15.000 contrebandiers arrêtés en quinze ans

L’hémorragie de la contrebande aux frontières

La révélation livrée avant-hier par le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Abderrachid Tabi, sur l’existence d’un nombre effrayant de contrebande en Algérie est une alerte sur un grand danger qui menace la sécurité alimentaire.
La crise de l’huile de table est une goutte qui a fait déborder le vase de la contrebande. Le 12 janvier dernier, et sous couvert d’échange commercial avec les pays du Sahel,
160.000 litres d’huile de table chargés dans cinq camions ont été saisis à In Guezzam et six contrebandiers ont été arrêtés.
Chaque année, l’économie nationale perd quelques 10.000 milliards de centimes à cause de la contrebande. Pis, durant les quinze dernières années, quelques 15.000 contrebandiers sont arrêtés par les forces de sécurité, notamment par les Groupements des Gardes-frontières (GGF) relevant du Commandement de la Gendarmerie nationale. Une véritable chasse à l’homme aux frontières.
Face à cette situation alarmante, l’Etat à fait mobiliser tous les moyens nécessaires pour combattre ce fléau, la contrebande, une véritable machine qui cause beaucoup de mal à l’économie nationale.
L’Algérie est devenue une plaque tournante de la contrebande, un commerce en noir lucratif pour les contrebandiers. Aux frontières, les GGF appuyés par d’autres forces, notamment l’Armée nationale populaire (ANP) et les services de Police et Douanes sont à pied d’œuvre. La hausse des prix des produits consommables qu’a connus le pays durant ces dernières années a, instantanément, fait explosée la contrebande au niveau des frontières.
Le tabac, carburant, fruits, légumes secs, blé, farine, vêtements, produits électroniques et électroménagers, les contrebandiers ont touché tous genres de produits pour parvenir à allonger leur chiffre d’affaires. L’apparition de la pandémie du Coronavirus a causé une crise économique et commerciale mondiale et les conséquences sur l’économie nationale ont été imposantes, notamment la hausse générale des prix des produits alimentaires. Une situation qui a causé une véritable raz-de-marrée contrebandière au niveau des frontières. Ici, plus de 15.000 contrebandiers sont arrêtés et plus de 60 millions de litres de carburant sont saisis au cours des quinze dernières années suite aux multiples opérations menées par lesdits services de sécurité.

Des chômeurs enrôlés dans la contrebande
Chaque année quelques 1.000 trafiquants de carburant sont arrêtés dans le cadre de la lutte contre la contrebande menée par les forces de sécurité. Les contrebandiers arrêtés sont dans la plupart des jeunes personnes âgées entre 18 et 45 ans. Natifs des régions frontalières, notamment de Maghnia, Bab El Aâssa à l’Ouest du pays, de Tébessa et El Tarf à l’Est du pays et Timiaouine, Bordj Badji Mokhtar, Tamanrasset et Debdeb au Sud de l’Algérie.
Toutes les frontières sont en alerte, du moment où la contrebande du carburant a atteint son paroxysme. «Nous sommes omniprésents dans les frontières et nous n’avons jamais baissé les bras et nous continuerons notre lutte contre toute forme de contrebande qui rentre dans le cadre du crime organisé», a expliqué une source proche de la Gendarmerie nationale. En effet, le trafic de carburant a pris une ampleur phénoménale ciblant plusieurs frontières du pays.
De l’Est tout comme à l’Ouest en passant par le Grand Sud, les frontières algériennes ont été infestées par les réseaux de la contrebande, non seulement en carburant mais de toutes sortes de marchandises.
Qui sont ces contrebandiers ? Comment les réseaux de trafic arrivent-ils à recruter de jeunes contrebandiers, certains âgés à peine de 18 ans ? Selon l’expertise fournie par la Gendarmerie nationale, les opérations qui ont été menées par les Gardes-frontières (GGF) pour contrecarrer la contrebande, ont démontré que la plupart des contrebandiers sont sans profession. Des chômeurs âgés entre 18 et 40 ans passent à la contrebande pour gagner de l’argent. «Parmi les 817 contrebandiers que nous avons interpellés ces derniers six mois avec leurs véhicules et les marchandises, 65% sont âgés entre 18 et 40 ans, alors que 66% des contrebandiers sont des célibataires, tandis que 60% sont des chômeurs», nous a révélé un colonel de la Gendarmerie. Face à cette situation sociale des plus difficiles, les réseaux spécialisés dans la contrebande ont investi dans la jeunesse issue des villes frontalières du pays afin de les convaincre et les enrôler pour devenir de nouveaux contrebandiers. Pis, beaucoup de jeunes Algériens, qui résident dans les villes frontalières, à l’image de Maghnia (Tlemcen) ou à l’Est à Tébessa, dès qu’ils bouclent l’âge de 18 ans recourent aux auto-écoles pour passer le permis du poids lourd. Quel est leur objectif ? C’est en passant le permis de poids lourd, dès cet âge, qu’ils arrivent à avoir une chance de devenir de nouveaux contrebandiers et gagner jusqu’à 7 millions de centimes pour chaque mission d’acheminement de carburant vers la Tunisie, le Maroc, la Libye, le Mali et le Niger.

10.000 milliards de centimes
de perte par an
La contrebande est l’une des principales menaces pour l’économie nationale. Chaque année, la contrebande fait perdre à l’économie nationale 10.000 milliards de centimes, selon des experts. Chaque année, les services de sécurité, récupèrent, au terme d’opérations menées contre les contrebandiers, des millions de litres de carburant, des centaines de tonnes de fer, de bronze, d’aluminium, du blé, de farine et d’autres marchandises destinées aux pays voisins.
Des sociétés publiques telles que Naftal, Sonelgaz, Sonatrach, ces colonnes vertébrales de l’économie algérienne, sont les premières victimes de ce fléau. Ces sociétés perdent, chaque année, des milliers de milliards de centimes à cause du fléau de la contrebande. Malgré une présence renforcée des services de sécurité au niveau des frontières pour lutter contre les contrebandiers, le fléau, quant-à-lui, a triplé durant ces quinze dernières années.
En face, les autorités algériennes ont été contraintes de revoir leur stratégie de la lutte contre la contrebande.
A titre d’exemple, en 2019, les Gardes-frontières (GGF) avaient avorté 1.350 tentatives de contrebande. Ces opérations avaient permis de récupérer 300.000 litres de carburant et 300.000 tonnes de produits alimentaires, faut-il le rappeler.
Les GGF avaient également réussi, au cours de l’année suivante, d’arrêter 2.580 contrebandiers. Egalement, les GGF avaient procédé à la saisie de 1.091 véhicules, 725 bêtes de somme et 15 motos utilisés par les contrebandiers, tandis que 50 tonnes de produits ferreux avaient été également récupérés, de même que 500 unités de matériaux de construction, 30.000 articles de ménage et 4.459 kg de cuivre. Les produits exportés frauduleusement concernent essentiellement le carburant, les produits alimentaires, les produits ferreux, et en contrepartie les contrebandiers font introduire au pays de la drogue, des cheptels et des articles électroniques. En résumé, la contrebande est un ennemi juré de la Nation, le combattre est un devoir national.
Sofiane Abi