre en charge par les Etats les conséquences des dérégulations climatiques d’une part et d’autre part les nouvelles technologies concourant à contrecarrer les effets négatifs des risques majeurs climatiques récurrents dont les superordinateurs sont l’une des pierres angulaires de leurs modélisations.
Au vu de la discussion précédente, nous mesurons mieux les présupposés proches et lointains que comporte une nouvelle approche méthodologique revisitée à l’aune des risques majeurs climatiques, du développement, en évaluation nouvelle de l’intégration à une globalisation directive de l’action des Etats-Nations. Une gouvernance mondialisée et non pas mondiale s’en trouve d’ores et déjà esquissée. Gouverner, c’est prévoir le risque majeur, en particulier le risque suprême climatique, mais parce que ce dernier a pour caractéristique d’être transnational, il conduit en retour la gouvernance des Etats à travers le prisme des rapports inégaux de la fracture numérique et climatique. Nos propres stations météorologiques sont donc partie intégrante des marqueurs de la prévisibilité et de la mesure de nos évolutions climatiques mais aussi de l’évaluation par d’autres de nos politiques gouvernementales, étalonnage indispensable pour faire entrer la nature dans la logique de la quantification des externalités environnementales dans les cycles de production mondialisés. Le but évident est de monétiser de nouveaux modèles économiques en devenir. Les équilibres écologiques de la Planète sont en passe de devenir le paradigme partagé de la « bonne gouvernance » du XXIème siècle, supplantant même celui des critères démocratiques, qui subiront eux aussi, à terme, une pente dégénérative proportionnelle à la disparition progressive de la culture du travail industriel pour lui substituer celle de l’activité induite par l’économie de la connaissance.
Face à ces problématiques complexes de survenance d’une civilisation nouvelle grâce à l’alliance du langage numérique et des capacités de stockage et de calculs des superordinateurs (à l’image de l’essor en civilisation novatrice qui a suivi l’invention de la perspective par l’école artistique florentine à l’initiative de Filippo Brunelleschi autour de 1415 – équivalent de la réalité augmentée d’aujourd’hui – et de celle de l’imprimerie par Gutenberg en 1454 – permettant le stockage intergénérationnel des données comme le superordinateur de nos temps modernes), la gouvernance des centres de la mondialisation, agira par différents procédés, s’appuyant sur la puissance de l’intelligence artificielle en charge de l’interprétation prospective des tendances climatiques pour promouvoir une philosophie de l’action publique qui fera de la mitigation des risques majeurs climatiques, un étalon du développement humain, critère de plus en plus central dans l’évaluation des économies mondiales. Dans cette perspective qui nous semble inéluctable, il est important de réfléchir au moins trois notions dont le dépassement est essentiel pour mieux nous inscrire collectivement dans les enjeux cruciaux de demain. De notre point de vue, face au risque majeur climatique, il est urgent de s’interroger sur le rapport de l’Algérie à sa géographie, de sa réaction aux évolutions climatiques concrètement mesurée par la montée inéluctable de la désertification et son impact sur notre sécurité alimentaire et enfin de sa perception de la culture saisie dans la synergie de l’évolution du monde numérique de demain.

Les défis prioritaires de l’Algérie pour répondre au risque climatique

Pour ce qui est de la géographie, il nous faut constater que le mode de production rentier possède l’originalité de soumettre la géographie à sa propre spécificité économique. Parce que la source de sa richesse est localisée, la rente s’impose non seulement aux territoires mais dicte aussi aux populations la régionalisation de ses activités en lieu et place d’activités développées régionalement. Or la gestion des risques majeurs pose au centre de sa préoccupation l’aménagement du territoire et donc celui de sa géographie. Comment gérer le risque climatique alors que les logiques rentières façonnent la géographie économique de la Nation ? L’expansion urbaine anarchique de Hassi-Messaoud en est la meilleure illustration. Le défi est d’autant plus complexe à relever que les puits de pétrole restreignent la sphère productive de la Nation aux activités de son périmètre immédiat, dans un phénomène connu par les économistes sous la désignation du « syndrome hollandais ». La redistribution des rentes s’en trouve inégalement répartie entre le Nord et le Sud, entre les différentes régions du Nord ou entre les groupes sociaux. Au fond la nécessaire question de l’aménagement du territoire se heurte en Algérie au mode de production rentier qui n’offre qu’une intégration financière à la Nation en déconnexion des avantages comparatifs territoriaux de nos régions. Notre géographie humaine (voire politique) est depuis longtemps soumise à notre géologie, ce qui peut aider à éclairer d’une compréhension nouvelle les crispations identitaires exprimées diversement dans le corps social. Pour inverser ces tendances, il est indispensable de repenser les relations fiscales entre le travail, l’activité et l’énergie dans une dynamique de transition énergétique orientée vers l’exploitation des potentiels géographiques revisités par l’économie de la connaissance dont la principale caractéristique consiste en une faible empreinte carbone. Les priorités courantes de la Nation (en l’absence préjudiciable d’un Haut-Commissariat à la planification et d’une prise en compte juridiquement contraignante des recommandations du SNAT) vont inéluctablement au développement d’une économie rentière basée sur les hydrocarbures et dans le meilleur des cas – si le programme gouvernemental venait à être appliqué efficacement – à l’élargissement de l’exploitation de nos rentes minières (le fer de Ghar el Djebilet, les phosphates du Djebel Onk en sont des exemples majeurs) comme première étape de l’expansion de notre sphère productive. Mais dans tous les cas, nous serons encore longtemps dominés par la culture de l’exploitation des rentes différentielles en lieu et place de la promotion des activités de la valeur ajoutée comme le démontre l’approche des énergies renouvelables cherchant à substituer une rente énergétique fossile par une rente écologique solaire sans poser les conditions de la production de sa R&D, de son ingénierie et des infrastructures nécessaires à l’atteinte de ses objectifs en autonomisation de maitrises technologiques et de développement humain.
Pour ce qui est du ressort de l’évolution climatique, il va de soi que la remontée de la désertification vers le Nord du pays pose la question lancinante de notre sécurité alimentaire. Des variations de température vont induire des glissements spatiaux pour des cultures entières. Au-delà d’une augmentation de 5°C nous assisterons à des ruptures graves des systèmes de production agricoles. La question de la raréfaction de l’eau, sa répartition entre la population, les besoins agricoles et industriels ; son transport incontournable du sud vers le nord, son économie seront questionnés par les risques climatiques d’autant plus durement que nous vivons dans une zone semi-désertique. Nos palmiers dattiers, plantes thermophiles par excellence, et la manière dont nos systèmes oasiens sont organisés peuvent nous inspirer un modèle agricole sortant de la spécialisation productiviste, alliant extensivité et intensivité pour peu que nous réalisions un lien vivant entre l’agroforesterie et les biotechnologies permettant par exemple d’offrir au secteur des hydrocarbures une plate-forme d’intégration agro-énergétique à la Nation. Nous pourrions alors internaliser la croissance structurelle mondialisée du secteur des hydrocarbures et étendre l’ensemble de nos plantations sous couvert végétal du palmier dattier, lui-même en croissance stimulée par de nouveaux besoins comme le sucre aujourd’hui totalement importé ou les bio-carburants. La même logique peut s’appliquer à une autre plante primaire de grande valeur, également économe en eau, l’olivier, pourvu que nous sachions en multiplier les usages industriels et les transformations biotechnologiques. Les solutions de grande envergure nationale existent, se basant essentiellement sur le palmier dattier et l’olivier, à l’image d’autres cultures majeures, comme la canne à sucre au Brésil, le maïs aux Etats-Unis ou la betterave sucrière en Europe mais elles nécessitent une volonté publique puissante pour sortir du modèle extraverti qui est le nôtre depuis trente ans. La relance permanente du barrage vert en intégration des activités agricoles et agro-industrielles est cependant une réponse adéquate et encourageante aux défis posés par la désertification dans notre pays.
Enfin, la culture doit être profondément repensée dans ses rapports aux technologies de l’information et de la télécommunication. La révolution du numérique nécessite des centaines de milliers de nouveaux métiers directement liés au monde immatériel. L’industrie des jeux vidéo par exemple, forme des millions de techniciens et d’ingénieurs de par le monde, qui comme les peintres perspectivistes de la renaissance en Europe, s’impliquent aujourd’hui dans la réalité augmentée en trois dimensions, comme hier les dessins éclatés de Leonardo da Vinci se réalisaient en reconnaissance des dessins industriels modernes. Les webgamers contemporains forment l’avant-garde de l’industrie de demain qui plus que jamais sera avant tout marquée par des capacités culturelles hors normes. Les potentiels en Algérie existent pour réaliser une telle évolution culturelle pourvue que la culture sorte de l’état balbutiant dans laquelle elle est malheureusement enfermée par des identitarismes stériles. Cela est d’autant plus possible que le pays possède une infrastructure éducationnelle de grande envergure qui ne demande que peu d’investissements qualitatifs au regard des efforts substantiels déjà consentis pour se traduire en valeurs ajoutées importantes pour la Nation.
Les changements climatiques vont se traduire par des pressions accrues des centres de la mondialisation sur les Nations les plus faibles jouant à leur avantage des distorsions climatiques pour creuser encore plus la fracture numérique entre les Peuples. A nous de réorienter intelligemment nos investissements publics pour tirer profit de nos territoires riches en valorisations de toutes sortes en intégrations des industries de demain (exploitation et valorisation des terres rares), d’imaginer des systèmes agricoles résilients y compris contre l’élévation des températures, s’inspirant intelligemment de nos potentiels et savoir-faire avérés grâce aux biotechnologies et à l’économie de la connaissance en intégration des secteurs des hydrocarbures en croissance mondialisée, enfin de réaliser des investissements massifs dans les TIC, en centres de formation novateurs, points nodaux des développements futurs, pour mieux préparer la jeunesse algérienne aux défis culturels posés par une ère numérique à nulle autre pareille qui s’ouvre avec ce XXIème siècle débutant.

Mr Zitouni Brahim Journaliste, Expert en systèmes oasiens